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Mes premiers mots me sortent :

— Moi non plus, John. Jamais. Jamais… Et je me mets à sangloter comme un môme. Toujours de la flotte, tu vois.

Sacré Mac-Mahon, va !

CHAPITRE TROIS (au moins)

Il a une chambre plutôt modeste, dans les étages supérieurs, Perruchieri. De sa fenêtre, certes, on peut admirer le Grand Canal, mais à condition de se défenestrer, précisément. Par contre, le Pont des Soupirs, on le voit comme je te vois, sauf que les soupirs que je pousse en te regardant ne sont pas d’admiration.

Il est chouette, Johnny. M’a prêté son costar de rechange pendant que la lingère de l’étage va tenter le tout pour le tout sur le mien, histoire de lui redonner une apparence sitôt qu’il sera sec.

Son complet, c’est pas exactement ce à quoi je rêve au cours de mes nuits blanches. Imagine un chose ricain en tissu ultra-léger, à fines rayures blanches et noires. Avec ce machin sur le dos, tu passes à peu près aussi inaperçu que le maréchal Amin Dada dans un couvent de dominicains suédois. Faut un certain courage pour endosser cette défroque, ou alors faut être ricain d’au moins deux générations, ce qui est le cas de Johnny dont le grand-père napolitain a immigré à Chicago après la guerre de 14. Il parle l’italien dans le texte, et c’est probable à cause de ce détail qu’on lui a confié cette mission.

Pour la énième fois (au moins) il me présente une bouteille de Four Roses que j’enfile religieusement, manière de me débarrasser des ultimes miasmes de mon équipée aquatique.

Après ce qu’il vient d’accomplir pour moi, il est devenu mon ami d’enfance, Johnny. Un pote à la vie à la mort. Je vendrais désormais la ferme et les chevaux pour lui et si un jour il lui arrivait un accident comme celui qui survint à Lord Chatterley, je lui ferais cadeau d’une de mes burnes sans barguigner, ce qui lui promettrait encore de belles séances, espère ! Bref, il est à moi.

D’ailleurs pour un zig qu’écrit, tout le monde est à lui. Tous ceux qu’il convoite. Ecrire te permet de posséder tout ce dont tu as envie, y compris les gonzesses qui te snobent, se croient ou se veulent inaccessibles ; tu peux les annexer à ta guise, en faire ce que bon te semble, les avilir même, pour peu que tu soyes sadique sur les bords. Et ce, sans qu’elles y puissent rien, sans seulement qu’elles s’en doutent ou qu’elles émettent une plainte. Le nombre de souris avec lesquelles j’aurai pris mon pied sans qu’elles le sachent !

Le bourbon (pauvre Louis XVI ; tu te rends compte : à trente-neuf ans, ce con !) me chauffe la coiffe et le guignol. Me plonge dans quelque chose de ouaté. C’est pas de la joie, comment serais-je joyeux en sachant mon Béru clamsé ? Comment pourrais-je le rêtre un jour ? Non, ce qui me conforte dérive directo de l’esprit de conservation. Mon corps subit l’euphorie d’avoir été préservé. Je vais continuer encore un temps. J’ai un sursis. Un sursis et de la gnole, crois-moi, c’est bon à prendre, n’importe les chagrins.

Il tient la bonbonne comme un chameau, l’ami Perruchieri, car on en est au second flacon de Quatre-Roses. Il reprend, sans savonner le moins du monde de la menteuse :

— Le plus cocasse, veux-tu que je te dise, Saint-Antoine ? C’est que mon collègue qui s’occupait de Spontinini au Canada, est mort de sa bonne mort dans l’avion. Crise cardiaque ! Ça nous guette tous. Si on pensait à la fragilité de notre cœur on n’oserait plus s’en servir.

Il rigole.

— Il est des cas où il se montre à la hauteur pour ce qui est d’encaisser le choc, rectifié-je en me massant le placard.

— Certes, admet Johnny, mais qui te dit que tu ne viens pas de diminuer ta vie d’x années ?

— Personne ne me le dit, personne ne peut me le dire, le destin c’est pas avant, mais toujours après, mon pote.

Hautement philosophique. Il en convient, Perruchieri. Les choses de la vie, lui, il creuse pas trop. Fait pousser le gazon de l’indifférence par-dessus. Sinon, assure-t-il, tu creuses des gouffres pour te foutre la gueule dedans. Et on ne peut lui donner tort. Trop réfléchir revient à s’affaiblir car ça t’amène que des constats d’impuissance. L’homme, il se justifie en pensant, alors qu’il ferait mieux de le faire en ne pensant pas. Une vache, ça quoi ? Ça bouffe, ça chie, ça fait des veaux et donne du lait. Un point, that’s all ! Ah ! si : ça rumine. Mais pas des souvenirs, pas des pensées, pas des projets : de l’herbe ! Ce qui revient à dire qu’elle bouffe deux fois au lieu de réfléchir. On devrait prendre exemple, les hommes. Ruminer autre chose que nos rancœurs, que notre condition. S’expliquer au plan de l’organique, quoi ! Comme faisait mon cher Béru de son vivant.

— Dis voir, Johnny, si c’est pas trop indiscret, en quoi intéresse-t-il la C.I.A., ce sale croquant de Spontinini ? Je le croyais retiré des affaires, non ?

L’autre hausse les épaules.

— Un type comme lui ne se retire pas. Votre Louis XIV, malgré son grand âge, est-ce qu’il s’est retiré des affaires ? Et les vieux pédégés soi-disant frappés par la limite d’âge, ces fondateurs d’empires, tu crois qu’ils passent vraiment la main ? Que tchi, l’ami. Même gâteux, ils continuent.

— Et alors, Spontinini ?

— On ne sait pas ce qu’il traficote, toujours est-il qu’il y a quelques mois, il a hébergé chez lui, dans sa propriété du Québec, le docteur Funchmeiner. Or, nos services s’intéressaient à Funchmeiner.

— Qui c’est, ce gazier ?

— Un Allemand expatrié. Il a travaillé longtemps dans les laboratoires secrets américains. Et puis un beau jour, il s’est fait la malle en emportant les deux prototypes d’une arme assez extraordinaire.

Je bondis :

— Des revolvers anéantisseurs ?

Alors là, changement à vue de mon sauveur. Foin de Four Roses, de sourires, de copinages. Tu le croirais sculpté dans le granit, comme ces statues des présidents ricains taillés dans la montagne, ces cons. Si pas sérieux, s’abstenir.

Sa voix fait songer à un bruit de métal heurtant du métal. Elle est froide comme une épouse de pasteur mormon (mon quoi ? je te le dirai plus tard !) :

— Comment sais-tu cela, Saint-Antoine ?

A quoi bon tergir le verset ? Après tout, je n’ai pas consigne de silence. Le Vieux m’a dit de continuer l’enquête sur Spontinini, il ne m’a point défendu de rencarder un ami de la C.I.A. Si je lui dois pas ça, à Johnny, alors merde ! La reconnaissance ça existe, même chez les invertébrés comme l’humain. Même au sein de ce monde trouble des polices plus ou moins occultes.

Fort de cette certitude radieuse, je lui raconte tout, à Machin. Depuis le début. Ma baise avec la Marika, sur le palier du petit hôtel et sous les yeux excommunicateurs de la religieuse néerlandaise ; et ce qui s’en est suivi : les démêlés (de rugby) avec la police vénitienne, notre évasion, nous en curetons, la visite chez Fornicato, ma découverte des deux armes, la manière dont je vins à en utiliser une et les résultats stupéfiants obtenus.

— Tonnerre ! s’exclame Johnny Perruchieri, mais tu as fait tout le boulot, fils. Si je parviens à mettre la main sur le deuxième revolver, mon avancement est une chose acquise !

Moi, je ne demande que cela. Je le voudrais big boss de la C.I.A., mon camarade, Président des U.S.A., voire même. Plus sa destinée sera belle et rayonnante, plus je mouillerai de contentement. Il est mon frangin, comprends-tu ?

— Eh bien, lui dis-je, ne perdons pas de temps et allons la chercher avant que Spontinini n’embarque le coffre et se réfugie je ne sais où.