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— Une descente au palais ? Dis, on risque de recevoir de l’huile bouillante sur la figure, Saint-Antoine !

— Y a peut-être un moyen. Y en a fatalement un. Y a toujours un moyen. Impossible n’est pas français, disons-nous dans l’hexagone où l’on réussit tout sauf le possible. Le possible, c’est pas notre turf, non, nous autres, y a que l’impossible qui nous intéresse.

Il ricane :

— Si tu t’imagines que c’est pas partout pareil. Bon, cela dit, tu as une idée ?

— J’en ai même plusieurs.

* * *

Moi, j’ai horreur de m’asseoir sur un bidet. Je trouve que ça fait gonzesse. Alors je préfère m’installer sur le coin de la baignoire, là que ça constitue une sorte de méplat.

Je n’ai pas lourdé complètement afin de pouvoir suivre la converse.

Il est déjà là, preuve que l’ascenseur n’a pas chômé en cours de route ni joué les omnibus. Je l’entends toquer. Johnny ouvre. Il y a un brin de silence pendant que les deux hommes se regardent, prennent mutuellement conscience d’eux-mêmes.

— Entrez ! fait Perruchieri.

Et il referme, mais une oreille comme la mienne, san-antoniaise à ne plus en pouvoir, perçoit le léger bruit de la clé dans la serrure. Pas pomme, mon collègue. Il se méfie des fugueurs. Un doigté fou, il possède. La manière qu’il bouclarde sa piaule sans que l’autre truffe de Fornicato en ait conscience, est un chef-d’œuvre du genre. Il a dû apprendre la manipulation avec le chevalier Majax, l’amigo.

— Qui êtes-vous ? demande Fornicato.

— Un agent américain.

L’autre doit en morfler plein le placard. Tout ce qu’il trouve à objecter c’est :

— Vous parlez rudement bien l’italien pour un Américain.

— Je vous rappelle que mon nom est Perruchieri. Grand-père vendait de l’huile d’olive, des pâtes et du salami dans les faubourgs de Chicago. Toutes les trempes qu’il m’a flanquées, il me les a flanquées en napolitain.

— Vous êtes agent de quoi, signore Perruchieri ?

— De la C.I.A.

Ça produit son petit effet.

On a bien mis la scène au point avant la venue du comte, motivée par un coup de turlu très ambigu de John. Adaptation et dialogues de San-Antonio ! Merci.

— Diable. Et en quoi puis-je vous être utile ? demande Fornicato d’un ton qui bat un tantisoit la breloque.

— Je pense, en fait, que c’est moi qui peux vous être utile, signore comte.

— Pour quelle raison ?

— Pour la raison que vous vous êtes flanqué dans un tas de merde malodorant en ayant partie liée avec Carlo Spontinini et ses deux acolytes. Il fallait chercher d’autres moyens de faire ouvrir votre bon Dieu de coffre-fort, mon petit ami. Maintenant, il a barre sur vous, surtout depuis qu’il vous a rendu complice de deux meurtres sur la personne de policiers français.

Alors là, je regrette de ne pas voir. Il est des cas où l’ouïe est insuffisante ; te mets juste l’eau à la bouche, si je puis dire. Tiens, à l’hôtel, la nuit, quand t’entends un couple d’amoureux en train de bien faire, sans être particulièrement vicelard, t’aimerais visionner l’explication plumardière, dis pas le contraire. Le moment que la dame écrie : « Pas par là », ça t’intrigue de connaître le chemin qu’empruntait son brigand sauvage, non ?

Eh bien, dans cette eau cul rance, comme je dis toujours, il en va de même. Je donnerais dix ans, que dis-je : vingt-cinq ans de ta vie pour voir la frite à monseigneur le roi des comtes. Ça doit payer, tu parles ! C’est de l’estomacage intégral, ça. De la sidérance à l’état pur. Voir ça et Venise en même temps, tu juges d’un superfoot ?

Fornicato, il est pédé, j’suis bien d’accord, donc amené à fournir des bruits pas comme tout le monde, mais les siens alors, je te jure qu’au zoo ou au vivarium du Jardin des Plantes tu ne peux pas entendre les mêmes. Dans une salle de montage de cinoche, quand on rembobine le son à toute allure, il pourrait à la rigueur se produire une rencontre sonore, mais elle serait aussi brève que fortuite.

— A brrl brrrl je, y a, que, mais, ou, et, donc, ni, car…

En gros. Pour te résumer les grandes lignes de sa réponse immédiate.

Mon pote Johnny, il déguste raisonnablement, et se répand sans forfanterie dans son calbute, puisqu’il trouve le moyen d’ajouter, sans passer la vitesse sup’, juste commak, sur le ton badin de la converse de salon :

— Le plus terrible, voyez-vous, mon comte, avec un homme comme Spontinini c’est de se retirer de son engrenage.

« Une fois qu’on a engagé la main dans sa mécanique, le corps entier y passe. Oh, il va vous verser les cent mille dollars en échange de votre coffre, mais vous me direz des nouvelles de ce qui suivra… si vous le pouvez ! Pour Fornicato, ce jour fera date, comme disait un palmier. Il pourra le marquer d’une pierre blanche, en forme de tombe de préférence. »

— Mais, monsieur… Comment se peut-il que… Comment est-ce possible… Par quel…

Et tu ne sais pas ?

Il se fout à chialer, le monsieur comte. A gros sanglots. Y peut plus endiguer. C’est la trouille, la stupeur, l’effondrage. Il comprend qu’il fait le quatre nages dans du vitriol, ce tordu. Qu’il fut inconsidéré, un con sidérant. Il voudrait rebrousser le temps. Annuler la mise. Retourner dans le sein maternel. Se faire pompier au lieu d’en faire aux autres. N’importe quoi, mais ne plus être lui, ne plus être là, ne plus en être, ne plus tout ça, ce chérubin.

Petit garçon, voilà. Ses larmes le purifient un peu de ses salopances.

Et alors, mon pote Johnny lui porte l’estocade finale :

— C’était tout ce que j’avais à vous dire, mon vieux, vous pouvez disposer.

Le bluffeur ! Alors qu’il a la chiave de sa chambre en fouille !

Bien entendu, et donc à bon entendeur salut, le comte Dunœud ne bronche pas. Il doit se ratatiner sur son siège, au contraire. Tiens, je te parie que le naturel héréditaire jouant, il est en train de balancer une prière à la madone.

— Moi, continue Perruchieri, vous me pardonnerez, mais d’autres tâches m’attendent : il faut que je fasse repêcher le cadavre de San-Antonio, ce qui ne sera pas trop difficile compte tenu des débris de caoutchouc flottant sur la mer. La bouteille d’air comprimé, c’est vous qui l’avez procurée, n’est-ce pas ? Les poids en plomb également, votre complicité est indéniable. Sitôt que l’affaire va démarrer, vous allez devenir invivable pour Spontinini. Et ce digne homme ne supporte pas ça. Je crois qu’en mettant les choses au mieux, demain soir vous serez mort, comte. De quelle manière ? Je laisse à ce vicieux de Spontinini, que vous avez vu dans ses œuvres, le soin d’en décider.

— Non, lamente Fornicato. Oh, non ! Ah ! non… Je ne veux plus. Ce n’est pas de ma faute. Je demandais juste qu’on ouvre le coffre. Rien de plus… Rien, rien, riennnnn !

Et je l’entends qui s’écroule sur le plancher. Qui s’écroule en larmes de feu, de sang, de fichtre, de foutre. Il se vide, se répand, en implorations, en demandes de miséricorde, en protestations de tout-ce-qu’on-voudra. Il dit qu’il a des aïeux, bon fond, de la religion, l’âme sensible. Il fera tout ce qu’on voudra si on le tire de là : donnera de l’argent, pompera des pafs, léguera son palais, son Grand Canal, sa collection de porte-clés. Il ira à Padova à pincebroque (c’est pas trop loin), il fera brûler des cierges, la cathédrale, la cervelle de Spontinini le moment voulu. Tout ça, bien comme il faut. Mais mourir, si jeune, si nanti, si beau gosse, avec tant de bites à portée d’oigne, ah mais que non pas ! Never, Lisette ! Une autre fois, plus tard, dans très véry longtemps, lorsqu’il sera vieux, usé, affaissé, décati, malade. Qu’on le tue quand il agonisera, voire seulement lorsqu’il sera mort. Oui, à la rigueur, dans ces conditions, il se soumettra, dira amen. Mais là, dis, tu plaisantes ! Tu l’as vu son pedigree ? Tu lui as contemplé les traits harmonieux, Donato ? Et à poil, dis, t’as eu l’occasion d’admirer la « bête » ? La bébête ? Tous ces beaux muscles travaillés en salle de gym’ ? Bien massés, bien oints si tant tellement qu’Apollon, à comparer, c’est de la pure gnognote pour l’exportation au tiers monde. De la merde sans bas de soie, pis que Talleyrand. C’est simplement la boiterie de Talleyrand, tiens, pour te donner une idée. Son père, Fornicato, il tutoyait le Duce. Merde, fallait le faire. Il veut bien que c’était un simple rien du tout, mister Benito, à ses origines, mais dis, t’as vu ce qu’il est devenu par la suite, avant de se laisser accrocher par les burnes à l’étal d’un boucher ? Et son œuvre impérissable, tu le sais, son œuvre impérissable : ses autoroutes, ses poignées de main à Hitler, sa guerre d’Albanie remportée de haute lutte ; la manière impec qu’il t’a balayé le négus, quoi, bordel ! Et tu voudrais tuer le fils d’un ami de ce mec ! Ça va pas la tête ! Prends ta température, l’aminche. T’as besoin de granulés, toi !