Et alors, Spontinini ? Quoi, Spontinini ? Spontinini mes fesses ! C’est peut-être le diable, en tout cas c’est pas le Bon Dieu. Le Bon Dieu, il est dans son clan à lui, le Fornicato comte. Italien, c’serait malheureux de pas avoir droit au Bon Dieu en priorité avec le Vatican sur l’évier, tous ces papes ritals à bloc depuis lulure ! Que même Berlingot, le chef du P.C. va à la messe tous les matins et qu’au verso de la faucille-marteau, y a Not’ Seigneur Jésus sur sa croix, le pauvre cher Dieu, qui s’est tant décarcassé pour la bande de salopiauds qu’on est tous à qui mieux mieux.
Il finit par se calmer la terreur. Par redevenir lucide. Il prend les mains poilues de mon pote Perruchieri, les lui baise à tout-va et l’assure que Johnny va le sauver. Il en a les moyens, non ? Agent de la C.I.A., c’est mieux qu’agent de chez Fiat, non ? T’as des pouvoirs plus étendus, non ? Ou alors faut te faire crémier.
C’était là qu’on voulait l’amener, le petit comte à la gomme (et même à la gomina).
John Perruchieri fait mine de gamberger.
Puis il annonce qu’il ne voit pas trente-six solutions pour arracher Fornicato au caca.
Non, il n’en voit qu’une.
A quoi Fornicato s’empresse d’assurer qu’elle suffira.
Il est preneur, à n’importe quel prix.
AUTRE CHAPITRE
BON, ET ALORS ?
— J’espère qu’il ne nous fera pas d’arnaque, dis-je à Johnny au moment où la vedette-taxi (à moins qu’il ne s’agisse d’un taxi-vedette, j’ai pas regardé son sexe, sous le gouvernail) aponte (aux Dames) devant le palais de Fornicato.
— Je l’espère autant que toi, ma jolie, ricane Perruchieri.
Et sais-tu pourquoi il m’appelle « ma jolie » ? Parce que je me suis travesti en gonzesse pour revenir chez le comte. Je tiens à cacher ma résurrection le plus longtemps possible, une idée à moi. Alors j’ai fait l’emplette d’une perruque blonde et d’une robe blanche, ainsi que de sandales à laçage montant, mordorées (sur tranche) que tu me prendrais pour une danseuse d’opéra en villégiature. J’ai une démarche ailée, avec ces machins aux nougats. Du rouge à lèvres éclatant, du vert aux châsses (notre vert qu’êtes z’aux yeux, brillez pour nous !) m’achèvent l’apparence d’une fort jolie dame un peu platounette du poitrail, mais infiniment comestible, et j’en ai la preuve à cause des véhémentes œillades que me distille le pilote de la vedette.
De loin, bien avant que nous n’abordions, John m’a désigné le linge blanc accroché à la fenêtre du premier. Selon les conventions établies avec le comte, ce chiftir immaculé signifie que tout est O.K., et qu’on peut carillonner à la grille du parc sans appréhension.
John casque le taxi, lequel ne cesse de me faire fonctionner ses charmeuses, comme un qui trouverait ce moyen de faire du morse. Il est tellement bêta, Césarin, que je voudrais l’emplâtrer d’un taquet au bouc, manière de lui montrer ce qu’une faible gerce peut accomplir lorsque sa vertu branle au manche (à couilles).
— De toute manière, murmure mon chose-frère, il se doute bien que j’ai fait un rapport de la situation à mes supérieurs et que toute fausse manœuvre se retournerait immédiatement contre lui. Non, crois-moi, y aura pas de bobo.
C’est un optimiste, Perruchieri. Il voit la vie de son côté.
Là-dessus, il signale notre venue à grands coups de heurtoir qui répercutent dans la noble demeure. La mère Caramella vient pour. On.
Il est à l’entrée du grand salon, ce salonard de Fornicato. Il porte une veste d’intérieur en velours noir à brandebourgs (lui ce serait plus volontiers à branle-bourres) et il a un foulard de soie jaune pâle au cou. Il possède une certaine allure dans la grâce, le comtesse. Tu le croirais sorti du siècle dernier, tel qu’il se montre.
Il tique en me découvrant. Un instant, je redoute qu’il m’ait reconnu, mais non, c’est au contraire parce que j’sus une dame qu’il intrigue. Il se tourne vers Johnny, mondain, attendant d’être présenté.
— Miss Pamela Ford, balance au hasard mon camarade.
J’évite de tendre la main, pas que concomte soye surpris par le format de ma paluche d’adolescente pubère.
Une inclinaison du chef (car je ne suis pas un branleur) suffit.
— Eh bien ? demande Perruchieri.
— C’est fait ! répond le noble preneur de rond. Si vous voulez me suivre.
Et il nous emmène au petit salon où se perpétra l’assassinat de Bérurier. T’as déjà lu jadis, étant chiare, ou bien tu as lu récemment pour des chiares l’affaire de la Belle au Bois Pionçant ?
Eh ben ça !
En plus saisissant.
Spontinini à la renverse dans son fauteuil roulant. Marika au travers d’un canapé d’où pendent sa tête et ses bras. Steve, carrément sur le plancher, face au sol (faut dire qu’il n’est que secrétaire, lui).
Sur la table une bouteille de champagne entamée. Deux verres brisés à terre. La scène est éloquente.
— Votre produit est foudroyant, déclare Fornicato d’une voix blette. Une gorgée a suffi. Heureusement que j’ai eu l’idée de leur faire porter un toast sinon ils n’auraient pas été neutralisés simultanément et l’opération aurait raté.
Perruchieri approuve d’un hochement de menton.
— Conduisez-nous à la chambre de Spontinini, dit-il.
J’sais où qu’elle est, mais j’sus pas censé, comprends-tu ?
— Venez…
On vient.
Les bagages se trouvent à la place qu’ils occupaient quand je les ai fouillés. Je vais à la valoche dotée d’un double fond. Fais jouer icelui.
Malédiction !
Vide !
Un fébrilisme terrible me biche. Qu’est-ce que ce fumelard a fait de ses pétoires nucléaires ? Où les a-t-il planquées ?
Est-ce que, impressionné par l’emprunt que j’ai fait de l’une d’elles (c’est pas une phrase bien tournée, mais dis, tu sais le prix de ce polar, hein ?) il aurait déménagé sa camelote pour la filer en lieu sûr ?
John a pigé qu’on était marron. Il fouille avec ardeur, tu parles ! Si près de la gagne. Moi qui lui faisais miroiter le gros lot. Et il s’imaginait déjà gouverneur du Mâche-ta-Sucette, en remerciement, la bonne crème ! Ah ! je te jure : quand ça se met à pas tourner rond… Je me compose une voix fluette pour interpeller le comte :
— Dites donc, Fornica…
J’ai pas le courage de lui livrer la dernière syllabe de son blaze blasonneux ; elle me reste coincée entre deux molaires.