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Ce qui signifie notre arrêt de mort quand on commence à connaître les mœurs de ce vilain corbeau. Je sais qu’il n’y a pas d’espoir à caresser. Cet homme implacable au-delà de toute limite, il vient encore de nous le prouver sur la personne de Fornicato, va nous buter, simplement pour avoir sa liberté de mouvement. Comme on écrase un moustique sur sa joue, d’une tape impatientée.

Ce qui me fait de la peine, dans tout ça — tu vas dire que je suis bête, hein ? — c’est surtout pour la ravissante statue polychrome, clou de la collection du futur défunt comte. Elle représente une madone Renaissance espagnole tenant dans ses bras un enfant Jésus. Cette œuvre forte et noble se trouve admirablement mise en valeur sur un tabouret de chantre éclairé par deux spots aux faisceaux croisés. La perspective d’endommager cette pièce exceptionnelle ravage mon âme d’artiste. Et pourtant ! Quelle de ma vie ou de la sienne est la plus importante ? Elle vient de se payer plusieurs siècles, la madone. C’est déjà pas mal pour une dame vermoulue.

Ce qui la condamne, c’t pauv’ femme et son divin enfant, c’est la certitude qui me prend que Spontinini va nous flinguer ici même, sur place, à l’instant. Comprends-le, cet homme : il est seul, pas très ingambe, et ne peut donc se permettre de nous véhiculer vivants en des lieux plus propices à l’équarrissage. D’autant qu’il a affaire à des agents de la C.I.A., c’est-à-dire pas à des mazettes.

Oui, il va défourailler d’une seconde à l’autre. On est arrivé à terme.

Moi, je n’ai qu’un atout pour le biter : l’élément de surprise. J’entends par là que mon seul espoir, c’est de l’étonner, histoire de freiner d’un poil ses réflexes. Et mettre à profit cet infime et problématique temps de surprise pour lui catapulter la magnifique madone espago dans la bouille.

Bon, on y va ?

CHAPITRE QUATRE

— Eh ! Spontinini, regardez !

J’arrache ma perruque Grand Siècle.

Tout malin, fortiche, archi trempé qu’il fut, il a le sidèrement que j’escomptais.

Rends-toi compte…

Il m’a largué alors que je coulais en plein Adriatique avec des gueuses de plomb aux pinceaux. Et cependant me voilà. Trompe-la-Mort ! Lazare ! Jésus qui n’aurait pas eu la patience d’attendre le troisième jour…

L’esprit le plus fort, le cœur le plus sec, l’âme la plus froide, le bandit le plus cruel ne sauraient dominer son égarement, sa formidable doutance. Il ne pourrait s’empêcher de se dire : « C’est impossible. » Or, pour se dire « c’est impossible », et même pour se le dire très vite, il y faut deux à trois secondes, surtout si l’on fait précéder cette incrédulité d’une exclamation style : Quoi ! Voire : Seigneur ! Ou plus communément : Non !

La belle madone ! Combien de temps pour l’empoigner de ma main droite, alors que la gauche agite la perruque ? Et pour la virguler de toutes mes forces ?

Chère madone pleine de grâces, dont le Seigneur est avec elle, dans ses bras maternels ; bénie entre toutes les femmes (ces salopes), comme elle accomplit bien joliment sa mission salvatrice !

Sa trajectoire est fulgurante, son impact désastreux pour l’appareillage dentaire à Spontinini. Il la dérouille en plein clapoir, la gentille Sainte Vierge espanche. Pas tant vermoulue que ça, la bravoune. Poum ! Ça claque comme un coup de fouet de manège. Ses dominos partent à dame, le vieux Carlo. Les vrais, les faux, ses gencives, bridges et toutim.

Et moi, catholique-apostolique-romain comme me voilà, tu penses si je la marche sur les brisées (c’est le cas d’y dire), ma Vierge très sainte, bénie, vénérée ! Un plongeon formidus de goal en finale de Coupe du Monde. Une détente de trois mètres. La jaguar terrific. Yop ! D’accord, le forban réagit et crache son venin, mais ça me passe outre, sa bonne marchandise. Je sens mon crâne d’airain sur sa caboche de vieux bonze. Groonc ! Qu’est-ce que je lui brise encore dans la région des maxillaires pour que ça produise ce bruit de bois cassé ?

Le coup de tronche le plus sauvage de mon existence. Ça l’éteint, le féroce. Ça le neutralise pour de vrai. Il est dodelinant quand je m’écarte de him. Comme foudroyé. La gueule en sang, le regard retourné comme les manches de ton pyjama lorsque tu le poses en vitesse pour baiser.

Y a des moments, des folies homicidaires t’emparent. Moi, ce sale vieux charognard, son existence me démange. Je te voudrais la lui faire passer ! Le guérir de cette vérolerie funeste qu’est sa vie. Alors je lui satone la carcasse à coups de pompe redoublés. Pourtant, un vieillard, je me croyais pas capable. Mais une ordure de cette dimension, ça n’a pas d’âge, n’est-ce pas, docteur ? La sanie, qu’elle soit récente ou qu’elle date, c’est de la sanie.

Dans ma rage, je me tords le pied et la douleur ressentie me calme.

Alors, bien, je m’interromps. Me semble sortir d’un tunnel infinissable. Je suis en sueur de l’extérieur, mais glacial du dedans.

Je regarde : rien de beau à voir. Fornicato se tord sur son Chiraz ancien, avec une mousse verte sur ses lèvres vertes. Spontinini clapote dans l’inconscience avec dans la gueule un pâté de dents, de sang et de lèvres qui l’empêcherait de chanter La Traviata si d’hasard l’envie lui prenait (ou lui prendrait, ou lui prenne, ou lui prisse, car je peux tout me permettre, te considérant comme ce que tu es, n’est-ce pas ?).

— Ton avis, Johnny ? je demande.

Merde ! Il est blafard, Perruchieri. Que lui survient-il, à lui aussi ?

Je le questionne.

— J’ai pris une balle dans la cuisse, me dit-il. Bon Dieu de bois, j’ai sûrement un os brisé.

Nous voilà bien.

J’avise un coffre de l’époque Hermétique qui sert de présentoir à bouteille. J’empare d’une carafe ciselée, ornée d’une plaquette d’argent annonçant « whisky ».

— Tiens, bois !

Il ne se fait pas répéter. Là là, quelle descente ! Après lui, c’est à moi, fils unique et vachetement préféré de Félicie. M’efforce de faire aussi bien que mon collègue ; puis conforté, j’examine la situation si mal brillante. On est dans une purée de merde pas racontable : ces moribonds, ces bandits, ces secrets, ces machins. Et le temps qui presse. Et moi pourchassé par la police vénérienne, je veux dire vénitienne. Et la C.I.A. Et les armes disparues. Et le comte Monzob qui aurait tant besoin d’aspirine ! Et les autres, en bas… Et les larbins, la Caramella pouvant surgir d’un moment à une autre seconde. Oh ! la la ! classe ! Pouce ! J’joue plus ! Tu ferais quoi, à ma place ? T’appellerais qui ? Police Secours, le médecin de garde ? Le curé de la paroisse ?

Je me penche sur Perruchieri, je défais son futiau. La plaie est vilaine, mais je ne pense pas qu’il ait un montant brisé car elle se situe dans le gras de la viandasse. Ça raisine mochement. Bon, je déchire la limace à Johnny pour confectionner un tampon. J’attache fortement icelui sur la jambe au moyeu, je veux dire au moyen, d’une cordelière opportune (les plus belles !).

— Ecoute, Johnny, je lui gazouille, te sens-tu capable de poireauter un quart d’heure dans cet état ? Réponds-moi franchement. C’est le laps de temps dont je dois disposer pour essayer de retrouver ces putains de pistolets, car tu penses bien que si je réclame du secours, ça va déclencher le grandissime bordel et on sera marron à tout jamais.

Il est stoïque, mon pote. C’est un vrai coriace.

— Fais ! dit-il, et prends le temps qu’il te faudra.

— Je vais m’activer le cul, promets-je.