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On continue de descendre. On emprunte le couloir conduisant à la chapelle, et je me rends compte qu’à son arrivée, tout à l’heure, Ernesto est passé à pas deux mètres de moi.

Au moment où nous allons longer la crypte, il aperçoit le coffiot et se cabre.

— Mon Dieu ! je l’entends — ou plutôt le devine — chuchoter.

— Vous avez une idée de ce qu’il contient ?

— Oui.

— Dites…

Et comme il ne moufte pas, je murmure :

— Je le sais, j’ai vu…

Alors comprenant qu’effectivement j’ai vu, puisque la boîte est décapsulée, il chuchote un nom à mon oreille. En moi, c’est la brutale illumination. Je savais, mais sans savoir. Ça trémoussait dans mes entendements profonds. Une idée me démangeait que je me refusais à formuler, pas qu’elle devienne réelle.

— C’est le comte Fornicato qui l’a tué ?

— Je le crains.

— Et qui a enfermé le corps dans ce coffre, puis immergé celui-ci avant de s’enfuir en Suisse ?

— Hélas !

Il se signe, tête basse, en trois exemplaires.

Mais ça ne fait pas mon beurre.

— Alors, cette sortie secrète ?

Il me désigne une niche, au fond du couloir, dans laquelle subsistent les restes d’une statue de marbre fortement endommagée.

— La statue bascule. Allez !Vous ne venez pas ?

— Pas tout de suite…

Il nous quitte pour s’approcher du coffre ex-fort. Bon, qu’il se fasse gauler si ça lui chante, je ne demande que ça. Lui préfère être le dernier du culte.

On les met avec Marika.

Oui, la statue bascule.

Le boyau étroit qu’elle nous découvre s’enfonce dans un noir tellement dense qu’il en paraît quasiment blanc. Je remets la statue debout, ce qui est treize zézé. Puis on s’en va en se heurtant aux parois, comme deux suppositoires aveugles dans le rectum d’Amin Dada.

* * *

Tu parles d’un cadeau !

J’espérais ressortir à l’autre bout de la ville, moi.

Et au lieu de ça, on débouche niaisement dans l’immeuble voisin, qui est un petit palais croulant.

Juste au point que j’en émane, sur un étroit trottoir qui longe le Rio Evviva, je télescope un individu coiffé d’un chapeau affaissé, lequel tient un walkie-talkie. Ce mec est plus que gros, plus qu’obèse, il est positivement énorme, et j’en passe.

Comme je lui vrang le bide, il se fout en pétard et m’enguirlande. Et alors je reconnais tu devines qui ?

Le flic-mammouth auquel on nous conduisit au début de cet admirable récit.

Tu sais, y a un proverbe flahutin qui dit : « Qui tu vois t’a vu ». Eh ben c’est vrai pour ce pachyderme déguisé en cétacé. Comme je porte une robe, il met une bricole de temps à me souviendre, et puis, pousse un barrissement de cachalot touché par le harpon du terre-neuvien. Et il égosille dans son walkie comme quoi c’est moi, et que je suis là, et qu’il faut se rabattre d’urgence, fermer le quartier à double tour, ne laisser passer personne, arrêter tout le monde, même la fuite du temps, le progrès, la musique, les femmes, les enfants, les vieillards, les curés, le pape s’il s’aventure.

Je prends Marika d’une main, je flanque de l’autre mon pied dans le ventre de ce gros bavard, et puis pour finir c’est les jambes à mon cou. Tu te rends compte ? Tout ça avec juste deux mains qui ne sont même pas deux mains droites, s’y faut être doué ?

On cavale. Mais on n’ira pas loin.

Nous sommes à Venise, t’es au courant ? Quand on y marche dans cette fabuleuse ville, c’est toujours sur un îlot. Pour passer sur un autre îlot tu dois absolument traverser un pont.

Or, les ponts minuscules, en dos-d’âne, si romantiques, sont gardés. Y a des matuches à chaque, tonnerre de bonsoir. Non : pas mèche, comme disait un vilebrequin que j’ai beaucoup aimé. Nous sommes là comme deux rats dans une, etc. (ici, je place un « etc. » pour t’épargner le cliché de la nasse qui me pue au nez).

Et ça se pointe d’un peu partout, la flicaille. On se réfugie sous un porche très bas, espèce d’entrée à bateaux fermée par une grille. Des rats se sauvent de notre vue. Des gaspards gros comme ma cuisse, cré bon gu ! Je secoue la grille. Plus exactement je feins, vu qu’elle est insecouable, étant scellée comme une lettre de Louis XIV au gardien du Masque de Fer.

Pris.

Question d’une minute, de deux au plus.

C’est alors que le glabouillis frileux d’une gondole glissant sur l’eau sombre…

* * *

— Embarquez fissa ! ordonne Bérurier.

J’ai dit Bérurier ? T’es sûr ? Je ne me goure pas ?

Alexandre-Benoît Bérurier, dit Béru, dit le Gros, dit le Mastar, dit le Mammouth, dit Sa Majesté, dit l’Enflure ?

Lui ! Ici ! Vivant ! En chair et en os ! En graisse ! Opportun plus que jamais jamais.

Il est au volant d’une gondole, c’est-à-dire à la rame.

En maillot de corps à grille (celui qu’il change en mai-qu’on-peut-faire-ce-qu’il-te-plaît, et ne troque contre un en laine que le 1er octobre).

Rien que son maillot de corps.

Le reste est à l’air. Dieu merci il y a l’obscurité… Mais on devine une ombre gigantesque devant lui, une sorte de deuxième rame qui, pour l’instant, suit les caprices du courant.

— Remuez-vous le cul, quoi, bordel !

Oui, c’est bien le Gros, plus d’erreur. J’ai reconnu sa silhouette, son sexe, sa voix et son vocabulaire.

— Faut que vous vous étreindiez, sur le banc d’la pirogue, avoir l’air d’amoureux.

On obéit.

Le Mastar se met alors à ramer, ce qui n’est pas rien, car le tour de main touilleur des gondoliers, j’sais pas si t’es au courant, mais faut le choper !

Et tout en ramant, il se met à chanter à pleine voix. Brave Béru ! Comme il est psychologue. Comme il sait qu’un fuyard doit faire du raffut pour avoir des chances de passer inaperçu ! Il met toute la gomme, façon donneur de sérénade. L’heure esquisse qui nous grise, il y va plein tube, Pine-au-vent. Une canzonetta de sa composition, sur l’air de Retour à Sorrente.

O la bella zifoletta Qué zé té fous dans lé frifri Car tou mé fé dressé la couetta Dou matino jusqu’à midi

Et on passe…

Sous un pont garni de flics.

Je roule des pelles sauvages à la mère Marika. Béru invente d’autres couplets.

On passe.

Au fil de l’eau…

On vire dans un autre rio, se cognant parfois aux berges cimentées, car notre gondolier n’a pas son permis A, mais on passe.

Et passer, repasser, c’est s’éloigner, t’es bien d’accord.

Le Mastar brame toujours. Sa grosse biroute brimbale comme le bourdon de Notre-Dame un jour où l’on sert le Te deum à la cathédrale.

Il chante, et sa belle voix de mélécasse-noble monte le long des canaux, escalade les façades des maisons pour, ensuite, filer jusqu’aux étoiles d’Italie. Maintenant, c’est sur l’air de O sole mio qu’il laisse aller sa verve romantique :

La bella bita Qu’oun chibro commako

Je continue d’embrasser Marika, d’abord parce que c’est plus agréable que de cirer des godasses de facteur rural, et aussi parce que ça m’empêche de poser d’ardentes, d’impétueuses questions au Gros.

Voilà, on a largué la zone dangereuse. On dépasse la gare. Ça devient banlieusard… Enroué, Sa Majesté se tait.