Et il se remet à ramer.
Et moi, je biche la Marika par son épaule frissonnante. Rebelote, je lui fignole une pelle roulée !
— Vous avez l’air de deux gougnes, rigole Bérurier dont la rame continue de tâtouiller l’eau sombre, et le big zob d’aller et venir au rythme de notre noir esquif.
— Marika, j’soupire.
— Oui ?
— Vous sembliez ivre de rage tout à l’heure, en constatant le décès de Spontinini, et pourtant, dans votre colère, vous m’avez affirmé le détester…
— Je le haïssais. Ce n’était qu’un monstre sanguinaire, un vieux maniaque avide, jamais assez riche, jamais satisfait des autres non plus d’ailleurs que de lui-même, l’une de ces bêtes malfaisantes comme l’humanité en invente parfois pour faire croire aux hommes que le diable existe.
Beau, non ?
Bien dit. Le Gravos s’en arrête un instant de ramoner la vase pour poser sur ma compagne un regard admiratif, plus appuyé qu’une ventouse de caoutchouc à déboucher les éviers.
— Alors ? demandé-je, doucement, susurreusement, du bout de mes lèvres compuctueuses, toujours prêtes aux baisers les plus rares, les plus profonds, les plus naninanères ; alors, ma jolie, que foutiez-vous, des mois durant (et même Dupont) auprès de ce requin faisandé ?
Elle reste sans répondre. Et pourtant quelque chose m’avertit qu’elle répondra à ma question. Et comme j’ai ce sentiment bien ancré, je ne bouscule rien. Je sais qu’elle répondra à cause de cet instant particulier à bord de cette gondole glissant sur l’onde de la nuit. Elle me répondra car c’est un moment à part. Un moment comme ça, tel qu’il en existe fort peu dans la vie. Un moment où plus rien n’a d’importance : ni toi, ni les autres, ni qu’il y ait un Dieu ou rien du tout. Un vrai moment, quoi.
— Ecoutez, San-Antonio, mais que ça reste entre nous…
— Tout restera entre nous, mon cœur, y compris nous deux.
— J’appartiens à la section politique des Services Secrets américains.
— Voyez-vous !
— Vous savez que nous allons avoir dans quelque temps de nouvelles élections présidentielles ?
— Comment l’ignorerais-je, on nous en rebat les oreilles !
— Les candidats, le républicain et le démocrate sont pratiquement connus, bien que leurs conventions ne les aient pas encore officiellement désignés.
— Je sais.
— Nos services ont, comme il se doit, épluché leur passé à l’un et à l’autre. Ils n’ont rien découvert de marquant ; pourtant, aux dires d’un ancien gouverneur qui a fait ces confidences sur son lit de mort, l’un des deux candidats à la présidence aurait, comme on dit chez nous : un cadavre dans son placard. Et le sénateur en question a déclaré que Carlo Spontinini qui régnait sur la Mafia au moment où la chose se serait produite, était au courant de tout.
Je frappe mon poing dans le creux de ma main (pas de la même, bien entendévidemment).
— Bon Dieu, Marika, et vous vous êtes introduite dans la vie de ce forban pour, au fil des semaines, gagner sa confiance et lui arracher les vers du nez ?
— Voilà !
— Vous avez obtenu du positif ?
— Pas encore, car le bougre était plus méfiant que cent chacals, mais enfin ça se dessinait un peu, et sans doute serais-je parvenue à un résultat…
Elle hausse les épaules, soupire sur son échec.
— Duquel des deux candidats s’agit-il, ma chérie ?
Elle tourne vivement vers moi son beau visage plein d’une farouche énergie. Cette gonzesse, elle me l’a prouvé, ne recule devant rien quand elle a une mission à accomplir.
— Ah non ! s’écrie-t-elle, regrettant déjà d’avoir parlé : dans notre job, les confidences ont des limites !
— Et toc ! rigole l’Enflure ; à une aut’ fois, soyez moins rare ! D’abord, qu’est-ce ça pourrait nous branler, leurs histoires de Président, j’te demande. On a les flot’, non ?
Un flamboiement de fureur m’anime. Je voudrais foutre au jus cet être que je pleurais encore quelques minutes plus tôt. Mais la vue de ce gros bide poilu, de ce paf monumental qui bat le temps, de ce sourire assoiffé, de ce regard de toutou revenant de repêcher ta casquette me déconnecte la rogne. Au lieu d’exploser, je me contente de lui lancer sèchement :
— Remets ton slip, gondolier !