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Du coup j’examine la situation d’un œil intéressé. Nous sommes au premier. Des flics en surnombre se pressent un peu partout. Dehors, il y a un perron ponctué d’un ponton. On ne va pas se tailler à la nage dans les canots !

— Trop risqué, dis-je au Gros. Ce serait compromettre nos chances de nous faire blanchir par Paris. Et Pépère d’annoncer :

— Qui ne risque rien n’a rien.

J’ignore si nos deux méchants comprennent la langue de Lecanuet, toujours est-il qu’on jacte en arguche de barrière, façon javanaise pour n’être pas compris d’eux.

Ils nous entraînent au bout du couloir, mais dans la direction opposée à celle de notre arrivée. Là un autre escadrin nous attend, qui va dans des profondeurs salpêtreuses. Le vrai cul-de-basse-fosse, comme le père Louis XI affectionnait, selon la croyance populaire.

Au tournant des marches, j’aperçois des grilles. Le tout est éclairé par des loupiotes implacables, très fortes, qui répandent une lumière de bloc opératoire.

Un flic galonné, blanchi sous le machin, lit la Stampa, à califourchon sur une chaise. Au-delà des grilles, des gens prostrés, que l’on vient d’encager pour une garde à vue, attendent que leurs destins suivent leur cours.

Le poulet qui me convoie siffle entre ses dents. Lors, le garde-chiourme quitte à regret sa chaise et son journal et empare une clé féroce fixée à un crochet de sa ceinture.

— Bien, m’annonce Bérurier, pour ce dont ce qu’est de ma part, j’vas leur prendre un congé de toute beauté. Arrange-toi avec ton julot, moi j’m’charge des deux aut’.

Il a de grands moments, Bérurier. Parfois, ses prouesses touchent au sublime. Une masse comme voilà lui, déguisée en tourbillon, c’est à peine croyable.

Tu sais, sur leurs dessins, les humoristes restituent le mouvement en s’abstenant de dessiner certaines parties du sujet.

Ici, kif. En une particule de seconde, le Gros n’a plus de bras droit ni de jambe gauche. Le v’là fugacement monobras et monojambe. Mais pas monolithique ! Son bras droit qui se termine par un énorme poing a tiré un crocheton au bouc de son escorteur, et sa jambe gauche qui s’achève par un pied à forte pointure a visé les burnes stagnantes du surveillant. Le tout donne deux mecs inanimés. Me reste plus que de frictionner le mien. Bon : un pas en arrière, une manchette en avant. Sur la nuque : tchloc ! Et tout est dit.

Dans les cages, les gonzes arquepincés, comme on dit puis dans Hugo, hurlent comme aux arrivées sur un champ de course. Ils passent leurs bras à travers les grilles, pour qu’on les délivre, mais dis, faut pas pousser, nous on est pour le parfait déroulement de la justice et on ne va pas se mêler de merdifier nos collègues transalpins.

Alors on rebrousse chemin. Quatre à quatre on retourne au grand couloir bourdonnant. Là, on se met à arquer d’une manière posée, pas attirer l’attention. Mais ce qu’on fourmille des cannes, si tu savais ! Faut absolument évoluer au ralenti, sans la moindre hâte, en devisant comme deux gens dont la conscience ferait de la publicité pour une lessive à la télé.

Mais Dieu qu’il est long, ce couloir. Je me dis que sur trois types mis k.-o. l’un d’eux ne va pas tarder à récupérer ses esprits. Et alors, ce foin !

Les secondes s’égrènent à chaque deux pas de nous. On arrive au monumental escadrin de l’entrée. Toujours rien. Mais je me dis que notre pain blanc va changer de couleur bientôt, car pour quitter cette honorable demeure, il nous faut une embarcation. Est-ce qu’on hèle les vedettes-taxis, à Venise ? Font-elles de la maraude ?

Y a bien les gondoles, seulement pour échapper à la Rousse, c’est p’t-être un peu gnagna, non ? Ça y est : la meute est lancée. Des cris s’élèvent dans les profondeurs de l’hôtel de police.

On se grouille.

Le perron, avec les badernes de service qui crachent dans l’eau pour précipiter le naufrage de Venise.

Juste comme on se pointe, une vedette ronronne et le beau dandy que nous avons croisé un moment plus tôt y prend place. Nous sautons dans la vedette presque en même temps que lui.

Il proteste.

— Ta gueule ! lui dit Béru en braquant sur cet éphèbe un regard beau comme deux rubis de cinquante carats chacun.

Le pilote se lève, mauvais, pour nous expulser. Un mec que j’ai pas le temps de bien visionner car Béru l’a déjà filé dans la citrouille d’un coup de boule. Tandis qu’il barbote parmi les chats crevés et les étrons en dérive, je m’installe au volant. Pleins gaz !

J’enquille le premier canal à gauche. Une voie étroite entre deux alignées d’immeubles. Un gondolier qui se la radinait dans le crépuscule, avec deux Hollandais en vacances, est pris de plein fouet. Son carrosse noir est éventré. La Hollande rejoint son élément zuiderzien naturel. Et le gondoleur reste comme un con, autour de sa longue rame, comme une cerise confite après son bâtonnet dans un Pim’s number ouane. On passe. En six secondes me v’là à l’extrémité de ce petit brimborion de canal.

« Oh hé ! » s’annonce un gondolier sur tribord. Je vire sur bâbord, toute. Merde, le son s’était mal répercuté, et il arrivait de la gauche, le deuxième gondolineur. A la pointe de sa pirogue, y a une superbe tronche de dada en cuivre. J’sais pas le hasard des télescopages, mais v’là que la tête de bourrin se retrouve dans notre vedette. Et le second gondolier va se ramer la prostate au sein de l’eau verdâtre, tandis que ses clients qui chantaient O sole mio pour faire plus voyage en Italie, regardent la tisane grimper le long de leurs chaussettes.

Mais ne nous attardons pas en de puériles constatations. Le temps presse ; que dis-je : il urge ! Je me rends bien compte qu’une telle balade en barlu ne nous mènera pas loin.

Alors j’enquille deux ou trois canaux, puis, parvenu à l’hauteur d’un pont, je coupe les gaz et aborde un escadrin conduisant à la calle du dessus. Béru qui a pigé aide à la manœuvre. Saute sur les marches de pierre verdies. Je le suis. Un coup de tatane dans la vedette et la v’là qui se file en travers du canal juste comme se pointe une autre. On s’attarde pas à admirer le télescopage. Dans la vie il faut savoir ce qu’on préfère de sa sécurité ou de la noyade d’un pédé.

Le chouette de Venise, c’est l’étroitesse des rues, leur grouillement sauvage, tous ces cons Kodak venus de multipart, si éblouis, si photographes, si tartemolles… Un vrai beurre ! On les bouscule sans seulement qu’ils s’en rendent compte. On les porte d’un magasin de droite à une vitrine de gauche et ils moulent une bijouterie-quincaillerie pour une chaussurerie sans seulement s’apercevoir de la différence.

— On a bien fait de les mettre, non ? soupire Bérurier.

— Je n’en suis pas si sûr ; il va y avoir chasse à l’homme !

— Chasse à l’homme ma bite, y z’ont d’aut’ chaglaglates à fouetter. Ici, tu penses. Et d’ailleurs, comme on n’avait pas nos brèmouzes y n’ont pas z’eu nos noms.

— Sans fafs, ça va être coton de s’installer dans un hôtel. A moins que…

— A moins que quoi ?

— A moins que je n’aille récupérer mes papiers auprès de l’aimable dame qui me les a secoués…

— La gonzesse au truand ?

— Qu’en penses-tu ?

Il résume assez bien le topo, Alexandrovitch.

— C’est pour ainsi dire téméraire, assure-t-il. Faut mieux prendre quéques précautions.

— Qu’entends-tu par là ?

Il me désigne une placette avec une église.

— Allons réciter un bout de prilière, si ça nous arrangera pas les bidons ça ne nous les défoncera pas davantage.

Il rit en coin, comme lorsqu’il tient une belle idée.

CHAPITRE PREMIER

QUI S’ENCHAÎNE COMME TU VAS VOIR…