San-Antonio
Remouille-moi la compresse
A
Marie-Geneviève BROCHARD
A
Norbert DORS
qui tant et tant me remouillent la compresse.
Tendrement.
BOUGRE DE PRÉFACE
Mon constant souci de la vérité m’oblige à révéler que j’avais initialement intitulé cet ouvrage la Chartreuse de Parme car vous verrez, au cours de ces pages échevelées, que Pinaud y boit de la Chartreuse verte et que Béru y commande du jambon de Parme.
Mais mon éditeur, fin lettré et homme intègre jusque sous son bandage herniaire, me fit remarquer qu’un autre écrivain dauphinois, également embusqué sous un pseudonyme, avait utilisé ce titre avant moi ; chose que j’ignorais de la tête aux pieds. En conséquence, je décidai spontanément de laisser au sieur Beyle ce qui appartenait à Stendhal et optai pour un autre titre qui, tout compte fait, se révèle plus moderne et cerne mon histoire de plus près.
On pose des compresses dans cet ouvrage édifiant et on y mouille énormément, au point que je conseille à mes chères petites lectrices de laisser leur slip au vestiaire.
Le parking est gratuit.
PREMIÈRE JOURNÉE concernant les faits, hauts faits, méfaits, mésaventures, vécus par l’illustre commissaire San-Antonio, ainsi que par l’inénarrable Bérurier et par le fameux Pinaud, dit Pinuche, dit la Pine, dit Pinaudère, dit la Vieillasse, dit Baderne-Baderne, dit la Guenille, dit le Fossile, dit Tarzan, dit Bite-en-Bronze
Ça devait arriver.
Ils ont voulu m’avoir, ils ont perdu.
Et maintenant ils s’en vont à la dérive de mon âme. A la dérive du temps qui meurt plus vite que nous, à chaque seconde, ce grand con hilare. A la dérive de la vie qu’on leur a offerte et sur laquelle ils ont déféqué, les malpropres !
Ils sont habillés de mes crachats, regarde ! Vise-les, rutilants de beaux glaves qui leur stalactitent de partout. Mignons dans leur costume à paillettes bourrées de staphylocoques dorés.
Pauvres chers et retentissants foireux foutriques.
Oh ! les amours peints à fresque sur fond de néant.
Ils croyaient m’avoir.
Ils ont failli.
Ils ont perdu. Je meurs sain et sauf.
Je leur avais tant tellement laissé espérer que ma patience n’avait pas de limites qu’ils le croyaient.
Et puis, tu vois : elle en avait.
Ils ont fait le pas de trop par-dessus ma résignation. Un pied sur Sana, l’autre sur une peau de banane ; et l’Antonio est devenu plus glissant que la banane, alors, boum ! Descendez, personne vous demande ! Au tas, mes drôles ! A la grande casse ! Reste plus à César qu’à vous déguiser en compressions ! Ils vous bichent par paquets de vingt, vous écrabouillent à outrance pour enfin vous donner votre véritable dimension, vous déguisent en objet bizarre, en trous du cul empilés, juste si on aperçoit un poil, çà et là, pour se rappeler que vous fûtes horriblement.
Ah ! vous vouliez le posséder, le San-A. ! Eh bien, zob ! zob ! zob !
Non, mais sans blague !
Vous vous figuriez quoi t’est-ce ? dirait Béru. Que j’allais dire amen jusque dans mon cercueil ? Me laisser fourrer tout azimut, sodomiser jusqu’à la gorge ? Vous remercier de vos belles enculades ? Crier « encore » ? Vous payer la passe ? Hein, je parie que c’est ça que vous attendiez ? Que je douille piaule et coup de verge, que je fournisse la savonnette et la serviette (nids-d’abeilles) ?
Raté !
J’ai réagi.
Et à présent c’est fini, vous tous et moi. J’en ai marre, on n’en parle plus qu’au passé. D’un instant à l’autre vous m’êtes devenus vachement lointains, improbables j’ajouterai ; vous ne me subsistez qu’à l’état d’auréoles, comme le foutre sur un drap. Cartes de France, de Bulgarie, des Philippines ou du Ruanda. Jusqu’à vos sales odeurs que je perçois plus, c’est vous dire ! Elles qui m’incommodaient plus fort qu’un égout en été, qu’une fosse à merde bouchée, que des menstrues négligées, que des œufs punais, que la cuisine à Jacques Borel et qu’une charogne décomposée. Mon nez vous a radiés. A force de ne plus pouvoir vous sentir, je ne vous sens plus. Il y a encore des miracles en ce monde. La multiplication des pains dans la gueule : banco ! J’ai enfin résurrecté. Lave-toi et mâche ! Je vais. Là où je vais, vous ne pouvez plus me suivre. Bye-bye ! Vous restez sur la rive, sur la terre, tandis que moi, visez un peu ! Vous le matez bien, cet envol ? Y a rien qui gêne, qui vous obstrue ? Vous assistez au grand lâcher de San-Antonio, mesconnes, mescons. Départ immédiat. Il vous dit merde un dernier coup, vous adresse un ultime bras d’honneur. Attention… Prêts ? Go !
Cette gonzesse, pour tout te dire, elle baisait de force 8 sur l’échelle de Richter. Et il lui arrivait même d’en briser les barreaux. Elle se prénommait Caroline, mais j’en avais rien à branler car, lorsque j’avais à lui parler, je lui disais simplement : « Tourne ton cul, ma gosse ! » Ou bien « Fais-moi la petite pipe de l’amitié, chérie », et ça économisait vraiment son prénom, à tel point qu’elle aurait pu en faire cadeau à une enfant trouvée pour la dépanner si le cas avait échéé. Te dire l’ingratitude qui règne sur nos testicules : je suis infoutu de me rappeler sa couleur pileuse. Je crois que sa toiture était blonde, mais question de la cave, c’est le trou. Pourtant j’ai eu des tête-à-tête plus fréquents avec son hémisphère Sud qu’avec le Nord, à tel point que quand je visionnais sa figure, je me surprenais à penser : « Tiens, elle a oublié de mettre son slip » ! Le monde renversé, quoi ! Y a rien de plus facile à renverser que le monde. Les pôles, c’est une simple question de convention puisque la Terre est ronde. Et si je te disais que le Nord c’est le point non magnétique qui fout la paix à la petite aiguille de la boussole, qu’est-ce t’aurais à répondre, Glandu ?
Je l’avais connue où donc, cette fille ? Là encore, je dois laisser un blanc ; p’t-être que ça me reviendra avant la fin du book ; de toute manière, tu t’en tamponnes et t’as raison. Certains détails enrichissent un récit, mais certains autres l’encombrent. Le grand romancier doit discerner et bon escienter. De ce côté-là, j’ai pas à me plaindre. Comme me disait le duc de Castries : « Quand je vous lis, ça me les coupe », à ce point qu’il apprécie ma rigueur, monseigneur m’sieur le duc.
Faut pas croire, mais malgré ma verdeur de langage et mes estropiades linguistiques, je suis lu jusque dans les sphères de la Loterie nationale.
Donc, la grognasse en question. Une belle nature ! Du tonus, du mordant, l’aubaine ! Mariée, je signale, et pas mal du tout, avec un agrégé plus ou moins désagrégé du calbute puisque Ninette devait baiser au noir pour assurer les fins de mois de son système glandulaire. On se retrouvait à son domicile, rue de Richelieu, de la manière ci-dessous. Outre un bourgeois appartement, son vieux et elle disposaient d’une chambre de personnel qu’ils destinaient à leur parenté puisqu’ils n’avaient qu’une femme de ménage polak qui se prétendait cousine du cher Jean-Paul II (et je retiens 1, comme dit Coluche). Tu m’avais déjà compris, c’est dans la chambrette du sixième mansardé que nous batifolions sur fond de papier cretonne, l’après-midi, pendant que l’agrégé expliquait à des garnements s’enfoutistes les subtiles arnaqueries de Louis XI envers le Téméraire.
J’ai toujours été très sensible aux lieux et aux objets. Ils sont complémentaires des personnes. Une étoffe me fait frémir l’étouffe-chrétienne, une chambre sous les toits me survolte les sens. D’autant que ma conquête avait meublé celle-ci avec un plumard de famille, haut sur pattes, en noyer brillant comme des hémorroïdes, couronné d’une couette qui rivalisait avec la mienne ; d’une table de noyer à l’ancienne, avec dessus de marbre, d’une commode louis-philipparde, d’un fauteuil à crémaillère garni de velours râpé et d’un tableau que ça représentait une grande connasse en robe à paniers et à gueule de brebis sur une balançoire. Le charme discret de la petite bourgeoisie de province « montée » à Paname. L’ensemble créait une ambiance propice à mon accomplissement sexuel. Je m’y sentais comme chez une grand-mère absente dont la petite-fille serait la plus pure salope du 1er arrondissement.