Выбрать главу

— Dites, ça vous ennuierait de venir chez moi, monsieur le commissaire ?

— J’y serai dans moins d’une heure.

— Merci.

On se sépare provisoirement. Je regagne la salle à manger où Félicie sert le café. Mme Pinaud préfère une tisane pour cause de système nerveux déficient.

Je narre à Pinuche les déboires de Mme Chapoteur.

— Elle m’a l’air commotionnée, il faut que je la voie d’urgence. Vous voudrez bien me pardonner, mes amis, mais le devoir commande !

Mme Pinaud répond que c’est bien naturel, car elle reste urbaine malgré son agonie.

— Je t’accompagne, décide la Vieillasse.

— Mais, comment ta chère épouse rentrera-t-elle chez elle ?

— Elle sait conduire, imagine-toi, n’est-ce pas, ma Bichette, que tu as un coup de volant remarquable ?

Le compliment faisant passer le lâchage, elle nous adresse une moue de confusion et nous mettons le grand développement.

Oui, nous partons dans la nuit fraîche, à l’heure où, du côté de la pointe du Raz (gratis) le sinistre océan jette son noir sanglot.

Nous partons pour, une superbe demi-heure ensuite, débarquer cité Bergère. Des flonflons émanent. Des dames vendeuses de fesses promènent leur magasin le long du trottoir. Un aimable retraité du nom d’Evariste Lamoché, 68 ans, ancien contrôleur des postes, trois enfants plus une fille, comme dirait mon pote Marcel qui est moins féministe que moi, se contente de promener son chien, un boulevardier à poils rêches.

— Tu montes, chéri ?

L’invite s’adresse à César.

Surpris, il s’arrête pour considérer la proposeuse, une très grande et très forte Noire sobrement vêtue d’un tutu et d’un collier de perles, qui tient un fouet en guise de sac à main.

— Ma chère petite, lui dit-il, votre proposition n’est pas dénuée d’intérêt, encore faudrait-il que je susse vos prix.

— T’as combien de balais, grand-père ?

— Que voilà donc une question indiscrète ! proteste le Dédoré. En quoi mon âge importe-t-il ?

— Question de temps, biquet. Avec le carat que tu trimbales, rien que dans l’escalier je suis certaine de perdre cinq minutes ; et ensuite on se lance dans l’inconnu.

— Ma belle enfant brune, déclare le Sagace, pincé, il ne faut pas juger les gens sur la mine et vous seriez surprise de constater, non seulement mon état de fraîcheur, mais encore ma promptitude à assouvir les penchants de nature.

— Alors je te fais un forfait, belle guenille bleue : deux cent cinquante pions pour un quart d’heure d’extase exotique, tu peux résister ?

— Si mon ami consent à me prêter la somme, foi de gentilhomme, je vous appartiens ! déclame le vieux tétrapode vertical, avec la fougue d’un d’Artagnan s’embroquant Maâme Bonacieux.

Car il est toujours raide comme barre, le dabuche, sa rombière tenant fermement les cordons de la bourse, en brave petite fourmi malade qu’elle est.

J’aligne trois bifs de cent à pépère.

— Madame te rendra la monnaie, espéré-je.

— Non, déclare loyalement la Noirpiote, mais il aura le grand jeu !

Marché express, des plus inattendus. Le Fossile s’engage dans un hôtel Moshé Dayan[4] à la suite de la sous-traitante et se met à gravir un roide escalier en attendant d’escalader ladite.

La chose simplement, d’elle-même, arriva. Pinaud, racolé, cède à la convoitise. L’escargot en hibernation sort de sa coquille. Et voilà la bébête à César qui monte, qui monte, qui monte.

Il est revenu, le temps du muguet !

Peu soucieux d’attendre un quart d’heure devant ce dégorgeoir[5] à bipèdes, je poursuis mon chemin jusqu’à l’immeuble de la dame Chapoteur.

Le porche est accessible. Chez la concierge aux rideaux tirés, Alain Decaux raconte à la France l’attentat de l’Observatoire. Vais-je importuner cette brave pipelette au plus fort de la palpitante aventure ? Que non point car un panneau en carton révèle les noms des locataires et la position de leur appartement. Adrien Chapoteur occupait le troisième gauche de la maison avant de se retirer au premier sous-sol du Père-Lachaise.

Pas d’ascenseur ! Comme je n’ai pas le temps d’en faire aménager un, j’imite mon vieil ami Pinaud en bravant l’escadrin.

En quatorze fortes enjambées j’atteins le troisième niveau. Les Chapoteur avaient orné leur porte d’une ravissante plaque émaillée où leur magnifique blaze s’étale en biais et en anglaises bleues sur fond blanc, avec une pâquerette dans l’angle inférieur droit et un myosotis dans l’angle supérieur gauche.

Je sonne sans forfanterie, avec la sobriété d’un amant revenant sur les lieux de son coït pour tenter de récupérer son pantalon qu’il a oublié en partant. Tu vois ?

Nobody ne me répond. Je sonne à nouveau, en montant d’une octave. Le silence se nivelle tout de suite après. Alors, tout comme toi, je pressens du moche et fais appel à mon sésame. La serrure cède sans trop de chichis, malheureusement, y a une chaîne de sécurité sociale, à l’intérieur.

— Madame Chapoteur ! hélé-je, comme un Hellène ailé. Tu veux que je te dise ? Tu le veux complètement en plein tout à fait ? T’es certain ? Tu regretteras pas ?

Alors, rien !

Sauvagement rien. Pas un bruit, pas un son, toute vie est éteinte.

Je reprends, mais en chantonnant pour faire plus enfant de mutin :

— Ohého ! Madame Chapoteueueurrrr !

Tu veux que je te redise ?

Zob !

N’écoutant que mon fourrage, je prends deux pas de recul.

En biai…. ai… s, biais !

Sus !

Braoum ! Clinc, clinc, cloc !…

La chaîne de sûreté, pas si sûre que ça, a claqué et tintinnabule.

Comme tout ce qui est conventionnel, elle ne représentait que l’idée qu’on pouvait se faire d’elle. C’est cela, un rempart : une simple illusion réconfortante, mais il n’en est pas d’inexpugnable.

J’entre.

Suis-moi, n’aie pas peur.

L’appartement est vieillot, petit-petit-bourgeois, de bon thon comme disait une morue. Un vestibule formant entrée, des portes, dont l’une est double et vitrée avec des carreaux de couleur, façon cathédrale (Chartres sans Péguy). Je commence par celle-ci. Elle donne sur un living-salle-à-manger-salon-bibliothèque. Pièce assez vaste où sont rassemblés quelques gadgets de l’époque gallo-moderne : télévision, tourne-disque, téléphone, transistor.

Dans le coin télé, se trouve un canapé avachi. Mme Chapoteur y est étendue. Elle tient un pistolet dans sa main droite. Il manque une balle au chargeur et celle-ci se trouve dans le cerveau de Mme Chapoteur.

Sa tempe est toute roussie, du sang en a coulé, pas des masses, en un ruisselet qui s’est perdu dans les sables mouvants des coussins placés sous sa tête.

Je ne touche à rien. Je constate simplement qu’elle est farouchement morte. Aucune trace de lutte. La pauvre femme paraît détendue, comme presque tous les morts au bout d’un moment. Je m’approche de la table basse située devant le canapé. J’y trouve un verre à demi plein, une bouteille d’eau à demi vide, un tube de Valium contenant encore quelques gélules, une pointe achetée au baron Bic, un bloc de papier pour correspondance sans apparat sur la feuille du dessus duquel[6] je lis :

Monsieur le Commissaire,

Je n’ai pas le courage de vous attendre, je préfère en finir avec ma pauvre vie qui dérange. A quoi bon lutter quand on a tout perdu et qu’on se retrouve seule, seule, seule !

Georgette Chapoteur
вернуться

4

San-Antonio n’a pas osé écrire « un hôtel borgne » car c’est un auteur extrêmement pudique, voire même ludique.

L’Editeur.
вернуться

5

Dégorgeoir : issue par laquelle un trop-plein se dégorge.

ROBERT (le petit).
вернуться

6

Comme l’écriraient vingt-huit académiciens que je connais.

San-A.