L’arrivée de mes copains réveille l’épave pinulcienne. Mon compagnon glapatouille des salutations auxquelles onc ne prend garde, car on sait bien que César en a souvent un coup dans les galoches, le soir surtout.
C’est le bouzigage habituel. Flashes, empreintes, récupérations en tout genre. L’effervescence de mes vaillants auxiliaires me gagne et je décide d’inventorier un peu les lieux avant de me rentrer at home (comme disait le duc de Savoie). Jusque-là, fidèle à mes habitudes, je me suis contenté de m’imprégner, de gamberger. Mais maintenant il s’agit d’aller plus loin avec Georgette Chapoteur. Qui était son vieux ? Que recevait-elle comme courrier ? Je commence par fourrer son fichier téléphonique dans ma poche pour l’étudier à tête reposée, ou à bras raccourcis, ou à bouche-que-veux-tu, au choix, mais décide-toi vite, j’ai un acheteur pour le reste.
Dans la chambre, je me consacre à un vieux secrétaire de noyer à dessus de marbre noir. J’y déniche beaucoup de lettres, de factures, de photos, réparties, soit dans de grandes enveloppes jaunes, soit en petits paquets attachés avec des rubans.
Je fourre l’ensemble dans un sac de voyage déniché dans l’armoire. Voilà du turbin pour Mathias, mon rouquin à tout faire.
La suite de mon exploration ne me livre plus rien d’intéressant.
Je passe récupérer Pinaud.
— Tu y es, Casanova ?
La Vieillasse se dresse laborieusement car elle s’est entiflé un deuxième verre à eau de Chartreuse. Elle laisse choir son mégot, entend le ramasser, et son chapeau tombe de sa pauvre tronche. Pinoche lui court après, s’en saisit, veut se relever, mais il a mis un pied sur l’extrémité traînante de son cache-nez et il bascule sur son cul, humble poire blette terrassée par la bise.
— Dites donc, commissaire, y a du vent dans les branches de sassafras, on dirait ? ricane un collègue peu généreux.
J’entraîne Baderne-Baderne, mais il m’échappe avant la porte.
— Tu permets que je prenne… heug… congé de notre aimable… heug… hôtesse ?
Il va, en titubant mou jusqu’au canapé, s’incline devant le corps et susurre :
— Votre Délicieuse était vraiment chartreuse, chère maâme.
Il cueille la main de la morte pour un baisemain ; un début de rigidité paralyse la mondanité. Pinaud me déclare, dans le couloir :
— Charmante femme, mais un peu bêcheuse…
Je le soutiens dans l’escalier. La fraîcheur nocturne ragaillardit mon camarade.
C’est au moment où nous allons prendre place dans ma tire qu’une galopade suspend mon vol (comme l’O.T.A.N.). C’est la grosse prostipute noire qui nous fonce contre.
Elle est en chaudes larmes. Une vraie mousson !
— César, sanglote-t-elle, ne pars pas sans me laisser ton téléphone ! Tu me promets de revenir demain, dis, grande brute ? Tu te souviendras comme c’est bon, nous deux, mon beau Tarzan ? Tiens, prends ! J’ai oublié de te rendre tes trois cents piastres ! Et puis en voilà encore cinq cents pour t’acheter une bricole en souvenir de ta Pelagre Mama-houla J’sutombé. Reviens vite, mon Brutus. Tu verras comme on se la donnera belle ! Je larguerai mon julot, pour ta chère gueule. Je serais ta petite femme, rien qu’à toi, ta gagneuse, ton tapin d’amour ! Mais qu’as-tu fait, toi que voilà, dis, qu’as-tu fait pour m’ensorceler de la sorte ? Tu vas me le dire, bite en bronze ? Comment t’y es-tu pris pour faire de moi ta chose en deux coups les gros ?
Le père Pinaud répond loyalement qu’il ne sait pas, et se met à pisser dans son froc.
DEUXIÈME JOURNÉE, pas piquée des vers, et encore plus attrayante que la première, me semble-t-il, mais je peux me gourer, tu sais comme je déraille ?
Plus Sana puisqu’il se récite, en chien de sa chienne de fusil, ce délicat pouème appris il y a lulure sur les bancs de la communale.
Le canari que j’ai acheté à Toinet pour son annif piaille à gorge d’employé, comme dit Béru.
Très vite, je reprends conscience et les événements de la veille se développent dans mon esprit à une allure supersonique.
L’image qui s’est plantée dans ma caberle, c’est celle du flingueur de poulets, lâchant prise et disparaissant dans les entrailles de la rue de Richelieu. Je me repasse inlassablement le bout de scène. Je revois le visage sanglant, ces pauvres doigts mutilés par le zinc tranchant, cette lourde plongée…
Ma pendulette Cartier (un cadeau d’une délicate femme de dentiste, à laquelle tu aurais donné le bon pieu sans concession, et qui taillait des pipes dans la masse) indique ten to eight, ce qui, en chiffres romains, signifie huit heures moins dix.
Je bâille un grand coup et passe à la salle de bains pour une première mise au point. Ça fourmille sous mon couvercle, ça s’emballe. Dix, vingt, cent projets immédiats me tarabustent le circuit. Par quoi commencer ?
M’man, toujours à l’affût, m’a entendu me lever et vient me demander à travers la lourde si je veux mon caoua tout de suite ou bien après ma toilette.
— Illico, ma chérie, réponds-je.
— Je te le monte ou tu le prends en bas ?
Le ton est neutre, mais je sais qu’elle espère me voir descendre. Prendre le café dans la cuisine, ça veut dire lui accorder un moment de tendresse à ma Féloche. Elle va amener une tasse pour elle au bout d’un instant, s’adosser au bloc évier et touiller le jus en m’écoutant.
— En bas, m’man.
— J’ai des croissants chauds que Maria a amenés.
— C’est pas raisonnable, j’avais décidé de faire un régime ; je commence à prendre un peu de bureau.
Elle proteste.
— Un régime ! Toi ! Mais tu es plat comme ma planche à repasser.
Ah ! les yeux d’une mère !
— Envoie l’Espagne acheter le journal, ma douce.
— Lequel ?
— Peu importe, c’est pour lire où en est mon enquête !
Elle rit, croyant à une boutade, et cependant c’est vachetement textuel ce que j’avance. De nos jours, les journalistes sont devenus de véritables enquêteurs et il leur arrive d’apprendre des trucs sur certaines affaires que la police ignore.
Je mets en route mon transistor. A Europe, dix connards sont aux prises pour trouver le prix d’une douzaine de fourchettes en argent plaqué acier, style Louis XV (1710–1774). L’auditeur no 6 suggère mille quatre cent dix francs, les copains d’Europe révèlent que c’est plus, alors le no 7 pense que ça doit valoir neuf cent trente-trois francs, tant tellement qu’ils sont glandus, ces pauvres connards, coureurs de lots, joueurs de tiercé ou loto, qui comptent sur la chance pour les sortir de la merde dans laquelle ils se confondent, composant un camaïeu impec. La Loterie est aussi indispensable à leur existence que la perspective de la belle à un prisonnier.