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Après ces navrants et leurs rêves éculés, Jean Boissonat vient donner des nouvelles (alarmistes) d’un grand malade, tellement anémié que, bientôt, la différence qu’il y aura entre un franc et un dollar, ce sera un dollar ; mais peu importe, on se barrera du serpent et on troquera. Ma pomme, pour me prendre en exemple, j’échangerai un paragraphe de mes polars contre deux rouleaux de papier hygiénique, l’un et l’autre de ces produits impliquant une complémentarité.

Une page : un kilo de bœuf dans la culotte.

Un chapitre : ma location du trimestre ! Tout un book : un cyclomoteur. Les œuvres complètes : une bibliothèque pour les ranger. Oui, mais comme je ne les aurai plus…

Allez, gars, c’est pas le moment de faire du Devos.

Suivent les actualités. Bon, la routine : ceci, cela, budget (chef-lieu Belley), politique agricole, voyage du président au Zimlaboum, enfin l’affaire de la rue de Richelieu. L’assassin tombé du toit a été identifié (je suis heureux de l’apprendre, comme quoi faut pas se priver de radio), il s’agit d’un certain Francis Télémard inconnu jusqu’à hier des services de police. Sa binette a passé hier soir aux actualités télévisées et son père l’a aussitôt reconnu. M. Télémard père dirige une chaîne de restaurants à prix modérés intitulée Super Bouffe. Il a divorcé d’avec la mère de Francis voici une quinzaine d’années et voyait de moins en moins son fils. On ignore ce qui a pris à ce garçon de jouer les Mesrine, brusquement. Il travaillait dans la publicité ; n’y faisait pas d’étincelles, mais, hein, qui donc en fait de nos jours ? Réponds ! Allez, vas-y, j’ t’écoute…

Ces informations me vexent un tantisoit, car je déplore de les obtenir par d’autres voies que les nôtres qui pourtant ne sont pas urinaires, néanmoins (ou néanplus pour changer un peu) elles abaissent le pont-levis qui me permettra de pénétrer dans le château fort de la vérité. Cette superbe image n’est pas de moi, je l’ai trouvée dans le livre d’un membre de l’Institut et adoptée aussitôt puisqu’elle ne servait à rien.

Enfin, je vais plonger dans l’univers familier de ce mec.

Dans le poste, ils se mettent à causer du tournoi de pénis de j’sais plus où ; mais y aura Duconor (dit Lajoie), Dominique Noix et tout le gratin dauphinois international qui sévit sur femme ou terre battue.

Je coupe et, à loilpé, cavale au palier.

— M’man ! Apporte-moi le café ici et amène ta tasse : je suis pressé !

La môme Maria, une Ibérique plus brune qu’un verre de Guinness et plus moustachue, cul de jument, regard de braise, odeur subtile de salle d’entraînement de boxe, se radine avec le Parisien Libéré, au bout de la rue. Je file un coup de patin pour piquer le baveux. La soubrette me virgule un délicat sourire, rajuste sa coiffure brillantinée à l’huile d’olives et m’annonce qu’il fait soleil, détail qu’en toute franchise de port je n’avais pas remarqué tellement est vive ma tension professionnelle.

Je chatouille le champignon et ne tarde pas à débouler sur le périphérique. Là, un encombrement m’oblige à stopper. Je mets mon stop à profit (et perte) pour ligoter le canard. A la Une, bien sûr, le portrait de Francis, rabiboché par les soins de nos services compétents. Le quotidien ayant été imprimé dans la nuit ne précise pas l’identité de l’homme ; au contraire, il encourage ceux qui le connaissent à la révéler.

Mon regard erre sur le texte. Rien de nouveau. Je sais tout ça. Et puis l’œil de lynx du Sana se pose un peu plus bas. Photo d’une bagnole en miettes. Le titre : Incroyable ! La femme de l’officier de police est sortie vivante de cette épave. En médaillon, la photo hagarde et tuméfiée de la mère Pinaud ! Mon sang ne fait qu’un tour, mais bien !

La chérie s’est plantée hier en rentrant de chez nous ! Elle s’est enquillée sous un camion belge ! Commotion cérérale, les deux jambes brisées, d’autres moindres bricoles !

La voie redevient libre. Je décide de bomber jusqu’à la Maison Poupoule avant d’aller chez Pinaud pour assister l’exquis bonhomme en ces heures cruelles.

C’est l’effervescence des grands jours chez les bonshommes-pébroques. Je prends mon air le plus affairé et me félicite de ne pas m’être rasé. En dénouant ma cravate, je parviens à prendre l’aspect du flic d’élite qui a passé la nuit sur le tas.

Je réponds à peine aux saluts et me jette sur les notes et rapports qui se sont accumoncelés sur mon bureau.

Dans la Maison Bourremen, il n’est question que de l’accident de la mère Pinaud. Certains confrères bien intentionnés se sont déjà rendus à l’hosto pour prendre des nouvelles, mais la pauvre agonisante endémique était au replâtrage, donc invisible. Et tu veux dire quoi à quelqu’un qui est dans la semoule, avec des drains partout et une frime de sorcière dont le manche à balai a voulu foirer ses réacteurs ? Plus inquiétant : mes chosefrères essaient en vain d’atteindre Pinuchet pour « voir ce qu’on peut faire ». Son bigophone ne répond pas. Comme il n’est pas non plus à l’hôpital, on se perd en conjectures variées.

Moi, tu me connais ? La paperasserie, je ne suis pas champion. Un rapport, dès le second feuillet, je bâille, au troisième je dodeline, au quatrième je le fous en l’air.

J’opère pourtant un survol de ces différents documents, n’en conservant que l’essentiel, à savoir : l’adresse de Francis Télémard, ou du moins celle de sa mère, l’adresse de son employeur, celle de son papa.

Ayant griffonné ces renseignements élémentaires, j’appelle Mathias, auquel j’ai confié dans la nuit, avant que de regagner mon gîte, les paquets de lettres trouvés chez Georgette Chapoteur.

Le miraculé (il l’est, car on ne peut trimbaler une telle rousseur sans prendre feu) se pointe, un parchemin à la main. Il a la marotte, ses rapports, de ne jamais les rédiger sur des feuillets différents, mais sur des espèces de rouleaux de papier qu’il coupe à la fin de son travail et qui, parfois, atteignent quatre mètres cinquante de long.

Les tables de la loi ! Cette fois, le papelard ne mesure guère qu’une soixantaine de centimètres. Il l’a roulé menu, ce qui est chiassant à lire car il se rembobine au fur et à mesure que tu tentes de le développer. Déposant sa baguette magique devant moi, il me sourit, non sans fierté.

— J’ai passé ma nuit à tout dépouiller, commissaire.

— Bravo.

— Vous trouverez ici (il désigne la baguette magique blanche) l’essentiel de ce que j’ai découvert.

— Sois gentil, mon vieux Feu-de-Brousse, donne-moi l’essentiel de l’essentiel verbalement ; le temps que je détortille cette papillote, j’aurai atteint l’âge de la retraite et il y aura prescription.

Il gravit (du verbe devenir grave). Tout ce turf pour des clous ! Je suis un supérieur débectant. Décevoir les bonnes volontés est une espèce de crime. Faisant contre mauvaise machine bon chose, Mathias récite :

— Cette dame Chapoteur a vécu un drame pendant des années. Son époux la trompait avec une jeune femme dont tout ce que j’ai pu apprendre, c’est qu’elle s’appelait Evelyne B. Il semblerait que cette liaison ait terriblement perturbé sa vie. Mme Chapoteur avait pour confidente une ancienne amie de pension, Mme Alberte Duhoux, demeurant 9 chemin des Mésanges, à Annemasse, Haute-Savoie. Les deux femmes ont échangé, des années durant, une correspondance assidue. Le courrier de Mme Duhoux nous permet de suivre cette liaison dans toutes ses péripéties : ruptures, rabibochages, interventions fracassantes de l’épouse, demandes de divorce, annulations desdites, bref tout l’aspect orageux de ces sortes de drames matrimoniaux. Une constante dans tout cela : il semble que Georgette Chapoteur n’ait jamais envisagé la perspective de perdre définitivement son époux, pas plus d’ailleurs que d’accepter sa liaison. Elle s’est battue farouchement. Plus le temps passait, plus elle devenait ardente, combative, presque haineuse. Evidemment, ce ne sont là que suppositions puisque je n’ai, et pour cause, pu prendre connaissance des lettres qu’elle adressait à son amie ; toutefois on en trouve le reflet dans les réponses que lui faisait cette dernière. La dernière missive de Mme Duhoux est une exhortation au calme. « Ne te lance pas dans une telle aventure, lui écrit-elle, tu n’es pas de taille. » J’ai eu beau lire et relire les ultimes lettres, je n’ai pu me faire la moindre idée sur « l’aventure » dont il était question.