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— Môme, j’ te le confille. M’l’surmène pas de trop car il arrive à un âge que ses artères, c’est pas en soufflant d’dans qu’tu les déboucheras ; mais j’ le connais : c’t’un intrépide du radada et y préfère avoir une strombolie plutôt qu’ de pas t’ grimper au septième siècle. Bon, vous m’escuserez, braves gens, mais l’Premier minis fait l’ pied d’ gruau en m’attendant.

Et il part à la suite du freluquet qu’il a catapulté dans l’escadrin d’un seul coup de tatane dans les meules.

Sache une chose qui te permettra toujours d’affronter l’existence la tête et la bite hautes : dans un San-Antonio rien n’est gratuit, et surtout pas le bouquin lui-même, heureusement, sinon comment parviendrais-je à joindre les Dubout ? La scène la plus innocente en apparence en engendre une autre, déterminante. Parfois, comme t’es con, tu serais enclin à croire que je marne dans le folklore, juste pour dire. Ainsi pour ce qui vient de se dérouler chez Pélagie, la pute noire. Tu te dis comme ça : « Oui, l’Antonio voulait s’offrir la séance louftingue, décrire le Pinuche qui devient souteneur pendant que sa chaisière se fait recoller à l’hosto ; il croye que c’est drôle ; s’imagine que le Gros houspillant le barbiquet mécontent va faire marrer, mais on n’en a rien à branler. Nous autres, y nous faut de l’action ; ses bavasses, merci beaucoup, qu’il se les garde ! Quand on paie un book ce prix-là, forcé de puiser dans ses éconocroques Ecureuil, vu la dureté des temps, on veut du suce-pince, et pas du mince ! Un rythme endiablé, des coups de théâtre à chier partout ! » Hein que tu te dis tout ça, Bazu ?

T’as le droit : c’est ta pomme, le clille. Note que le monde dérape ; ça commence à plus rien vouloir dire, de payer. Maintenant, l’argent a une odeur. Çui qui en a fait froncer les narines de tout le monde, comme un qui vient de larguer une louise au cinoche. On renifle, on chuchote : « Mais ça pue le pognon, ici, ma parole ! Y a un malotrou qui s’est oublié : il a de l’artiche dans ses fouilles ! » On s’entre-examine, on se suspecte, on doute de tout un chacun. « Il est où cela, le grand dégueulasse qui ose trimbaler du fric ? Ou alors c’est quelqu’un qui aurait mis le pied dedans ? » Bientôt on appellera les brigades de déminage d’osier. Elles se pointeront avec un compteur Geiger ou assimilé. Passeront la foule aux rayons X, Y, Z. En v’là un ! Il a une liasse, le bas fumier ! On l’embarquera dans un centre de désinfection où il devra se dessaper. On passera ses hardes et son carbure au crématoire ; bien heureux qu’il aille pas s’y faire bronzer aussi, du temps qu’on y sera. Mais ça, ce sera pour l’étape suivante ; pour un peu plus tard, quand on sera contraint de déblayer le plancher, qu’il y aura la carte de vie que prévoyait Marcel Aymé. Place aux jeunes ! Age limite : trente-cinq piges ! Vous verrez, mes petits gars, vous verrez qu’il dit juste, votre commissaire. Il plonge à pieds joints dans le bioutifoule futur. Il y sera plus, ne sera plus nulle part car ils auront buté le bon Dieu, pas être gênés aux entournures de la conscience. Y aura même plus de néant pour disparaître, plus rien où se réfugier. Ce sera comme si ça n’avait jamais été : toi, moi, le général Pinuchet, le capitaine Haddock ; on parviendra à cet exploit : la non-avenance ; nous serons annulés ; j’en sais pour qui l’opération ne nécessitera pas trop de boulot.

Et bon, au lieu de t’emmener en amazone sur ma monture, jolie friponne, cheveux au vent, je surdéconne.

On continue, on se lance en grand dans le palpitant. Je disais donc : rien d’inutile… Une brique san-antoniaise en soutient une autre, et ainsi de suite, plus haut que l’Empire Stade Buildinge ; y a pas de raison que ça s’arrête. Tiens, ça aussi, les immeubles… Tu les verras disparaître dans les nuages. Les julots du dernier étage, ils n’auront plus le temps de redescendre une fois en haut. Dix ans d’ascenseur pour grimper ! Quand ils canneront, on les enterrera pas, mais on les satellisera.

Je quitte donc Mister Pinaud et son égérie brune non sans qu’icelle m’ait offert un petit verre de rhum. A quatorze pas de là, se trouve l’immeuble où cette pauvre Mme Chapoteur a mis fin à ce que tu sais. Je fourmille, mécolle. Ça s’entrechoque dans mon caberluche, tout ce qu’il va falloir faire : voir la mère de Francis Télémard ; Alberte Duhoux, l’amie de la suicidée ; retrouver l’Evelyne B., la maîtresse de feu Chapoteur…

Curieuse affaire, et qui ne ressemble pas aux autres. C’est pas la frénésie, mais une grouillance étrange, très louche. Tiens, le numismate si antipathique… Sa bonne femme. Des gens de tous les jours soudainement confrontés à la mort d’une façon bizarre. Voir également le père du meurtrier. Dénicher ses principales relations. Il avait une potesse ou un pote ?

J’ai en poche la petite boîte de pastilles pour la gargane qui contient le doigt. Dans le fond, c’est pas ragoûtant de balader ce débris humain. Par quoi je commence ? J’ai bien envie d’expédier Mathias à Annemasse, puisqu’il a lu la correspondance des deux dames, il est en mesure de poser les questions pertinentes. Je sais bien que ça n’entre pas dans le cadre de ses fonctions, mais il est intelligent, le Rouquemoute, et pas rechigneur question boulot. Banco : il fonce à Annemasse. Moi, j’irai voir la mother du détoité.

Je stoppe net mon soliloque. Faut dire que ce que j’aperçois te fait friser les poils occultes. En face de l’immeuble qu’habitaient les Chapoteur, un fourgon Peugeot est en stationnement. De couleur crème, avec des poussées de rouille et des gnons un peu partout sur la carrosserie. Les pare-chocs ressemblent à des guidons de course.

Deux gars se tiennent à l’avant du véhicule : jeunes. L’un a la peau basanée et il frisotte. L’autre porte un bonnet de laine et des lunettes de soleil très sombres. Il est affublé d’une moustache.

Je continue ma route en m’efforçant de regarder ailleurs.

Merde, serait-ce possible ? Et pourquoi non ? L’agresseur de Georgette a raté son coup, hier, à la station de métro. Le suicide de la pauvre femme n’a pas été annoncé que je sache, d’ailleurs ce n’est pas une information. Chaque jour des gens se butent dans Paris, s’il fallait publier la liste, une page entière de journal n’y suffirait pas. Cela pour en conclure que l’agresseur ignore la mort de celle qu’il voulait supprimer. Tu paries quoi qu’il est à l’affût de la Georgette, le bandit ?

Ma matière grise se met à rissoler comme dans un four à ondes courtes. Putain d’elle ! Se peut-ce ? Le hasard me servirait ce type sur un plateau ? Dis, il doit y avoir gourance, c’est trop beau. Mais j’appartiens à cette race privilégiée qui croit au Père Noël. Que fais-je ? Charger tout seul le duo de malfrats ? C’est risqué car mes deux gredins, si gredins il y a, n’hésiteront pas à faire du rebecca. On ne va pas provoquer un petit Verdun dans cette rue populeuse. J’entends d’ici les médias hurler à la bavure.

N’écoutant que la prudence, je fonce dans un bistrot pour téléphoner à messieurs les archers. Mon plan est déjà dressé. Je fournis à l’adjudant Launœud (un type au poil) un rapide topo. La fourgonnette crème est stationnée devant le 19. Il va m’envoyer une autre fourgonnette banalisée qui stoppera une vingtaine de mètres en avant des deux suspects et ses occupants feront mine de décharger des colis. En même temps, une voiture normale se pointera à la hauteur du fourgon de manière à en bloquer la portière.

Mes collègues doivent se munir de mitraillettes, mais ne défourailler qu’en cas de légitime défense. Ils braqueront immédiatement les malfrats ; je leur donnerai le signal.

— Combien de temps vous faut-il pour arriver, Launœud ?