T’as plus rien à faire ici, mon Tonio, t’es pas croque-macchabes. La voiture-balai, c’est pas ton blot ! La voirie Borniol, t’as pas la licence, mec, malgré qu’y ait pas plus licencieux que ta pomme ! Alors, emmène-toi, mon homme ! Et fissa. Laisse les archers du guet se dépatouiller avec leurs potes pompelards. Taille le vent : t’as école ! La besogne qui t’attend commence à s’accumonceler vilain !
Justement, une évanescente jeune fille, qui sort d’un immeuble, défaille en constatant le désastre. Elle est du genre triste et bête, facile à impressionner, si tu vois ? La nana à qui tu fais croire qu’il y a deux premier de l’an les années bissextiles.
Je la prends dans mes bras pour lui faire traverser le ruisseau de sang.
Une fois sur l’autre rive, je lui conseille d’aller faire un tour au bois de Boulogne, où c’est bourré de faons de putes et de gentils petits faunes qui viennent vous manger dans le creux de la culotte, manière de se changer les idées.
Un message m’attend, comme l’amour attend le toréador. Message… d’amour, précisément. Et n’ai-je pas beaucoup de points d’ancrage avec la tauromachie ?
Une babille fraîche comme le clitoris d’une collégienne, adressée en pneumatique. Elle émane (Power) de Caroline, ma petite salope du moment, celle qui a trouvé pour sa chambre de bonne un usage si harmonieux.
Je te livre son poulet in extenso, me réservant son cul jusqu’à nouvel ordre, mais tu connais mon humeur fantasque, aussi tous les espoirs de l’attente sont-ils permis.
Elle dit comme ça, cette bafouille :
Mon beau taureau fougueux[7],
Pensez-vous que mes sens puissent supporter la brutale déconnexion dont je fus victime hier ? Vous me connaissez déjà bien trop pour l’admettre ! Aussi vous attendrai-je tantôt, à partir de 15 heures dans notre nid de volupté. Je laisserai la clé sur la porte pour n’avoir pas à me relever, car je serai déjà au lit, somptueux polisson. Je vous attendrai avec ma culotte fendue, mes bas noirs et ce porte-jarretelles de catin qui me va si bien, dites-vous. Et savez-vous dans quelle attitude je serai ? A genoux, mon prince ! Alors ne me faites point trop attendre, car il n’est pas bon de rester longtemps la tête penchée.
Je vous couvre de baisers partout où vous les souhaitez. Hâtez-vous : je suis enfeu !
Pièce de collection que cette lettre, conviens-en, mon lapin. Avec des relents du dix-neuvième siècle et des turpitudes bourgeoises du seizième arrondissement.
Je relis, respire, empoche. Hésite.
M’autoriserai-je un break en pleine enquête ? Un certain remue-ménage dans mon Eminence me pousse à l’admettre. Si tu te refuses le plaisir qu’on te propose, c’est que tu négliges les largesses du ciel. Dieu a créé le guerrier mais aussi son repos.
Je vais donc mettre les bouchers doubles (comme on disait à La Villette). Car s’il ne faut pas repousser le plaisir, il convient également de le mériter.
Un coup de turlu à Mathias. Il promet d’être diligent et efficace à Annemasse.
Je passe par le bureau de M. le directeur. Je le trouve en train d’essayer des souliers vernis. Il se risque à marcher avec ses nouvelles targettes, ressemblant à un patineur néophyte lâché pour la première fois sur la glace, car ses semelles lisses sont instables sur le tapis.
Ninette, sa secrétaire miraude, attend le verdict directorial.
— Jamais je pourrai tiendre debout av’c ces merd’ries aux pinceaux, ma crotte, déclare le Sublime.
— Il est pourtant hors de question que vous portiez le smoking sans souliers vernis ! catégorique-t-elle.
— Vous allez à un gala, monsieur le directeur ? demandé-je.
— Voui, si on voudrait, en fête, j’sus invité à l’Elysée, moi et mon épouse, et comme y aura tout un chenil de kroums huppés faut qu’ j’ me saboule façon duc Dédain-Bourre.
— Vous, à l’Elysée…, béé-je (car j’aime le beige).
Il me fulmine d’une œillade lie-de-vin.
— Qu’est-ce ça a d’rare, j’vous prille, commissaire ? C’est pas les cons qui manquent, là-bas, v’ savez. V’désireriez m’entretiendre ?
Je lui parle de la voiture piégée et du badaboum qui en a résulté.
— Je souhaiterais que vous déclenchiez le dispositif number one contre les deux frimants dont j’ai dressé le signalement, monsieur le directeur. Qu’on ratisse tout Paris !
Sa Majesté cloaqueuse envoie dinguer ses deux targettes compressantes en deux shoots qui défonceraient les filets d’un goal.
— Ninette, si je devra mettre des pompes vernies, trouvez-moi-z’en des plus habitables ; m’faut deux pointures d’ mieux, la mère, et v’s’y ferez coller du caoutchouque strillé en dessous, pas qu’ j’ m’aille affaler la gueule devant ces messieurs-dames. Bon, pour en reviendre à vot’ circus, commissaire, faut qu’ je vais vous dire ma façon de voir : dans les graves circonstances que vous causez, c’est moi que je vais prendre en main c’te chasse à l’homme, car j’ commence à m’plumer les roustons dans c’ burlingue et ça m’démanche de mett’ la pogne à la pâte. J’trouve qu’ ça roupille un peu trop dans les services ; les fonctionnaires fonctionnent de mal en pisse ; ceux qu’arrivent en r’tard croisent dans l’escalier ceux qui partent en avance, comme disait j’sais plus qui, mais ça n’empêche pas qu’il avait raison. Bougez pas, y vont m’voir au turbin ! On va l’changer, c’ t’état d’esprit de merde. Y sont tous à bédoler par crainte des bavures. Eh ben ! j’ leur apprendrerai à baver prop’ment ! Les méthodes font faillite, commissaire : et v’savez-t-il pourquoi ? Pace que les flics redoutent les masses immédiates. La pensée qu’on va les critiquer dans un baveux, et y sont obligés de mett’ leur râtelier dans la poche, pas claquer des chailles. On n’ fait rien d’ valab’ quand t’est-ce on chie dans son froc !
— A qui le dites-vous ! ricane Ninette.
Le Gros la fustige illico :
— Toi, la grande, pense à ton av’nir et fais-moi l’plaisir d’ t’écraser si tu voudrais pas qu’ j’ m’en chargeasse moi-même personnellement. Confonds pas trouille verte et huile de ricin, c’est pas l’ même flacon !
« Sur ce, on s’y met, commissaire, on s’y met à fond. J’sus réceptionné, moi et ma femme, demain soir par l’président, j’ veux m’ pointer dans sa crémerie av’c une affaire réglée de but en blanc. »
Et il appuie le poing gauche sur l’angle de son bureau. Son autre main est posée altièrement contre sa hanche. Il bombe le torse tandis que ses yeux d’imperator rex lancent un défi à l’infini.
C’est beau, un grand homme.
La maison a fière allure. Elle exprime tout le charme élégant de l’Ile-de-France. De vastes proportions, avec son toit bas, ses portes-fenêtres blanches à petits carreaux, les ampélopsis drapant ses murs de pierre, son délicieux jardin à la française où les buis bien taillés ressemblent à des sculptures végétales, sa pièce d’eau rectangulaire hantée de cyprins dont le rouge vire au brun, ses allées couvertes de gravier blond, elle a une âme. J’ai peine à croire que le fils du lieu ait tout à coup acheté un fusil à pompe et qu’il soit parti attaquer un numismate pour, quand la police est intervenue, tuer sans vergogne. D’ailleurs, qu’est-ce qui te dit qu’il n’en avait pas une, de vergogne ? Une petite qui se dévisse, hmmm ?