Soupir profond du très fameux commissaire San-Antonio qui commence à s’énerver. Il trouve que ça piétine, tout ce bigntz, Antoine. Il a des remontées d’huile, l’apôtre, que merde, ça va pas vite ! Il pense qu’une belle tringlée délicate, dans la chambrette de Mimi Pinçon (je l’écris commac exprès) va lui redonner sa vitesse de croisade, comme dit Bérurier-le-Grand. Lui dégager les glandes endoctrinées, comme il dit encore, le Gros, car il dit tout et c’est pour cela qu’on l’aime. Combien de fois me suis-je dégagé l’esprit en effectuant un graissage-vidange exprès dans une putation-service ! C’est pas les femmes qu’il faut avoir à ses pieds, mais son bénouze, Ernest, rappelle-toi ce que je te dis, et si tu ne peux te le rappeler, souviens-t’en. L’homme vit trop torse nu. Il se goure d’hémisphère. C’est l’austral qu’il faut dégager. Car tout ce qui est essentiel se passe un peu au-dessous de l’équateur, au niveau du 5e parallèle. Vie et santé, force et souplesse ; rien dans les mains, tout dans les burnes ! Sa devise à l’Antonio. Faut pas le décrier, lui vitupérer contre, tordre son nez en mettant le pied dans sa prose. Jamais rien de malsain, dans un Sana, mon mec. Gaulois, franc du collier, impertinent, ça j’admets. Mais vivant, beau à foutre, fleur de bite ! Ardent ! Je vis, je t’aime ! Enlève ta culotte, qu’on cause ! Comme ça jusqu’au bout. Ç’aura été un moment de détente dans mes petits bordels bien chauffés où les fesses attendent, où le vin frais coule à flots, où l’on se bonnit (and Clyde) tout ce qui nous passe par la tête, n’importe la cohérence. Un jour sérieux, un jour pas, un jour de droite, le lendemain de gauche, voire anar pour corser, les dérouter. Ah ! vivre ! Il est quoi l’air des montagnes ? Capitaliste ou communiste ? Et le fion de ta souris, grand con ? Et les coquelicots dans les champs ? Ah ! que cons vous êtes et que cons vous restez, resterez jusqu’au fin fond des éternités. Quand la Terre chancellera, volera en éclats de feu, vos derniers mots seront encore des conneries ! Heureusement qu’on a divorcé, moi et vous ! Dedieu, tu parles d’un attelage qu’on formait ! Moi, bête de trait de génie, vous aidant, mes gueux, à haler vos sottises ! Maintenant je gambade dans la prairie, vous regarde passer. Je fais « meûhh » pour vous donner à croire que je suis une vache, rien qu’une pauvre vache à lait au bord de la voie. Vous vous gaffez de rien. Vous me montrez à vos immondes chiares. « Regarde la vavache, Toto ! » Regarde mon zob, petit saligaud ! Fils d’homme ! Crème de rien ! Merdification intégrale ! Tiens, fais comme ton train, comme l’Etna, comme les Belges : fume ! Il est de la classe, Antonio !
Pour lui c’est la grosse quille ! Finito, la bande doc. Ciao, bambino ! Il a compris enfin, l’artiste ! Il s’est décidé à le sectionner, le grand cordon ombilical de la Légion d’horreur. Y a fallu que vous mettiez le paxif, mes saucisses, mais enfin, ouf ! ça y est : libre ! Seul ! Seul avec qui ? Ça le regarde ! Ta gueule ! Par moments, j’arrive pas à croire que j’y suis parvenu enfin, à cette séparation définitive. Je nous croyais siamois, soudés, avec un seul cœur, un seul foie, deux reins, Contrex, la lyre ! Et puis j’ai risqué l’intervention, en douce, un jour que ç’a été trop, un jour de mars, je me rappellerai à vie, oui, un jour de mars, le mois des giboulées. Vous aviez franchi les ultimes limites. Outrepassé l’impossible. Alors j’ai pris mon canif, rien que mon canif, et me suis mis à tailler dans la viande. Un jour de mars, tellement horrible, un jour de mars où soufflait l’épouvante dans ma pauvre âme exilée. Mars, et même Germinal puisque ça se situait après le 22.
Va-t’en, maudissure ! J’ai réussi à trancher, coupaillant menu, comme le prisonnier scie ses barreaux avec une lime à ongles. La liberté, ça se mérite ; faut la vouloir de tout son être pour l’obtenir. Allez, roulez, mes gars ! Bye-bye ! Et qu’on ne se revoie plus ! Allez finir où vous pourrez…
— Puis-je vous poser encore quelques questions, madame ?
— Je suis à votre disposition.
Sans attendre son invite, je rouvre la porte du salon et on va reprendre nos places.
Mes sens sont en alerte. Mon regard d’aigle furète avec acuité.
— Votre fils rentrait tous les soirs pour dormir ?
Elle hoche la tête.
— Il lui arrivait de rester à Paris.
— Fréquemment ?
— Plusieurs fois par mois.
— Il avait un quelconque pied-à-terre, là-bas ?
Tout en parlant de mon ton le plus naturel, je tire le papier où j’ai tracé la question et le place sur la table basse, devant mon hôtesse.
— Pas à ma connaissance, dit-elle.
Elle déchiffre le message. Elle marque un temps d’immobilité, de mutisme. Je tapote le papier du doigt.
— Alors ? insisté-je, faisant allusion à ma question écrite.
Mais elle secoue la tête.
— Je ne comprends pas ce que vous voulez dire sur ce papier, fait-elle.
Je reprends mon poulet, le froisse et le remets dans ma poche sans insister.
— Alors, un pied-à-terre ?
— Sûrement pas.
— Il n’avait aucun papier ni objet sur lui au moment de sa mort, je suppose qu’il avait vidé ses poches quelque part ?
— Dans sa voiture ?
Tiens, merde, quelle pomme ! La bagnole ! Je n’y ai pas encore pensé ! Mais t’as quoi dans le cigare, commissaire de mes deux ? Du tabac ?
— Qu’avait-il comme auto ?
— Une vieille Mercedes au toit pagode, de couleur crème.
— Je peux avoir son immatriculation ?
— Je vais aller consulter mes dossiers d’assurances.
Elle se lève, s’arrête.
— Puis-je vous offrir quelque chose ?
Je lui répondrais volontiers que oui, sa chatte ; mais ça ne ferait pas convenable.
— Non, je vous remercie.
Elle s’éclipse. L’Antoine se lève et se met à arpenter le salon pour admirer de plus près meubles et tableaux. C’est en revenant m’asseoir que j’avise un truc ultra-jouissif dont je ne manquerai pas de t’informer en tendeur, je veux dire : en temps et en heure. Je voulais garder cette trouvaille pour moi, mais mon éditeur vient de me jouer tout un branle comme quoi je suis redevable envers le lecteur qui paie ce book et a droit à tous les accessoires le composant. Lui, c’est un homme intègre, et même intégré. Quel sacré douanier il aurait fait ! Par ici ! Papiers, schnell ! Où est-ce que c’est-il que vous avez acheté votre montre ? Facture, siou plaît ! Rien ne lui échappe.
Je me rassois, jambes sagement croisées, coudes à l’horizontale, air pensif.
Mme Télémard se la radine, tenant une feuille de bloc où figure un numéro d’immatriculation.
— Tenez, monsieur le commissaire.
— Je vous remercie. Pouvez-vous encore m’indiquer comment était vêtu Francis, hier matin ?