— C’est un interrogatoire ?
— Si c’en est pas un, c’est son cousin germain, ma chérie. J’ai des moutons, moi, auxquels je dois revenir après cet intermède délicat. Navré de me montrer professionnel, mais je suis confronté, comme on dit puis, à un sac d’embrouilles avec ce sacré trou-de-balle de Francis, et je dois démêler l’écheveau.
— Ma vie privée ne regarde que moi et n’a rien à voir avec vos histoires de poulet !
— Donc, vous admettez avoir été la maîtresse de feu Chapoteur, lequel a péri bien tristement, n’est-ce pas ?
Elle saute du lit rageusement, va se blublutionner, ainsi qu’il sied quand on est une dame bien élevée qui s’est laissé interpréter l’Introduction du Morceau de Faust dans l’ouverture de La Fille de Madame Angot (à la communale on se marrait drôlement avec cette calembredaine, ça nous faisait toute la récré). Puis elle entreprend de se rhabiller, fébrilement.
— Vous avez tort de prendre ça mal, Evelyne, je lui déclare avec une grande bonté ecclésiastique dans l’intonation ; vous me voyez allant chez vous pour vous poser ce genre de questions en présence de votre gros sac ?
— Salaud ! me répond-elle.
— Et dire qu’il y a moins de cinq minutes vous m’appeliez « chéri », amertumé-je. Voyez-vous, ma douce amie, l’existence est un pensum et il convient de renouveler souvent les instants que nous venons de vivre dans cette misérable chambrette.
« Alors, vraiment, vous refusez de me parler de Chapoteur ? »
— Je n’ai rien à en dire.
— Un homme qui a failli ruiner son foyer pour vous !
Elle ne met pas de soutien-loloches heureusement, car je ne vois guère comment elle saurait l’agrafer avec son bras blessé.
— Je vous méprise ! me déclare la houri. On ne se comporte pas avec une femme comme vous venez de le faire : la séduire pour, aussitôt après, la harceler de questions, voilà qui est indigne d’un homme !
« Vous… vous n’êtes qu’un salaud de flic avec une bite. Une ordure ! Une… un… »
— Laissez le reste en blanc, je le remplirai à tête reposée, fais-je ; j’ai chez moi un dictionnaire des synonymes. Malgré vos jolies insultes, je voudrais vous faire un cadeau. Quelque chose me dit que vous l’apprécierez.
Je vais prendre dans la poche de mon veston, jeté à la diable sur un siège, la boîte de pastilles contenant le doigt coupé.
La manière péremptoire dont je la lui présente, fait qu’elle s’en saisit.
— Ouvrez !
Elle ouvre.
— Une greffe me paraît bien tardive, dis-je, mais sait-on jamais !
Elle s’évanouit.
Pas du chiqué, je t’affirme.
Ne crois pas à un évanouissement de théâtre ! « Ciel, madame la comtesse ! Vite, mes sels ! » Ils étaient drôlement émotifs, jadis, et tombaient dans les quetsches pour un yes ou pour un niet. Les dadames avaient leur petit flacon Cartier dans leur manche : un coup de reniflette pour sortir du sirop ! Les pauvrettes, si elles revenaient, dis donc, avec la vie actuelle, bourrée de tous les meurtres, viols, hold-up, insanités, arnaqueries, dégueulasseries possibles et imaginables, ce serait le boulevard des allongés ! On enjamberait des troupeaux de bourgeoises, serrées comme sardines en boîte le long des trottoirs.
Evelyne, pour t’en revenir, sa syncope n’est pas feinte. C’est du textuel pur fruit. J’ai du mal à la récupérer. Des baffes, de l’eau fraîche, des massages mammaires, le grand jeu, quoi !
Enfin elle rouvre ses châsses et pousse un cri d’horreur en me voyant.
En loucedé, je ramasse son annulaire et le replace dans sa boîte.
— Allons, allons, ma grande fille, vous voyez bien que nous devons bavarder ! lui dis-je. En tout cas, je vous tire mon chapeau, avoir un doigt sectionné de fraîche date et s’envoyer en l’air aussi magistralement, ça sous-entend des dons particuliers. Votre joli cul est béni des dieux grecs !
Je la prends dans mes bras. Oh ! hisse ! L’arrache de la moquette pour aller la déposer sur le lit.
— J’ai l’impression que vous avez vécu une bien sombre aventure, murmuré-je en caressant ses tempes moites.
Elle se fout à pleurer.
C’est bon signe !
Une heure plus tard, soit aux environs de seize plombes et demie, je me pointe rue de Richelieu pour si, des fois, la môme Caroline continuait d’implorer Allah en m’attendant toujours. Il existe des forcenées du rendez-vous. Des nanas obstinées qui espèrent coûte que coûte et bouffent du lapereau pendant des heures, certaines que l’élu finira par se pointer. Quelque chose me dit que ma fée radadeuse appartient à cette splendide catégoire qu’on ne décorera jamais assez de l’Ordre du Mérite, voire de la Légion d’honneur, auxquels je joindrais volontiers le grand cordon rouge de Mumm pour faire bonne mesure ; plus la médaille de l’ordre des Enculés de Frais dont je tairai le nom du grand chambellan pour ne pas avoir de procès.
Me voici au comble de l’essoufflement, dans ceux (les combles) de l’immeuble, là qu’on logeait les bonniches au temps où l’esclavage existait encore.
Comme indiqué sur sa missive, la chère petite n’a pas fermé la porte. J’ai préparé un argument pour lui faire une visite éclair : boulot, ça urge, le ministre de l’Intérieur m’attend en deuxième file, etc.
Et pourtant, sans me vanter, ni m’être éventé, déjà des instincts animaliers me reviennent à bride que veux-tu, et à couilles abattues. Remettre le couvert avec une seconde donzelle est d’un envisagement plutôt plaisant. A toi, Ninette, à toi, Poupette ! Un coup dans la case Trésor, un coup dans l’écrin à bagouze, tu voudrais mieux, ta pomme ?
Je pousse la porte.
Elle est là.
Et à genoux, comme promis, cette pieuse.
Toutefois, j’enregistre quelques singularités que je vais me faire un plaisir de te confier moyennant un petit porto vintage (majeur de préférence).
Elle est ligotée dans cette position au moyen d’un fil de nylon (ni carré, ni pointu). Le lien dont je fais état (Louis XIV, c’est lui !) passe sous la pliure des genoux, puis va décrire un tour à son cou pour ensuite revenir aux jambes et repartir vers les bras qu’il emprisonne. Deux oreillers superposés sont placés sous le ventre de ma dulcinée, ce qui lui permet de garder sa posture imploratoire sans efforts particuliers. Autre détail, cruel, peu correct, et que j’ai longtemps hésité à te communiquer, de peur qu’on ne me traite de sadique ; cela fait trois mois que je me tâte, et puis, mon souci de la vérité l’emportant (c’est la rose), et ayant, comme tu le sais, une conscience professionnelle taillée dans la masse, je me décide à te livrer cette constatation, mais attention, mon pote : que ça reste entre nous, surtout ! Cette révélation, qu’à peine si j’ose la dire tellement c’est bas (Brassens) me fait monter le rouge du front à la honte.
Non seulement ma Caroline d’amour est ligotée, mais en outre elle est bâillonnée que soit, on peut l’admettre, seulement, il y a bien plus mieux pire : on lui a enfoncé dans un endroit exquis de son individu où j’emmène Popaul en vacances une pendulette de marbre, style neuchâtelois, donc forme phallique, je l’admets, mais dont les arêtes sont vives.
Faut-il être sadique pour inventer un tel supplice, ou horloger ! Faut-il être privé de toute dignité ! Faut-il mépriser la femme ! Comment se peut-ce ? C’est une énigme pour moi qui raffole le beau sexe, au point que je me soupçonne d’avoir été selle de vélo de dame dans une vie antérieure !