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Béru se tourne vers moi. Puis il gratte lentement ses valeureux testicules pour en faire jaillir la lumière. Mais rien ne se produit car son disjoncteur a sauté.

Alors, n’écoutant que ma présence d’esprit, et Dieu sait si j’en ai (de la présence et de l’esprit, merci), je le bouscule derrière son bureau. Je biche une pile de dossiers que je place devant son ventre poilu (de la Marne).

— Tu as une entorse, gros goret, vu ?

— Mavoui, mavoui ! bafouille l’Attila des comptoirs.

Je me précipite à la porte matelassée. A tout hasard, Poilala, pétrifié, s’est mis au garde-à-vous fixe.

Le groupe surillustre se présente. Lui, le président, si beau, si romain, si calme, si pareil à Thierry le Luron ; flanqué du ministre de l’Intérieur, si ministre, si Intérieur, si conforme à mon cher Patrick Sébastien. Plus un chef de chiottes ou de cabinets, et un commandant de la maison militaire avec, à l’arrière-plan, un conseiller à l’infrastructure fondamentale des divergences. L’ensemble impressionne, minéralise, coagule.

Le ventre riciné de Bérurier se met à jodler une tyrolienne de bienvenue.

Un instant j’hésite, ne me rappelant plus si je dois me prosterner ou bien simplement mettre un genou en terre.

Une voix intérieure me chuchote des mots que je répète en efforçant mon organe à la fermeté :

— Mes respects, monsieur le président. Votre visite est pour nous un grand honneur.

Un sourire mystérieux répond à ma phrase. Le ministre en profite pour déclarer :

— M’sieur heu en de la Rique, a tenu heu en vsite heu en heu en svices afin d’éharquer heu en le très porte heu en blême heu en de l’heure.

Je m’incline.

— Merci, monsieur le ministre.

Puis, revenant au président.

— M. le directeur s’est donné une entorse en montant l’escalier ce matin, monsieur le président, vous voudrez bien lui pardonner s’il reste à son bureau.

— C’est pas d’gaieté de cœur, m’sieur l’président ! lance Béru, lequel retrouve ses esprits. Quand on a l’honneur d’avoir l’honneur d’vous accueillir, c’est une fête exprès de pas pouvoir s’ précipiter à vot’ rencontre. D’autant qu’ vous êtes mon premier président d’ la République de visu en chair et en os. J’eusse été prévenu, j’aurais préparé quéqu’ chose. Poilala, vous voudriez-t-il bien faire monter quèques boutanches du café d’en bas, j’vous prille : beaujolais et alsace, plus quèques sandouiches jambon de Parme-jambon-pain-demie-beurre ; eh ! eh ! oh ! Poilala ! Qu’ils préparent aussi deux ou trois sandouiches de voyoux (Béru met un « x » au pluriel de voyou) pour faire déguster à m’sieur l’président. Ils les réussissent de première. J’suppose que vous connaissez l’ sandouiche de voyou, m’sieur l’président, en mémoire du temps qu’vous faisiez les troquets à électeurs : harengs à l’huile, oignons frais. Un hectar ! Poilala, vous m’prendrez z’égal’ment des portions de tarte aux pommes.

Le président fait quelques pas glissants dans le bureau, car sa démarche est adaptée aux tapis roulants. Son sourire imperceptible, façon Samaritaine de luxe, disparaît. Son regard méditatif laisse filtrer un peu de sa stupeur. Il n’a pas encore proféré une syllabe, mais on pressent que ça pourrait peut-être venir. Pris entre son goût du folklore et l’indignation, le premier des Français se laisse investir par le surprenant personnage placé devant lui.

— Monsieur le directeur, musique-t-il, si j’avais pensé que vous souffrissiez d’une entorse, j’aurais différé ma visite ; mais ne trouvez-vous pas fâcheux qu’un homme occupant des fonctions de ce haut niveau soit immobilisé ? Ne vaudrait-il pas mieux que vous vous fassiez soigner à l’hôpital ?

— Charriez pas, m’sieur le président ! s’exclame l’interpellé. Si faudrait occuper une place d’hosto pour une guitare fanée, c’s’rait déplorant.

Le président, plein de cette mansuétude que vous savez toutes et tous, Françaises, Français, travailleurs émigrés et peuples sous-développés, s’avance sur ses minuscules roulettes caoutchoutées, élève sa main droite au niveau d’une institution et la confie à Alexandre-Benoît, tout en le dardant en code.

Fou d’honneur indélébile et de jubilation externe, le Gros la secoue avec l’énergie d’un bras de pompe quand il y a le feu dans la cale.

Presser une main présidentielle, tu ne peux pas savoir combien c’est vivifiant, stimulant, enrichissant, suprême, engloriant, beau, riche, aphrodisiaque, marmoréen, salvateur, commémoratoire, chargé d’électricité, de Marseillaise en tube, de tricoloration. De belles larmes dont la pression dépasse celle du jet d’eau de Genève jaillissent des beaux yeux bovins de mon directeur. Un bruit évasif mais suspect lui part, mettant ses miches au garde-à-vous.

— Je n’avais pas encore eu le plaisir de vous rencontrer, monsieur le directeur, dit le bon président, sans presque remuer ses lèvres crispées par sa charge.

— C’est réciproque, mon président, assure le Mammouth.

L’illustre homme d’étal acquiesce noblement, car tout dans sa personne dénote l’aristocrate républicain, c’est-à-dire le vrai, depuis son complet beige, jusqu’à sa cravate jaune, en passant par sa chemise bleue et ses chaussures bordeaux.

— J’ai eu l’occasion de rencontrer votre prédécesseur, assure le maître de la France profonde, je dois admettre que le style a quelque peu changé. L’air est devenu respirable.

— J’sus t’heureux d’vous l’entendre dire, mon président, gazouille le Mahousse en laissant filer une vesse avec la prudence d’un chef de cordée assurant le passage d’un à-pic glacé.

C’est le moment que choisit Ninette, la secrétaire terriblement particulière du dirlo, pour surgir.

Le lecteur, dans sa bienveillance inaccoutumière, me permettra — à moins qu’il ne soit décidé à me faire chier — d’interrompre cette palpitante histoire, l’espace d’un paragraphe, pour dépeindre la surnommée Ninette.

Cette personne taillée à coups de spectre (elle est maigre comme la mort), toujours loquée d’un pantalon de velours noir taché de blanc et d’un pull blanc marqué de noir, est affligée d’une myopie désastreuse. Des verres épais comme le télescope géant du mont Palomar lui permettent de secrétarier d’une façon satisfaisante ; las ! une intempestive coquetterie l’incite à ne les porter que devant son clavier universel, ce qui équivaut à dire que Ninette est presque aveugle quand elle ne travaille pas.

Elle s’avance au radar vers le bureau, connaissant les lieux comme son slip, sans remarquer les illustres visiteurs. Elle tient sur son bras le pantalon du Gros. D’un geste vif, elle le balance vers Sa Majesté.

— Tenez, voilà votre pantalon, bougre de gros dégueulasse ! lâche la donzelle. Merci pour le cadeau ! J’ai eu beau l’asperger de déodorant, il pue encore[1] !

Le Mastard s’encolère.

— J’vous prillerai d’esprimer d’une aut’ façon thermale, mam’zelle Ninette, réagit l’Infâme. J’veux bien qu’vous êtes miraude comme une taupe, mais y a quand même des gensss qu’un authentique aveugle voirait. Si c’serait un effet d’vot’ bonté de dire bonjour à m’sieur l’ président de la République, ci-joint, vous v’s’évitereriez un blâme dont j’ manquerais pas de vous affubler le casier chéant.

La Ninette, hyper-myope, est plus pétardière encore que non-voyante.

Elle monte en mayonnaise recta :

— Un blâme ! Non, mais ça va pas la tête, gros goret ! Voilà un zigoto qui s’oublie dans son falzar et me force à le nettoyer, un type à qui il faut tailler une pipe quand l’envie lui en prend, et il lui en prend plusieurs fois par jour, et qui parle de me blâmer !

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Dans un premier jet, j’avais écrit textuellement : « … il pue encore la merde ! », mais réalisant, à la seizième mouture, que cette réplique était dite en présence du président de la République, j’ai pensé qu’il valait mieux l’écourter, par respect pour son auguste personne. Au cas où il voudrait me récompenser de cette automutilation par une Légion d’honneur, je l’avertis que je préférerais une caisse de vin.

San-A.