Je vis dans des parois de verre,
Dans un bureau paysager
Et le soir je me roule par terre,
Mon chien commence à être âgé
Et ma voisine donne des soirées,
Ma voisine fait trop de manières.
Je me sens parfois solitaire,
Je ne donne jamais de soirée
J'attends ma voisine s'affairer,
Parfois ma voisine exagère.
Je ne renonce pas à plaire,
Je commence à m'interroger:
Est-ce que je suis vraiment âgé?
Est-ce que je suis vraiment sincère?
La nouvelle année nous engage…
La nouvelle année nous engage
À détruire quelques relations
Et à démolir quelques cages,
À désassembler des fictions.
Reportant sur son agenda
Tous ces gens qu'on ne verra plus
On se sent un peu bête, parfois;
Il faut qu'on meure ou bien qu'on tue.
L'ancienne année grille mes doigts
Comme une allumette oubliée
Puis le jour se lève, il fait froid;
Je commence à me replier.
L'année de la parole divine
Est encore à réinventer;
Sur mon matelas, je rumine
Des réalités disjonctées.
Les marronniers du Luxembourg…
Les marronniers du Luxembourg
Attrapent un soleil manifeste.
J'ai envie de faire l'amour;
Ordinairement, je me déteste.
Pourquoi tout cet or répandu
Dans les rayons du ciel d'octobre?
Il faudrait croire qu'on a vécu
Qu'on disparaît, concis et sobre,
Et sans regret. Que de mensonges…
Pourquoi faire croire qu'on est heureux?
Je me remplis comme une éponge
D'un cafard fin et nauséeux.
"Les chantiers de l'aménagement"…
"Les chantiers de l'aménagement":
Article de fond, journal Le Monde
Et je sens au fil des secondes
Les bactéries creuser mes dents.
Les fleurs s'élèvent hors de la terre
Dans leur naïve génération.
Le soleil glisse, effet de serre:
Triomphe de la végétation.
Un cycliste changeait ses lunettes
Avant de visiter la ville;
La ville est propre, les rues sont nettes
Et le cycliste a l'air tranquille.
Stein am Rhein, le 22 mai.
On pénètre dans la salle de bains…
On pénètre dans la salle de bains,
Et c'est la vie qui recommence
On n'en voulait plus, du matin,
Seul dans la nuit d'indifférence.
Il faut tout reprendre à zéro
Muni d'une donne amoindrie,
Il faut rejouer les numéros
Au bord des poubelles attendries.
Dans le matin qui se transforme
En un lac de néant candide
On reconnait la vie, les formes,
Semi-transitions vers le vide.
Un désespoir standardisé…
Un désespoir standardisé,
Et la poussière qui se propage
Tout au long des Champs-Élysées,
Il va falloir tourner la page.
Achetant des revues de bite
Au kiosque avenue de Wagram,
Je me sens piégé par un rite
Comme un aveugle qui réclame
Et cogne sa canne sur le sol,
S'approchant de la voie ferrée
Comme une fleur à l'entresol,
Comme un rameur désemparé.
La circulation s'assouplit
Et la nuit découvre ses veines,
Les trottoirs sont couverts de pluie
Dans le déclin de la semaine.
Le calme des objets, à vrai dire, est étrange,
Un peu inamical;
Le temps nous déchiquette et rien ne les dérange,
Rien ne les désinstalle.
Ils sont les seuls témoins de nos vraies déchéances,
De nos passages à vide;
Ils ont pris la couleur de nos vieilles souffrances,
De nos âmes insipides.
Sans rachat, sans pardon, et trop semblables aux choses,
Nous gravitons, inertes;
Rien ne peut apaiser cette fièvre morose,
Ce sentiment de perte.
Construits par nos objets, faits à leur ressemblance,
Nous existons par eux.
Au fond de nous, pourtant, gît la ressouvenance
D'avoir été des dieux.
L'intérieur des poumons
Remonte à la surface;
Traitement aux rayons:
La douleur se déplace.
Un hurlement de peur
Dans la nuit traversée:
Je sens battre mon coeur
À grands coups oppressés.
Les nuits passent sur moi comme un grand laminoir
Et je connais l'usure des matins sans espoir
Le corps qui se fatigue, les amis qui s'écartent,
Et la vie qui reprend une à une ses cartes.
Je tomberai un jour, et de ma propre main:
Lassitude au combat, diront les médecins.
Ce n'est pas cela. J'essaie de conserver mon corps en bon état. Je suis peut-être mort, je ne sais pas. Il y a quelque chose qu'il faudrait faire, que je ne fais pas. On ne m'a pas appris. Cette année, j'ai beaucoup vieilli. J'ai fumé huit mille cigarettes. Souvent j'ai eu mal à la tête. Il doit pourtant y avoir une façon de vivre; quelque chose que je ne trouve pas dans les livre. Il y a des êtres humains, il y a des personnages; mais d'une année sur l'autre c'est à peine si je reconnais leurs visages.
Je ne respecte pas l'homme; cependant, je l'envie.
J'étais parti en vacances avec mon fils
Dans une auberge de jeunesse extrêmement triste
C'était quelque part dans les Alpes,
Mon fils avait dix ans
Et la pluie gouttait doucement le long des murs;
En bas, les jeunes essayaient de nouer des relations amoureuses
Et j'avais envie de cesser de vivre,
De m'arrêter sur le bord du chemin
De ne même plus écrire de livres
De m'arrêter, enfin.
La pluie tombe de plus en plus, en longs rideaux,
Ce pays est humide et sombre;
La lutte s'y apaise, on a l'impression d'entrer au tombeau;
Ce pays est funèbre, il n'est même pas beau.
Bientôt mes dents vont tomber aussi,
Le pire est encore à venir;
Je marche vers la glace, lentement je m'essuie;
Je vois le soir tomber et le monde mourir.
Une pièce blanche, trop chauffée, avec de nombreux radiateurs (un peu: salle de cours dans un lycée technique).
La baie vitrée donne sur les banlieues modernes, préfabriquées, d'une zone semi-résidentielle.
Elles ne donnent pas envie de sortir, mais rester dans la pièce est un tel désastre d'ennui.
(Tout est déjà joué depuis longtemps, on ne continue la partie que par habitude.)