Quelqu'un a dessiné le tissu des rideaux
Et quelqu'un a pensé la couverture grise
Dans les plis de laquelle mon corps s'immobilise;
Je ne connaîtrai pas la douceur du tombeau.
PERCEPTION-DIGESTION
Quand la vie a cessé d'offrir de nouveaux mondes
Au regard étonné, quand la vie ne sait plus
Que ressasser des phrases étroites et peu fécondes
Quand les journées se meurent, quand s'arrêtent les flux
Au milieu des objets secs et définitifs
Un sac de perception se déplie et s'oriente,
Se gonfle et se dégonfle au rythme primitif
Des poumons fatigués par la journée violente.
Il n'y a pas de sagesse blottie au fond des corps
Et la respiration ne libère que du vide
En plein digestion tout redevient effort,
Le poids léger des os nous entraîne vers le vide.
Le poids léger des os finit par nous offrir
Comme une alternative au choc des parasites
Qui se nourrissent de peau, et pourquoi tant souffrir?
Un peu de vie résiste et s'éteint dans la bite.
LE VIEUX TARÉ
J'aurai quand même aimé, de temps en temps, ce monde,
L'imbécile clarté du soleil matinal
S'appliquant à tiédir mes chairs horizontales,
J'aurai parfois senti la douceur des secondes
La chaleur des étreintes et le plaisir connexe
De deux peaux qui s'effleurent; les doigts timides et blancs;
J'aurai senti le coeur qui fait battre le sang
Et le flot de bonheur qui envahit le sexe.
À l'abri d'un transat, sous le ciel bleu et sombre,
J'aurai surtout songé à la fusion des corps
À ces petits moments qui précèdent la mort,
Au désir qui s'éteint quand s'allongent les ombres.
Découvrant l'existence humaine…
Découvrant l'existence humaine
Comme on soulève un pansement
J'ai marché entre peur et haine
Journellement, journellement.
Les marronniers perdaient leurs feuilles,
Je perdais mes enchantements;
Fin de journée, état de deuiclass="underline"
Seul dans la cour, je serre les dents.
J'ai dû m'acheter un couteau
Le lendemain de mes quinze ans;
J'aurais aimé être très beau:
Naturellement, naturellement.
Il y avait un mur et un train…
Il y avait un mur et un train,
Je pouvais te voir tous les jours
Je rêvais de faire l'amour:
Interrogations sans frein.
Présence de la voie ferroviaire
Qui rythmait mes déplacements,
Je marchais parfois à l'envers:
Cette impression d'avoir le temps,
À treize ans.
La première fois que j'ai fait l'amour…
La première fois que j'ai fait l'amour c'était sur une plage,
Quelque part en Grèce
La nuit était tombée
Cela paraît romantique
Un peu exagéré,
Mais cependant c'est vrai.
Et il y avait les vagues,
Toujours les vagues
Leur bruit était très doux,
Mon destin était flou.
La veille au matin j'avait nagé vers une île
Qui me parassait proche
Je n'ai pas atteint l'île
Il y avait un courant,
Quelque chose de ce genre
J'ai mis longtemps à revenir
Et j'ai bien cru mourir
Je me sentais très triste
À l'idée de me noyer,
La vie me semblait longue
Et très ensoleillée
Je n'avais que dix-sept ans,
Mourir sans faire l'amour
Me parassait bien triste.
Faut-il toucher la mort
Pour connaître la vie?
Nous avons tous des corps
Fragiles, inassouvis.
Fin de soirée, les vagues glissent…
Fin de soirée, les vagues glissent
Sur le métal du casino
Et le ciel vire à l'indigo,
Ta robe est très haut sur tes cuisses.
Camélia blanc dans une tresse
De cheveux lourds et torsadés,
Ton corps frémit sous les caresses
Et la lune est apprivoisée.
Cheveux dénoués…
Cheveux dénoués
Elle me regarde avec confiance,
Corsage échancré.
Le lit est défait,
Des oiseaux marchent entre les cèdres;
Nous sommes dimanche.
Visage dans la glace,
Il faut préparer le café
La poubelle est pleine.
Son regard durcit,
Sa main attrape la valise;
Tout est de ma faute.
Le mendiant vomit,
Quelques passagers s'écartent
Le métro arrive.
L'aurore est une alternative…
L'aurore est une alternative,
Se disait souvent Annabelle
La journée était une dérive,
La nuit était souvent cruelle.
Entre les sandales de plastique
Que son père appelait des méduses
Glissaient des ombres égocentriques;
Les organes fonctionnent, puis ils s'usent.
Chaque aurore était un adieu
Aux souvenirs de sa jeunesse,
Elle vivait sans avoir de lieu
Et l'errance était sa maîtresse.
Elle chantonnait dans la cuisine
En se préparant des salades.
Midi! Devant sa vie en ruine,
Elle caressait son corps malade.
Elle vivait dans une bonbonnière…
Elle vivait dans une bonbonnière
Avec du fil et des poupées,
Le soleil et la pluie passaient sans s'arrêter sur sa petite maison,
Il ne se passait rien que le bruit des pendules
Et les petits objets brodés
S'accumulaient pour ses neveux et ses nièces
Car elle avait trois soeurs
Qui avaient des enfants,
Depuis sa peine de coeur
Elle n'avait plus d'amant
Et dans sa bonbonnière
Elle cousait en rêvant.
Autour de sa maison il y avait des champs
Et de grands talus d'herbe,
Des coquelicots superbes,
Où elle aimait parfois à marcher très longtemps.
Le soleil tombe…
Le soleil tombe
Et je résiste
Au bord des tombes,
Bravo l'artiste!
La lune est morte,
Morte de froid
Mais que m'importe!
Je suis le roi.
Le jour se lève
Comme un ballon
Qui monte et crève
À l'horizon,
Qui dégouline
De vapeurs grises,
Dans la cuisine
Je m'amenuise.
Des vitres courbées sur la mer…
Des vitres courbées sur la mer,
Et l'immense océan des plaines
S'étendait, gelé par l'hiver;
En moi il n'y avait plus de haine.
Les branches courbées souplement
Sous la neige douce et mortelle
Tracent un nouvel encerclement;
Un souvenir me revient d'elle.