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— Et votre père était ?

— Thibaut qui fut élevé au palais de Jérusalem auprès du saint roi Baudouin IV dont il fut le compagnon, l’écuyer et le plus fidèle serviteur tant que dura sa vie héroïque et douloureuse…

— Le lépreux ? J’ai ouï-dire, en effet, qu’il fut grand comme on doit l’être quand on règne sur la terre où mourut notre doux Seigneur. Mais cela ne dit pas de qui ce Thibaut était le fils ?

— De Jocelin III, dernier comte d’Édesse et de Turbessel ! Il fut son unique fils. Bâtard, lança Renaud un peu à la manière d’un défi parce qu’il savait bien qu’il serait obligé de le dire…, mais reconnu !

— Et votre mère ?

— On ne m’a jamais appris son nom. Seulement qu’elle était une fort grande dame… et qu’elle est morte. Après quoi mon père s’est fait Templier.

Le pli de dédain qui marquait la lèvre de la Reine s’accentua :

— Autrement dit vous êtes bâtard, vous aussi, né sans doute d’une épouse adultère puisque l’on a caché son nom. Et contrairement à votre père vous n’êtes pas reconnu ?

— Si fait, Madame ! riposta Renaud qui se releva, incapable de se laisser fouler aux pieds de cette reine qui le méprisait délibérément. Cette reconnaissance est aux mains de frère Adam Pellicorne, commandeur de Joigny, qui fut, au royaume franc, le compagnon et l’ami de mon père. C’est lui qui m’a mené au baron Raoul de Coucy pour compléter auprès de lui mon éducation chevaleresque.

— Commencée par qui ?

— Mon père adoptif, sire Olin des Courtils, dont Dieu ait l’âme généreuse. C’est lui qui m’a élevé avec sa douce épouse dame Alais, retournée à Dieu elle aussi…

— Pourquoi n’être pas resté chez eux, en ce cas ? Vous eussiez fait vos armes chez le plus haut seigneur de l’endroit. Où est-ce, au fait ?

— En Gastine, près de Châteaurenard. Mes parents adoptifs sont morts, je pense l’avoir déjà dit. Comme il m’était prescrit, je me suis rendu à la commanderie de Joigny pour me remettre aux mains de frère Adam… qui était mon parrain, ajouta-t-il se souvenant des paroles du vieil homme.

— Fort bien, alors, que n’y êtes-vous resté ? C’est noble chose que servir le Temple !

— Certes, Madame… mais il faut y être appelé par Dieu. Sans doute ne m’en a-t-il pas jugé digne.

— Qu’en savez-vous ? Et qui êtes-vous pour oser interpréter les intentions du Tout-Puissant ? s’écria la Reine dont les yeux lançaient des éclairs. Vous pouviez entrer en noviciat et la grâce peut-être vous eût été donnée après beaucoup de prières ?

L’atmosphère se chargeait d’orage sans que Renaud parvînt à comprendre pourquoi la mère du Roi lui faisait cet accueil hérissé d’épines. C’était comme si elle lui en voulait personnellement. Autour d’elle chacun retenait son souffle. Dame Philippa semblait pétrifiée et, sans songer un instant à défendre son serviteur, regardait la scène avec de grands yeux écarquillés. Renaud prit une profonde respiration, conscient du silence ambiant :

— J’ai toujours beaucoup prié, Madame la Reine, comme me l’a enseigné ma mère adoptive qui était fort pieuse, et je l’ai fait encore plus après sa mort. Il n’en reste pas moins que je ne me sens pas attiré par la vie monastique. Même sous les armes du Temple !

— Elles vous iraient bien pourtant. Vous pourriez retourner dans votre pays natal qui est la plus belle terre qui soit au monde puisqu’elle a vu naître notre divin Sauveur.

— Je souhaite y retourner, en effet, mais pas comme Templier !

— Vraiment ? Je me demande bien pourquoi, fit Blanche avec un petit rire sec. Mais… d’autres raisons que l’esprit de croisade vous y attirent-elles ? Le désir de retrouver… certaines racines ?

— Je ne comprends pas ce que Madame veut dire…

— Vous êtes blond mais votre teint est un peu brun, ce qui donne à penser que la dame mystérieuse qui vous a donné le jour pourrait être… sarrasine ?

— Oh ! C’est indigne !

La jeune voix courroucée qui protestait rentra dans la gorge du jeune homme la colère qu’il n’aurait pu contenir plus longtemps. En même temps, une mince silhouette en robe de cendal d’un joyeux rouge clair à parements d’orfroi arrivait du fond de la chambre, dépassait Renaud et sans un regard pour les saluts révérencieux de l’assistance rejoignait Blanche de Castille. Celle-ci, cependant, haussait un sourcil interrogateur sans rien perdre de son calme :

— Eh bien, ma fille, que vous arrive-t-il ?

— Il m’arrive que je suis entrée depuis un instant et que j’ai tout entendu. Oh ! Madame, comment pouvez-vous être aussi cruelle ? Que vous a donc fait ce jeune homme pour que vous le traitiez ainsi ?

La voix, teintée d’une amusante pointe d’accent, était musicale à souhait, mais la reine mère n’y parut pas sensible. Un pli dédaigneux arqua ses lèvres minces :

— Me faire quelque chose à moi, ce garçon ? Vous vous oubliez, ma fille. Et surtout vous oubliez à qui vous parlez !

Marguerite de Provence – c’était elle, bien entendu ! – ne s’émut pas du reproche. Plus tranquillement, elle répondit :

— Je parle à la noble mère de mon époux qui est bien l’homme le plus charitable, le plus accessible et le moins méprisant qui soit, et je ne crois pas qu’il lui viendrait jamais à la pensée de reprocher à quiconque une naissance dont nul n’est responsable. Encore moins d’avancer des suppositions insultantes.

— L’adultère est péché mortel et son fruit…

— Ne le dites pas ! C’est péché aussi d’humilier qui ne le mérite pas. Regardez ce damoiseau et dites-moi…

Elle venait de se retourner pour regarder Renaud et celui-ci, frappé de stupeur et les oreilles bourdonnantes, n’entendit plus rien de ce qu’elle disait. Machinalement, il remit genou en terre et resta là à regarder ce visage délicat, d’un ivoire touché de rose et éclairé par les plus beaux yeux gris qui se puissent voir… Ce visage était le même, exactement, que celui dont il avait trouvé l’image dans la tour oubliée et qui ne le quittait jamais. Incapable de faire un mouvement, foudroyé sur place il oublia soudain le décor somptueux, l’arrogante Castillane, les gens présents et jusqu’à sa propre personne. Sa vie suspendue à ce regard lumineux et compatissant qui lui souriait.

Une main vigoureuse, en le secouant, le tira de son rêve éveillé, en même temps qu’une voix masculine lui ordonnait de se relever. Ce qu’il fit et ce fut pour éprouver une nouvelle surprise, moins violente toutefois que la première : l’homme qui venait de parler était ce personnage si simplement vêtu qu’il avait vu tout à l’heure parler à Pierre de Montreuil près de la chapelle en construction. Il sut du même coup qui il était parce que la jeune reine s’adressait à lui en l’appelant « sire, mon époux ». Le roi Louis, neuvième du nom, celui que tout le royaume coiffait déjà d’une auréole en plus de sa couronne terrestre !

Seigneur ! Je viens de me conduire comme un idiot ! Elle va me croire imbécile ! pensa-t-il atterré sans se rendre compte ce que ce « elle » appliqué de façon si naturelle à la jeune reine signifiait déjà dans le langage de son cœur. Le Roi, cependant, lui parlait de nouveau tandis que Marguerite achevait une explication volubile.

— Eh bien, jeune homme ? Que vous est-il arrivé ? Vous sembliez changé en statue ?

— La… la majesté royale, sire ! réussit à balbutier le malheureux. Je viens de la campagne et je… je ne suis pas habitué !

— Cela vous viendra. Quoique… être malmené par une grande reine et défendu par une autre, ce n’est pas si fréquent. Au moins saurons-nous désormais qui vous êtes. À présent, saluez les dames et descendez attendre la baronne ! Vous vous remettrez mieux hors de notre présence !