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Pour bien montrer qu’il ne le chassait pas Louis tendit sa main à baiser au garçon qui la prit avec reconnaissance, salua et se dirigea vers la porte avec un intense soulagement. Le Roi avait raison : il avait vraiment besoin de retrouver ses esprits. Il prit sa course vers le perron où il s’arrêta pour regarder le ciel et respirer à pleins poumons l’air doux et ensoleillé. C’est alors qu’il s’aperçut que quelqu’un l’avait suivi et se tenait auprès de lui quand la personne en question lui adressa la parole.

— Je voudrais bien savoir, dit-elle, pourquoi la vieille vous a reçu de telle façon ?

— La vieille ? émit-il en considérant avec surprise cette interlocutrice visiblement mal élevée en dépit de sa belle robe de samit, dans le même ton de rouge que celle de Marguerite, et du chapel assorti. C’était à peine une jeune fille. Tout juste une gamine d’une douzaine d’années aux allures de petit coq tellement elle se tenait droite, mais de petit coq dodu. En dehors de cela elle était franchement laide avec son long nez, son teint brouillé, ses cheveux d’une curieuse couleur rousse et sa grande bouche moqueuse dans laquelle cependant se montraient des petites dents bien blanches. Quant à ses yeux obliques, elle les tenait mi-clos de telle façon que l’on n’en pouvait distinguer la couleur. Renaud pensa qu’elle avait un peu l’air d’une sorcière :

— Si vous parlez de la reine Blanche, demoiselle, vous ne semblez guère la respecter autant qu’il se devrait !

— Elle est vieille, non ? répondit la jeune personne. Et cependant elle n’accepte pas son âge puisque à entendre tous les gens de ce palais c’est toujours elle la Reine, la vraie. Pourtant depuis dix ans c’est Madame Marguerite seule qui devrait porter ce titre alors qu’elle s’obstine à la traiter moins bien que ses suivantes. Tout cela parce qu’elle est jalouse.

— De quoi ?

— Il faut être un homme pour émettre une si grosse sottise… C’est l’évidence, voyons ! Elle est jalouse du fait que Madame Marguerite est plus jeune, plus belle qu’elle n’a jamais été et que notre sire l’aime fort !

Elle avait en parlant le même léger accent ensoleillé que sa maîtresse et Renaud en conclut qu’elle venait elle aussi de Provence, mais décida de s’en assurer :

— On dirait que vous aussi aimez fort Madame Marguerite. Vous devez être de ses demoiselles.

La grande bouche révéla toutes ses dents par un grand sourire ravi, cependant que les fentes des paupières découvraient des yeux aussi verts que de jeunes feuilles d’arbre.

— Je suis même la plus proche parce qu’un petit peu sa cousine. J’ai nom Sancie de Signes et la reine Marguerite est ma marraine.

— C’est joli, Sancie, apprécia Renaud qui trouva soudain cette fille sympathique puisqu’elle touchait de si près Marguerite de Provence.

— Merci, mais il n’y a que la Reine et les gens que j’aime qui ont droit de m’appeler ainsi, ajouta-t-elle sévèrement. Pas n’importe qui !

— Jusqu’à ce tantôt je croyais n’être pas n’importe qui, soupira Renaud, mais Madame Blanche s’est chargée de me faire sentir ma vanité.

— Ne dites pas de pauvretés ! Même si la vieille vous dédaigne, votre qualité, bien qu’en ligne bâtarde, a éclaté aux yeux de tous. Être un Courtenay, cousin de l’Empereur, ce n’est pas rien. En outre, votre père était le chevalier de ce quasi légendaire Roi Lépreux et votre mère une très mystérieuse dame, voilà de quoi enflammer les imaginations ! À propos, est-elle mystérieuse pour vous aussi ?

— Non. Je sais qui elle était mais, en ce qui la concerne, je dois garder le silence.

— Ce n’est pas moi qui vous demanderai de le rompre. Mais soyez certain que bien des dames vont vous faire les yeux doux.

— … Et risquer de déplaire à Madame Blanche qui est, vous venez de le dire, toute-puissante ? C’est votre imagination à vous qui bat la campagne.

— Je sais ce que je dis : je les connais et suis certaine qu’à cette heure il y en a déjà deux ou trois qui rêvent d’apprendre votre secret… Et nous en revenons à notre point de départ : nous ne savons toujours pas pourquoi la vieille vous a pris en grippe au premier coup d’œil !

— Par pitié ne l’appelez pas ainsi ! Même si elle m’a pris en grippe comme vous dites et si j’ai peu de chances de l’aimer jamais, cela me gêne : elle est reine, tout de même !

— Et je vous accorde que durant la minorité de notre sire elle s’est montrée une véritable souveraine sachant mater les rebelles – dont étaient d’ailleurs vos Coucy ! – et guider sagement la barque du royaume. À présent notre sire a trente ans : il est assez grand, assez preux et assez sage pour mener ses affaires !

— Seulement il continue à faire cas de sa mère ? Cela peut se comprendre.

Le nez de la jeune Sancie se plissa d’indignation :

— Par saint Jean et saint Eloi qui veillent sur nos terres de Signes, vous raisonnez comme un moine ! Pourquoi, diable, ne vous faites-vous pas Templier au lieu d’être le damoiseau de cette larmoyante Philippa de Coucy qui est bien la femme la plus ennuyeuse que je connaisse ? Il faut être la v…, je veux dire Madame Blanche, pour en faire une amie. Il est vrai qu’elle est fort pieuse elle aussi et qu’elle apprécie surtout les femmes qui ne sont pas heureuses en mariage ! Cela la console de son veuvage…

Cette fois Renaud n’eut pas le temps de répondre : un huissier royal réclamait l’équipage de la dame de Coucy et Sancie s’éclipsa sans ajouter un mot, tandis que Renaud allait au-devant de Philippa. Celle-ci semblait plongée dans de profondes réflexions et n’adressa pas la parole à son damoiseau quand il l’aida à prendre place sur sa haquenée et pas davantage pendant que l’on rentrait à l’hôtel. Renaud en eut quelque souci, se demandant si l’espèce de petit scandale dont il avait été cause n’allait pas le faire renvoyer, ce qui l’eût fort ennuyé. Non parce qu’il s’était attaché à son nouvel état mais, outre qu’il était le chemin de l’adoubement promis par le baron il perdrait, en le quittant, l’accès au palais et la possibilité de revoir la jeune reine. Une idée qui, déjà, lui était cruelle.

Ce qui lui arrivait était si étrange et il n’était pas certain de le comprendre. Lorsqu’il avait trouvé le portrait si amoureusement dessiné par Thibaut, il avait senti une admiration quasi dévote, proche de ce que lui eût inspiré la Vierge Marie : ce visage, c’était celui d’Isabelle de Jérusalem dont il savait à présent qu’elle était sa grand-mère et même si elle lui était apparue comme un idéal, le sentiment qu’elle lui inspirait était fait de tendresse et de respect. Se trouver en face de sa copie vivante et ô combien gracieuse, exquise, fascinante par toute sa vitalité et toute la séduction que dégageait son corps, c’était autre chose et Renaud, agenouillé devant Marguerite, avait éprouvé pour la première fois l’ardent désir d’étreindre mêlé à celui d’adorer. Il avait compris du même coup foudroyant comment Thibaut avait pu passer sa vie entière à n’aimer et attendre qu’une seule femme puisque c’était celle-là ! Et ce titre de damoiseau qui lui déplaisait tant il l’eût porté avec bonheur, avec orgueil si c’eût été auprès de Marguerite et non auprès de cette Philippa qui, tout à l’heure, n’avait rien objecté, rien tenté pour le tirer des griffes de la mégère couronnée. Pas étonnant qu’elles soient amies, ces deux-là ! Du fond de sa colère il se prit à penser que la jeune Sancie et ses sévérités pourraient avoir raison. D’ailleurs, à bien y réfléchir, elle avait entièrement raison puisqu’elle aimait Marguerite et détestait la Castillane. S’en faire une amie ne serait peut-être pas une mauvaise chose… si toutefois l’occasion lui était donnée de l’approcher de nouveau et s’il ne se retrouvait pas demain dans la rue…