Выбрать главу

Voyant que Roncelin allait frapper le vieil homme,

Renaud bondit et le lui arracha des mains :

— C’est vous qui à ces cheveux blancs devez le respect, sinon à autre chose. N’avez-vous pas compris que seul l’un des vôtres peut en savoir autant ? Veuillez lui pardonner, messire, poursuivit-il avec une déférente douceur, mais ce frère-là est sous le coup d’une grave déception… comme je le suis aussi. Consentirez-vous à m’apprendre qui vous êtes ? Moi, j’ai nom Renaud de Courtenay, chevalier et écuyer du roi Louis neuvième du nom !

— Courtenay ? Comme c’est étrange ! L’un des derniers gardiens de la Vraie Croix portait ce nom. C’est aussi l’un des deux qui l’ont cachée avant la grande charge…

— D’où le savez-vous ? Y étiez-vous donc ? proposa Renaud en se livrant à un rapide calcul. Vous êtes très âgé, n’est-ce pas ?

— Oui, et j’étais très jeune lors de ce désastre. Un Templier fraîchement adoubé. J’avais nom Aymar de Rayaq…

— Tu as fui ? fit Roncelin la bouche méprisante. C’est pour ça que tu es encore vivant ?

— Non, je n’ai pas fui. C’est mon cheval qui m’a sauvé du massacre. Dès l’engagement de la charge, il a buté contre une racine et m’a envoyé donner de la tête contre un rocher. En raison de la terrible chaleur je n’avais pas coiffé le heaume. Je suis resté inconscient longtemps et quand je suis revenu à moi j’avais la fièvre et ne me souvenais plus de rien, pas même de mon nom. Un vieil homme était présent qui me soignait. Une sorte d’ermite vivant dans une grotte près d’ici. Il s’appelait Djemal et il priait Allah, mais c’était un homme bon et compatissant. Il m’a soigné, presque guéri. Je dis presque parce qu’il a fallu de longues années pour que je recouvre la mémoire… mais j’étais habitué à la vie sauvage. Djemal mourut et je suis resté. Mon vieil ami m’avait appris la catastrophe de Tibériade…

L’œil de Roncelin s’était allumé à mesure que s’éveillait son intérêt. Une question lui brûlait les lèvres : il la lâcha.

— Si vous étiez Templier, vous savez ce qu’il est advenu de la Croix ?

— Oui. Je l’ai dit, j’étais très jeune alors… et très curieux. J’avais entendu l’ordre de la cacher et j’ai voulu savoir… Dieu m’en a bien puni ensuite…

— Allons donc ! Il vous a sauvé la vie, seul de tout le Temple avec Thibaut de Courtenay qui, lui, est mort, ajouta-t-il revenant à plus de politesse maintenant qu’il savait la qualité réelle du vieillard. Et nous, nous sommes venus pour retrouver la Vraie Croix. La rendre à l’Ordre. Où l’a-t-on mise ?

— Là où vous avez commencé à chercher ce matin. Ce jeune homme vous a montré l’endroit exact… Mais pourquoi était-il lié ?

— Pour me forcer à obéir, dit Renaud. Je ne voulais pas lui donner la Croix. Pardonnez-moi, puisque vous lui apparteniez, mais mon père m’avait fait jurer de ne jamais la remettre à l’Ordre du Temple, mais au roi Louis seul. J’ajoute que le pape Innocent IV la veut aussi…

— Ce qui me paraît plus légitime. Ainsi on vous a amené de force ? Comme, certainement, la jeune femme, là-bas, gardée par un serviteur ?

La fragile patience du sire de Fos était usée :

— Assez de palabres ! hurla-t-il. Si vous connaissiez l’emplacement de la Croix, vous devez savoir où elle est à cette heure !

— Un chevalier du Temple ne ment pas. Oui, je le sais… Des fils de l’Islam sont venus un jour. Ils ont campé à cet endroit, autour de l’acacia. Ils n’étaient que cinq et cherchaient quelque chose. Ils tapaient le sol du pied comme s’ils en attendaient un écho. L’un d’eux est même monté dans l’arbre et le lendemain ils sont repartis. Mais moi, j’ai craint qu’ils ne reviennent en plus grand nombre. Et la nuit suivante, j’ai déterré le sublime symbole de la Rédemption.

— Sage précaution dont je ne saurais trop vous louer ! Il ne vous reste plus qu’à nous la remettre, ajouta Fos d’un ton soudain caressant, mais qui ne le resta pas quand le vieux chevalier répondit :

— Non !

Une nouvelle bouffée de colère manqua étrangler Roncelin :

— Non ?… Alors je vais vous en donner l’ordre ! Vous n’êtes qu’un simple chevalier. Je suis un dignitaire et vous me devez obéissance absolue…

— Je ne suis plus qu’un vieil homme près de sa fin et la vie m’importe peu.

— La mort peut être lente à venir… et cruelle ! grinça Fos.

— C’est sans importance ! Vous venez de me faire comprendre pourquoi Thibaut de Courtenay a fait jurer à son fils de ne la remettre jamais à un homme du Temple. Pas de celui que vous incarnez. Votre Temple, dont à mon époque j’ai soupçonné quelque chose, n’est pas le mien ! Vous ne l’aurez pas de moi !

Sur un signe de leur maître, les valets s’emparèrent de Renaud, pris au dépourvu par leur attaque à laquelle il ne s’attendait pas.

— Si tu ne me la donnes pas, vieux fou, je fais égorger celui-ci devant toi !

— Ne vous souciez pas de moi ! cria le jeune homme. Un chevalier doit être prêt à mourir pour sa cause. Celle-là est mienne !

Roncelin de Fos s’approcha de lui et l’empoigna par le col de sa chemise qu’il remonta en le serrant jusqu’à son menton.

— Est-ce que tu n’oublies pas un détail… ou quelqu’un, mon garçon ? Je vais envoyer chercher la douce Sancie et nous verrons ce que vous direz tous les deux quand elle hurlera sous le fer rougi au feu.

— Dans ce cas, que deviendra votre fructueux marché ? Vous êtes au courant : cet émir dont vous vouliez satisfaire la passion ?

Le hurlement d’horreur d’Aymar de Rayaq trouva un écho dans celui de stupeur de Renaud devant l’extraordinaire spectacle que son regard rencontra : sortant des ruines de Marescalcia, Sancie venait vers eux tenant à pleins bras une grande croix d’or bosselé de pierres précieuses, dont le soleil décroissant tirait des éclairs au rythme de ses pas. L’homme nommé Ali, éperdu, tournait autour d’elle en courant comme un grand chien excité. Un autre cri, faible comme une plainte, se fit entendre et c’était le vieux solitaire qui l’avait émis… La lumière irradiant de la Croix enveloppait la porteuse tout entière, faisant scintiller les larmes qui coulaient de ses yeux. Renaud tomba à genoux et joignit les mains, foudroyé par cette sublime apparition, imité, tant elle était belle à cet instant, par le vieil Aymar. Roncelin de Fos, lui aussi, se figea, son œil gris dilaté par une joie effrayante…

Le cri d’un épervier traversant le ciel pourpre rompit le charme dont tous étaient captifs et ce fut le moins atteint, Fos bien sûr, qui réagit le premier. Courant vers la jeune femme, il lui arracha son trésor, en dépit de ses efforts pour le garder contre sa poitrine, avec une telle brutalité qu’elle chut sur le dos dans un gémissement de douleur.

— Où l’avez-vous trouvée ? hurlait-il en élevant la Croix à deux mains comme s’il voulait s’en servir pour frapper Sancie.

Mais déjà Renaud arrivait sur lui et d’un magistral coup de poing l’envoyait au sol. La Croix échappa à Fos mais son assaillant l’avait rattrapée avant qu’elle ne touche la terre durcie par la sécheresse. Il revint la porter à l’ermite avec un respect infini. Ses mains tremblaient en touchant le métal lisse et doux recouvrant le bois sur lequel le Christ avait agonisé :

— Vous la gardiez dans cette ruine ? reprocha-t-il. Quelle imprudence !

— Non, parce que les gens qui vivent aux alentours de cette cuvette sont persuadés qu’elle est hantée par les fantômes de ceux qui ont trépassé là et en ont peur. J’ai dû m’y installer avec Elle quand un tremblement de terre a bouché la caverne de Djemal.

— Qu’importe, elle est à moi maintenant, gronda Roncelin qui fondait sur eux comme un vautour sur sa proie en vociférant. Secouez-vous, bande d’idiots ! Et emparez-vous de ces hommes !