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— Laissez-la tranquille ! hurla Renaud, comprenant que le renégat n’avait jamais renoncé à faire d’une noble dame franque le jouet d’un seigneur de harem. Ignoble porc ! Le vieil homme t’a maudit, t’a prédit que tu serais damné et je te dis, moi, que tu n’auras aucune miséricorde à espérer ici-bas ou dans l’au-delà !

Ses vociférations emplissaient la nuit et l’émir un instant écouta, mais comme il ne devait rien comprendre il revint à la jeune femme, toucha du doigt le sang qui marquait sa joue en demandant sans doute ce que cela signifiait. Roncelin sourit alors d’un air apaisant, puis désigna Renaud qui titubait vers eux aussi vite que le permettaient ses liens. Il ne fit pas la moitié du chemin. L’émir donna un ordre et deux Sarrasins s’emparèrent de lui. Un instant plus tard, il était bâillonné et ses poignets attachés par une longue corde à la selle d’un de ceux qui l’avaient maîtrisé. L’autre ne devait pas être d’accord car, soudain, il prit une torche, l’approcha du visage de Renaud, fronça le sourcil et dit quelque chose que le prisonnier ne comprit pas, mais qui lui valut un changement d’état. La corde qui le reliait à l’arçon de selle fut détachée et servit à le ligoter soigneusement des chevilles au cou, après quoi on le jeta comme un simple bagage sur la croupe du cheval qui aurait dû le traîner. Il ne vit plus rien que le sol et les jambes du bel animal. Il ne vit pas non plus une litière, fermée par des rideaux de soie, sortir des rangs musulmans. On y emporta Sancie dont il pouvait entendre les cris et les protestations. Qui se turent si subitement qu’il se demanda si on ne l’avait pas assommée.

Enfin, il ne vit pas davantage Roncelin de Fos, campé près des ruines de Marescalcia et regardant avec une joie féroce l’émir remonter sur son magnifique cheval blanc et reprendre sa place dans le cortège qui le débarrassait à la fois de Courtenay et de cette pécore aux yeux trop aigus dont sa sœur se méfiait…

— Elvira sera contente ! marmotta-t-il. On n’est pas près de les revoir. En admettant que ce soit désormais possible…

Il savait, lui, que l’émir en question était en fait le maître de Damas et d’Alep, le malik Youssouf al-Nasir, petit-fils du grand Saladin, et qu’il ne lâchait pas facilement ce qu’il tenait ! Bientôt il ne resterait plus aucun témoin de ce qui venait de se passer près des Cornes de Hattin. Les serviteurs ? Ils lui étaient dévoués corps et âme et, assurément, ils ne représenteraient jamais un problème.

CHAPITRE XIV

« QUI ES-TU ? »

Même s’il appréciait la différence entre être transporté comme un simple paquet et traîné par une longe, et sans doute déchiré sur les pierres des chemins, Renaud ressentait douloureusement chaque pas de l’animal. Les cordes lui sciaient les chevilles, les poignets et gênaient sa respiration autant que sa position à plat ventre. Le sort réservé à son « petit laideron » le tourmentait aussi et faisait plus brûlante encore la haine que lui inspirait Fos. Pourtant, il était si recru de fatigue qu’il finit par s’endormir…

Le réveil fut brutal quand il reprit contact avec le sol où l’on se contenta de le laisser simplement tomber. Il ne vit pas grand-chose d’abord : une paire de bottes poudreuses à bout pointu et retroussé, des jambes épaisses vêtues de mailles, puis un rayon de soleil qui lui arriva dans les yeux avant d’être remplacé par une figure barbue et grisonnante : celle-là même qui l’avait examiné la nuit précédente aux Cornes de Hattin.

L’homme, qui devait être un chef si l’on en jugeait la richesse de ses armes, eut alors un comportement étrange. Il s’accroupit près de Renaud, aboya un ordre, reçut en échange une éponge dégoulinante avec laquelle il se mit à le débarbouiller après quoi il resta là à le regarder d’un air soucieux. Ensuite il se releva, donna un autre ordre. Qui eut pour résultat que deux Sarrasins remirent le captif debout et l’emportèrent plus qu’ils ne l’entraînèrent vers l’une des tours flanquant le mur d’enceinte d’une vaste cour pleine de gardes, de chevaux, de serviteurs et même de chameaux baraqués que l’on déchargeait de leurs ballots solidement ficelés, d’outres en peau de chèvre et de longs paquets enveloppés de tapisseries bariolées qui devaient être des tissus. Cela ressemblait à l’arrivée d’une caravane comme Renaud en avait déjà vu à Saint-Jean-d’Acre. Cependant les bâtiments entourant cette cour ressemblaient davantage à ceux d’un château qu’à un caravansérail.

Renaud s’attendait à être jeté dans un cachot quelconque pour y attendre la mort. On le fit entrer dans la tour, descendre un escalier aux marches hautes et raides, emprunter un couloir obscur éclairé par une seule torche. Enfin s’ouvrit une porte basse, bien armée de serrures et de verrous. Il s’efforça de prendre une profonde respiration, s’attendant à ce que ses gardes le jettent sur le sol et appréhendant la douleur supplémentaire qu’allait en ressentir son corps perclus. Or, sans brutalité excessive, on le fit entrer dans une pièce basse et nue, éclairée par une ouverture plus étroite qu’une meurtrière. Il pensait y trouver des chaînes, des fers, de la paille pourrie… Il vit des dalles et une espèce de lit fait d’un quadrillage de cordes tendues sur un châssis de bois, garni même d’une couverture. On l’y déposa après l’avoir débarrassé de ses liens. Puis les gardes se retirèrent et la porte se referma… pour se rouvrir peu après devant un gigantesque Noir porteur d’une cruche d’eau, d’un pain et d’une écuelle dans laquelle fumait une sorte de ragoût d’oignons et de mouton. Pas un mot, pas un regard, et le serviteur ressortit sans même que Renaud médusé ait seulement essayé de lui adresser la parole. C’était un comportement tellement inhabituel envers un prisonnier ennemi ! Mais celui-ci se sentait trop rompu, trop assoiffé, trop affamé et trop las pour se poser des questions. Il mangea, but, ôta sa chemise trempée par le lavage de tout à l’heure, s’enveloppa dans sa couverture et se coucha sur les cordes qui lui parurent le comble du confort.

N’ayant aucun moyen de mesurer le temps, il ne sut pas combien d’heures il resta inconscient, mais il faisait encore jour quand le vacarme des clefs et des verrous le réveilla. Le personnage qui lui avait lavé la figure entra mais, cette fois, un petit homme à barbiche blanche en robe rayée et turban blanc l’accompagnait, muni d’un coffret contenant ce qu’il fallait pour écrire. Ce fut à lui que l’officier adressa une phrase brève que le scribe traduisit aussi tôt pour le prisonnier :

— Qui es-tu ?

— Un chevalier franc livré par l’un des siens.

— Ce n’est pas ce que veut savoir le puissant émir Shawan ici présent. Aussi je répète : qui es-tu ? Ton nom !

— Je ne vois pas en quoi il peut l’intéresser, mais ce n’est pas un secret : j’ai nom Renaud de Courtenay et suis écuyer de Louis, par la grâce de Dieu roi de France !

— Qui était ton père ?