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» Mais peut-être de telles vitesses sont-elles impossibles dans un cadre financier raisonnable : vous le savez, il faut se munir du carburant destiné à freiner la fin du voyage, même s’il s’agit d’un aller simple. Il peut donc être plus réaliste de prendre son temps, dix mille, cent mille ans…

» Bernal et d’autres ont pensé que ce pouvait être réalisé à l’aide de micromondes mobiles qui, dans leurs flancs larges de quelques kilomètres, emporteraient des milliers de passagers pour des traversées qui s’étendraient sur plusieurs générations. Un tel système, naturellement, devrait être rigoureusement clos, la nourriture, l’air et toutes les denrées vitales étant recyclées. La Terre elle-même ne fonctionne pas d’une autre façon, bien qu’à plus grande échelle.

» Quelques auteurs ont suggéré de construire ces Arches spatiales selon un principe de sphères concentriques. D’autres ont proposé des cylindres creux, tournant sur eux-mêmes, de telle sorte que la force centrifuge fournisse une pesanteur artificielle — et c’est ce que nous trouvons dans le cas de Rama…

Le Pr Davidson ne put rester sans réagir devant cet épanchement verbeux.

— Ne parlons plus de force centrifuge. C’est un fantasme de technicien. Seule existe l’inertie.

— Vous avez parfaitement raison, cela va de soi, reconnut Perera, mais essayez donc d’en persuader un homme qui vient d’être éjecté d’un manège. De toute façon, la rigueur mathématique ne semble pas nécessaire…

— Ecoutez, intervint le Dr Bose avec une pointe d’agacement, nous savons tous ce que vous voulez dire, ou du moins, nous le pensons. Veuillez ne pas détruire nos illusions.

— Je tenais simplement à faire comprendre que Rama ne met en œuvre aucun concept nouveau pour nous, bien que sa taille soit saisissante. Voilà deux cents ans que les hommes ont imaginé semblable chose.

» Cela dit, j’aimerais en venir à une autre question que je me pose. Depuis combien de temps, exactement, Rama sillonne-t-il l’espace ?

» Nous sommes maintenant en possession de données très précises sur son orbite et sa vitesse. En supposant que rien ne puisse, n’ait pu infléchir sa trajectoire, nous pouvons déterminer quelle était sa position voici plusieurs millions d’années. Nous pensions que cela nous mettrait sur la piste d’une étoile relativement proche. Il n’en est rien.

» Rama n’est passé à proximité d’aucune étoile depuis deux cent mille ans, et la dernière qu’il ait croisée se trouve être une variable irrégulière, c’est-à-dire un des soleils les plus défavorables qu’on puisse imaginer pour un système solaire habité. La pulsation de sa brillance est dune amplitude de un à cinquante. Toute planète se trouverait alternativement grillée ou surgelée tous les deux ou trois ans.

— J’ai une idée, intervint le Dr Price, qui explique peut-être tout. Pourquoi ce soleil n’aurait-il pas été jadis normal avant de devenir instable, obligeant les Raméens à en chercher un autre ?

Le Dr Perera, qui admirait la vieille archéologue, la cueillit avec douceur. Mais que dirait-elle, elle, se demanda-t-il, s’il venait, lui, enfoncer des portes ouvertes dans son propre domaine…

— Nous y avons pensé, répondit-il d’un ton amène. Mais si nos théories actuelles sur l’évolution des étoiles sont exactes, cette étoile ne peut pas avoir été stable, et ne peut pas avoir eu de planètes habitées. Donc Rama parcourt l’espace depuis au moins deux cent mille ans, et peut-être depuis plus d’un million d’années.

» C’est à présent un objet froid, ténébreux et apparemment mort, et je crois savoir pourquoi. Les Raméens n’ont pas nécessairement eu le choix — peut-être fuyaient-ils réellement quelque catastrophe — mais ils ont fait une erreur de calcul.

» Aucun système écologique clos ne peut être efficace à cent pour cent. Il y a toujours perte, gâchis, dégradation de l’environnement et amoncellement de produits polluants. Sans doute faut-il des milliards d’années pour empoisonner et épuiser une planète, mais cela finit bien par arriver. Les océans vont s’assécher, l’atmosphère va s’échapper.

» Selon nos critères, Rama est énorme. Mais ce n’est qu’une minuscule planète. Mes calculs, basés sur les déperditions au niveau de son enveloppe, et quelques hypothèses raisonnables sur le taux de rotation biologique indiquent que sa capacité écologique n’était que d’un millier d’années. J’irais jusqu’à leur en accorder dix mille…

» Ce qui serait un délai suffisant, à la vitesse où voyage Rama, pour un trajet entre deux soleils des amas du centre de la Galaxie. Mais non pas au delà, dans la population dispersée de ses bras en spirale. Rama est un vaisseau qui a épuisé ses provisions avant d’atteindre son but. C’est une épave à la dérive entre les étoiles.

» Il n’y a qu’une objection sérieuse à cette théorie, et je me réserve de la soulever. L’orbite de Rama est ajustée avec une telle précision sur le système solaire que toute coïncidence semble devoir être écartée. Je dirais même que sa trajectoire serre d’un peu trop près le soleil pour ne pas y laisser, si j’ose dire, des plumes. Et l’Endeavour devra, pour éviter le surchauffement, se dégager bien avant qu’il ait atteint la périhélie.

» Je ne prétends pas comprendre les raisons de tout ceci. Peut-être Rama est-il encore soumis à quelque mécanisme de guidage qui le dirige sur la plus proche étoile utilisable, des millénaires après que ses constructeurs sont morts.

» Car ils sont morts. J’y engage ma réputation. Tous les échantillons que nous avons prélevés de l’intérieur sont stériles : pas le moindre micro-organisme. Quant à tout ce qu’on pourra vous dire sur l’hibernation prolongée, n’y prêtez pas attention. Il y a des raisons fondamentales pour lesquelles les techniques d’hibernation ne sont pas applicables à des durées dépassant un nombre très restreint de siècles. Or, il est question ici de durées mille fois supérieures.

» Que les fanatiques de Pandore et leurs sympathisants ne s’inquiètent donc pas. Pour ma part, j’en suis navré. Il aurait été prodigieux d’avoir pu rencontrer une autre espèce intelligente.

» Au moins aurons-nous trouvé la réponse à une antique question. Nous ne sommes pas seuls. Nous ne pourrons plus jamais regarder les étoiles du même œil.

LA DESCENTE DANS L’OBSCUR

Le commandant Norton était douloureusement tenté, mais en tant que capitaine, il se devait en premier lieu à son vaisseau. Si, au cours de cette première investigation, quelque chose tournait mal, très mal, il en prendrait pour son grade.

Cela faisait donc de son second, le lieutenant de vaisseau Mercer, l’homme tout désigné. Norton admit de bonne grâce que Karl était mieux adapté à cette mission.

Autorité en matière de systèmes de survie, Mercer avait écrit sur ce sujet des livres dont certains faisaient figure de classiques. Il avait personnellement testé d’innombrables modèles d’équipements, souvent dans des conditions hasardeuses, et sa capacité de contrôle par rétroaction biologique était renommée. Il pouvait, à volonté, ralentir de moitié son pouls et ne pratiquement pas respirer pendant dix minutes. Ces menus talents lui avaient sauvé la vie à plus d’une occasion.

Il alliait cependant de grandes compétence et intelligence à un manque presque total d’imagination. Pour lui, les expériences ou les missions les plus risquées n’étaient que des tâches à accomplir. Il ne prenait jamais de risques inutiles, et n’avait jamais recours à ce qu’on appelle communément le courage.