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Pour la première sortie extra-véhiculaire, Norton ne prit qu’un compagnon, le lieutenant de vaisseau Karl Mercer, son ingénieur et endurant officier de bio-intendance. Il n’avait pas l’intention de s’aventurer hors de vue du vaisseau, et, en cas d’incident, une troupe plus nombreuse ne serait pas un gage de sécurité. Par précaution, toutefois, il fit placer deux hommes d’équipage en tenue de sortie dans le sas.

Le poids de quelques grammes que les forces gravitationnelle et centrifuge de Rama leur conféraient ne les servait ni ne les desservait. Ils devaient s’en remettre entièrement à leurs fusées de propulsion. Dès que possible, se dit Norton, il ferait passer une corde de guidage entre les trois pylônes bas et la fusée comme entre les quatre pointes d’un tricotin, afin que les hommes pussent circuler alentour sans gâchis de carburant.

Le plus proche pylône n’était qu’à dix mètres du sas, et le premier soin de Norton fut de s’assurer que le contact n’avait en rien endommagé le vaisseau. Une poussée de plusieurs tonnes pressait la coque de l’Endeavour contre la paroi courbe, mais la pression était également répartie. Rassuré, il entreprit de faire le tour de la forme circulaire pour tenter d’en déterminer l’usage.

Norton n’avait parcouru que quelques mètres quand il se trouva devant une altération de la paroi parfaitement lisse et apparemment métallique. Il crut d’abord à quelque décoration particulière, car aucune fonction utilitaire ne semblait dévolue à cette forme : six sillons ou encoches radiaux étaient profondément imprimés dans le métal, avec, en leur creux, six barreaux convergents comme les rayons d’une roue sans jante, munie en son centre d’un petit moyeu. Mais, telle qu’elle était encastrée dans le mur, cette roue ne pouvait être d’aucune façon tournée.

Puis il remarqua, avec un début d’ivresse, que les creux se faisaient plus profonds à l’extrémité des rayons de façon à pouvoir accueillir sans difficulté la prise d’une main (ou griffe, ou tentacule ?). Si l’on se tenait ainsi, les bras tendus contre le mur, et qu’on tirât à soi les rayons…

Avec une douceur onctueuse, la roue coulissa hors du mur. Absolument abasourdi — car il avait pratiquement acquis la certitude que toutes les parties mobiles auraient été soudées par le vide depuis des éternités — Norton se retrouva dans la position de l’homme qui tient une barre de gouvernail. Il aurait pu être le capitaine de quelque vieux voilier, de quart à la barre de son bâtiment.

Il pensa avec satisfaction que le traitement anti-reflets de son heaume empêchait Mercer de voir sa mine.

Décontenancé, il l’était, mais furieux aussi contre lui-même. Il avait peut-être déjà commis sa première faute. Et si l’intérieur de Rama résonnait maintenant de signaux d’alarme ? Et si son geste inconsidéré avait déjà mis en route quelque mécanisme implacable ?

Mais aucun changement ne fut signalé par l’Endeavour, ses senseurs ne détectaient rien d’autre que les menus fourmillements thermiques et ses propres mouvements.

— Alors, capitaine, vous allez tourner ce volant ?

Norton se récita une fois de plus ses instructions. « Jugez vous-même des opportunités, mais procédez avec prudence. » S’il devait en référer au Contrôle pour chaque mouvement, il n’arriverait jamais à rien ni nulle part.

— Votre diagnostic, Karl ? demanda-t-il à Mercer.

— De toute évidence, c’est la commande manuelle d’un sas, sans doute une sécurité en cas de panne d’énergie. J’imagine mal une technologie, si avancée soit-elle, qui ne prendrait pas de telles précautions.

Elle serait également à l’épreuve des fausses manœuvres, se dit Norton. La commande ne pourrait être manœuvrée qu’en l’absence de tout danger pour le système…

Il empoigna deux rayons opposés, assura fermement ses pieds contre le sol et pesa sur le volant. Qui ne céda pas.

— Venez m’aider, demanda-t-il à Mercer.

Ils prirent chacun un rayon ; même en y mettant toute leur force, ils furent incapables de produire le moindre mouvement.

Evidemment, rien ne permettait de penser que, sur Rama, les horloges et les tire-bouchons tournaient dans le même sens que sur Terre…

— Essayons dans l’autre sens, suggéra Mercer.

Il n’y eut, cette fois, aucune résistance. Le volant fit presque sans effort un tour complet. Puis, très doucement, il embraya.

A un demi-mètre de là, la paroi courbe du pylône se mit à bouger, s’ouvrant lentement à la façon d’un coquillage. Quelques particules de poussière, chassées par les tourbillons de l’air qui fusait, jetèrent une volée de diamants dès que la lumière aveuglante du soleil les accrocha. L’accès à Rama était ouvert.

LA COMMISSION

Ç’avait été une grave erreur, pensait souvent le Dr Bose, que d’établir l’état-major des Planètes unies sur la Lune. Il était inévitable que la Terre tendît à dominer les débats, tout comme elle dominait le paysage à l’extérieur du dôme. Puisqu’il avait fallu construire ici, au moins aurait-on pu le faire sur la Face cachée où jamais ne s’exerçait le miroitant pouvoir magnétique de ce disque…

Mais il était, bien sûr, beaucoup trop tard pour changer, et, de toute façon, il n’y avait pratiquement pas le choix. Que cela plût ou non aux colonies, la Terre exercerait sa suzeraineté culturelle et économique sur le système solaire au cours des siècles à venir.

Le Dr Bose était né sur Terre, et n’avait émigré sur Mars que la trentaine passée. Il pensait donc pouvoir considérer d’un œil froid la situation politique. Il savait maintenant qu’il ne reviendrait jamais sur sa planète natale, bien qu’elle ne fût qu’à cinq heures de vol par la navette spatiale. A cent quinze ans, il était en parfaite santé, mais ne pouvait envisager le traitement destiné à le réaccoutumer à une gravité triple de celle dont il avait joui durant la majeure partie de sa vie. Il était exilé pour toujours de son monde natal. Son absence de sentimentalité l’avait toutefois tenu à l’écart des nostalgies futiles.

Ce qui parfois le déprimait était la nécessité de côtoyer, à longueur d’année, les mêmes visages familiers. Les miracles de la médecine étaient choses appréciables, et loin de lui le désir de revenir en arrière ; mais autour de cette table de conférence se trouvaient des hommes avec qui il travaillait depuis plus d’un demi-siècle. Il savait exactement ce qu’ils allaient dire et comment ils prendraient position sur tel ou tel sujet. Il souhaitait que, un jour ou l’autre, l’un d’eux fît quelque chose de totalement inattendu, peut-être même une folie.

Et sans doute éprouvaient-ils le même sentiment à son endroit.

De par ses effectifs réduits, mais cela n’aurait qu’un temps, la Commission Rama était encore, disons, praticable. Ses six collègues représentants aux P.U. de Mercure, de la Terre, de Luna, de Ganymède, Titan et Triton, étaient tous présents en chair et en os. Il le fallait bien, car la diplomatie électronique n’était plus possible à l’échelle du système solaire. Accoutumés qu’ils étaient aux communications immédiates que la Terre avait longtemps considérées comme allant de soi, certains parmi les aînés des hommes politiques n’avaient jamais pu admettre que les ondes radio prissent plusieurs minutes, voire plusieurs heures pour traverser les abîmes séparant les planètes. « Alors, les scientifiques, qu’attendez-vous pour y remédier ? » les entendait-on soupirer non sans acrimonie lorsqu’une conversation immédiate se révélait impossible entre la Terre et l’un de ses plus lointains rejetons. Seule la Lune bénéficiait d’un retard — à peine tolérable — d’une seconde et demie, avec tout ce que cela entraînait de conséquences politiques et psychologiques. En raison de cette contingence de la vie à l’échelle astronomique, la Lune, et elle seule, resterait toujours une banlieue de la Terre.