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— Seule avec mon assistante !

— Laquelle vous tient en laisse !

— Lorsque mon mari sera parti, je la renverrai ! Je suis tout de même sa patronne. Elle est suffisamment gourde pour me fournir un prétexte.

— Mais que dira Carbonin à son retour ?

— Il piquera une crise et je prendrai sans doute une gifle, mais l’enjeu ne vaut-il pas que j’affronte sa colère ?

Son tranquille courage m’emplissait d’une admiration sans borne. Elle acceptait ce risque, sachant qu’elle serait molestée en fin de compte.

— Ces trente-six heures de tête-à-tête, François, nous renseigneront.

« Après, nous saurons ce que nous aurons à faire ! »

— Mais…

— À moins que vous n’ayez même pas envie de ces trente-six heures ?

Elle plissait les yeux, cherchant à lire au plus secret de mes pensées.

— J’hésite à cause du risque que vous courrez, Danièle, l’ai-je assurée. Ce côté expérimental me semble un peu… un peu mesquin. On ne prend pas le bonheur à l’essai !

— Qui vous dit que ce sera du bonheur ?

— Je le sais !

— Moi, pas encore ! Je joue cette incertitude placée au lieu de la jouer gagnante, c’est moins risqué. Si l’expérience est négative, je m’en tire avec une raclée !

— Taisez-vous ! ai-je imploré, révolté par ce terme.

— Si elle est positive, a poursuivi Danièle, alors oui, peut-être ce sera le bonheur.

J’étais vaincu. Elle avait en effet trouvé un moyen efficace de résoudre notre problème.

— Une fois votre bonne congédiée, vous viendrez ici ?

— Oui, si la maison est vide !

J’avais compris. Je me suis senti rougir comme le premier jour quand j’avais laissé tomber mon peigne dans son cabinet.

— Elle sera vide !

— Merci.

— Vous ne craignez pas que votre mari téléphone, en cours de route, et qu’il fasse demi-tour en obtenant la sonnerie de non-réponse ?

— J’y ai pensé. La veille de son départ, je détraquerai le téléphone et je lui demanderai de prévenir les P.T.T.

— Ils viendront réparer…

— Eh bien, je le détraquerai encore après leur départ de façon à faire croire à Jérôme qu’il y a une grave avarie sur ma ligne…

— Pas mal combiné.

— Quand on veut vraiment quelque chose, on a toutes les ingéniosités, François. Et je veux vraiment ces fameuses trente-six heures ! De tout mon être, de toute mon âme. Maintenant je vous quitte.

Je ne reviendrai plus avant mardi prochain ; c’est ce jour-là qu’il s’en va.

Elle a pris son manteau vert.

— Si dans l’intervalle, vous voulez annuler notre projet…

— Danièle !

— Au revoir.

Je l’ai accompagnée jusqu’à l’escalier. Achille encaustiquait les marches de bois. Il a levé la tête en douce pour regarder sous les jupes de Danièle lorsqu’elle est passée près de lui. J’aurais donné n’importe quoi pour avoir envie, moi aussi, de ce coup d’œil polisson.

De retour dans ma chambre, j’ai cherché à quelle curiosité sexuelle répondait le regard impudique d’Achille. Je n’arrivais pas à comprendre. C’était pour moi un mystère. Un grand mystère.

CHAPITRE XIII

— On peut entrer ?

Riton passait son visage mâchuré par l’entrebâillement de la porte. Une sueur prolétarienne dégoulinait sur les ailes de son nez. Il rayonnait d’une joie inattendue.

— En voilà une question !

— C’est que je ne suis pas seul, vieille cloche !

— Hein ?

— Mords la came !

Théâtral, il a poussé la porte en grand avec le pied. À ses côtés se trouvait une chose bizarre et noire qui avait la forme d’une potence. En y regardant de plus près, j’ai vu qu’il s’agissait d’un lampadaire en fer forgé. Il était fichu comme l’as de pique. De guingois, mal équilibré. Mais Riton en était fier au-delà de toute expression.

— C’est pour toi ! a-t-il murmuré en saisissant l’engin à deux mains afin de le rentrer dans ma chambre.

J’ai balbutié, terrorisé par cette ferraille inquiétante :

— C’est toi qui as fait ça ?

— Non, c’est le duc de « Vindesor » !

Il jubilait. Jamais je ne l’avais vu aussi transporté. Ce travail, il l’avait exécuté pour moi ; il y avait mis tout son savoir, toutes ses forces et tout son cœur. J’ai été bouleversé par l’attention. Le lampadaire boiteux et biscornu comme un vieux cep de vigne m’est soudain apparu comme une œuvre d’art magistrale !

— Oh ! Riton…

— Ça te plaît ?

— C’est sensationnel !

— Trois mois de turbin, cher maître ! Mais je crois que ça valait la sueur du bonhomme, non ?

Ce qu’il était attendrissant avec son visage barbouillé de graisse et de cambouis, ses mains meurtries par le fer et par le feu !

J’ai oublié mon reste de ressentiment. Il était si fier de lui, et tellement certain d’avoir accompli un chef-d’œuvre de ferronnerie.

— Tu as beaucoup de talent, Riton. Tu devrais continuer…

— Ah oui ?

— Bien sûr.

— T’estimes que ça se vendrait, mes conneries ?

— Comme des petits pains, ai-je affirmé sans rire.

— Si j’en aurais beaucoup, je pourrais faire une « esposition » ?

— Et comment !

— Tu crois ?

— Essaie, tu verras. On pourra présenter quelques-unes de tes pièces lors de ma prochaine exposition.

Il s’est essuyé le nez d’un revers de manche.

— Oh ! mes pièces, comme tu y vas ! C’est juste des bricoles, quoi, faut pas chérer !

— Tu pourrais essayer autre chose que des lampadaires.

— Quoi ?

— Des sujets décoratifs par exemple.

— Mince, j’y pensais et j’osais pas te le dire. J’ai idée de faire un poisson. Une sole, pour commencer, çà sera plus fastoche. Entre deux roseaux, tu vois le topo ?

— Eh bien, je suis content de te trouver dans d’aussi nobles dispositions, Riton. Tu verras comme c’est beau de créer !

Il a montré son ignoble lampadaire.

— J’ai déjà vu, a-t-il affirmé non sans noblesse.

Depuis plusieurs jours que Danièle ne venait plus, il avait retrouvé sa gouaille d’autrefois. Je l’entendais chanter à tue-tête d’un bout à l’autre de la journée.

J’ai caressé les arêtes rugueuses du lampadaire. Pour le remercier, j’allais lui administrer un sérieux coup de bâton derrière les oreilles.

— Assieds-toi, Riton.

— Non, regarde, faut que je me change, j’suis gras comme un beignet !

— Ça ne fait rien, assieds-toi, j’ai à te parler !

Son expression joyeuse s’est volatilisée.

— Je préfère rester debout, c’est comme ça qu’on est le mieux pour se faire fusiller !

— Que racontes-tu ?

— Je te connais, c’est tout. Et comme tu ne peux avoir qu’une chose à me dire, je vois ce que c’est !

— Qu’est-ce que c’est ?

— Adieu !

Sa tête s’est inclinée et son regard avait cette expression inquiète qui fait le charme des myopes.

— C’est pas vrai ? a-t-il insisté peureusement.

— Non, Riton. Du moins…

— Bon, ça va. Je te disais que j’avais compris. Madame vient s’installer ici ?

— Pour deux jours seulement.

— Ça te tourmentait, hein ?

— Écoute, mon petit, je préfère que nous n’abordions pas ce sujet. Elle arrive demain. Je te donnerai de l’argent et tu iras loger à Paris. Tu te paieras du cinéma tout ton soûl, toi qui te plains que nous n’y allons jamais !