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— Mon pauvre François…

— Et puis ?

— J’ai battu en retraite devant sa fureur, je voulais m’enfermer dans mon cabinet, mais il y est entré avec moi et s’est mis à me frapper. Alors pour la première fois de ma vie j’ai vu rouge. Ce qui m’a affolée, ça n’était pas les coups, François. Oh ! non : des coups ne sont rien. C’est l’idée que je n’allais pas pouvoir venir ici, que notre week-end était perdu. Alors j’ai pris un scalpel et…

— Et ?

— Dans la gorge. J’ai frappé au hasard, croyez-le, et il a pris la lame en pleine carotide.

J’ai fermé les yeux. J’imaginais parfaitement la scène : Carbonin, courtaud, épais, foudroyé par ce coup de lancette dans le cou.

— Que s’est-il passé ?

— J’ai été dégrisée et lui aussi ! J’ai essayé d’arrêter le sang avec des compresses. Je ne savais plus où j’en étais, je ne me rappelais plus rien de mes années d’études. Il est mort rapidement.

— Où est-il maintenant ?

— Sur le carreau de mon cabinet !

— Qu’avez-vous fait, après ?

Elle continuait de caresser mes cheveux, tendrement, comme si elle voulait m’apaiser.

— Hein, dites, Danièle, qu’avez-vous fait ?

— Pendant un bon moment j’ai eu envie de prévenir la police, j’ai même pris le téléphone pour le faire, oubliant que je l’avais détraqué. Et alors seulement je me suis dit que j’avais quelques heures de sursis et que cette nuit tant désirée, nous pouvions la vivre tout de même, vous et moi ! C’était une nuit sans lendemain, mais qui pouvait nous apporter tellement. Voyez-vous, François, ordinairement des amants vivent leurs amours en deux, quatre, cinq ou dix ans et parfois davantage ! J’ai décidé que nos amours, à nous, ne dureraient qu’une nuit. Dans mon idée, ça n’allait pas être des amours banales, mais des noces. Des noces, François ! Oh ! mon Dieu, et ce petit imbécile qui a tout gâché !

Épouvantée par la cruauté du sort, elle a voilé son visage pathétique de ses deux mains.

Je m’étais assis sur mes talons. Je raclais le tapis de mes ongles en la regardant. Personne ne pouvait donner une aussi extraordinaire preuve d’amour. Jamais une femme n’irait aussi loin que Danièle dans le sacrifice.

— Nous allons partir, Danièle. Je vous cacherai… Le corps de votre mari ne sera découvert que demain ou après-demain, cela nous laisse le temps de filer. Partons en Suisse.

— C’est impossible.

— Mais si, il ne faut pas perdre une minute !

— Non, François, le monde est trop petit pour les assassins. D’ailleurs comment me cacherais-je avec vous qui êtes universellement connu ?

— Nous trouverons un moyen. J’ai de l’argent, beaucoup d’argent…

— Et votre carrière ? Tout cela, François, je l’ai fait en pensant à elle. Vous ne voudriez pas que je la compromette !

— Je me fous de ma carrière !

— À cette minute, oui, peut-être, mais demain !

J’allais avoir du mal à la décider ; mais je tenais à mon idée. Fuir ! Ah oui, fuir à l’autre bout du monde…

Je me suis levé et j’ai gagné la fenêtre. De toutes mes forces je me suis mis à appeler :

— Riton ! Arrive ici ! Riiiton !

Danièle a murmuré :

— Oh ! François, c’était bien la dernière personne à appeler.

— Je veux qu’il apprenne de ma bouche les conséquences de sa vilenie ; car s’il n’avait pas prévenu votre mari, l’autre fois, jamais Carbonin n’aurait songé à vous ménager ce traquenard !

— Et après ?

— Après, vous verrez !

Riton est arrivé en courant. Je pense qu’il ne devait pas être loin de la maison. En tout cas il ne se trouvait pas dans le pigeonnier !

— T’appelles au secours, vieille cloche ? m’a-t-il demandé sans regarder Danièle.

Il a compris à mon expression que l’instant était grave.

— Ben quoi, explique !

J’ai pris le revolver dans ma poche. Il a blêmi en le voyant.

— Tu charries, François, qu’est-ce que ça veut dire ?

— Ça veut dire que j’ai pensé à te tuer, ça veut dire que j’en ai terriblement envie, ça veut dire que je vais probablement le faire !

— François ! a crié ma compagne.

Riton était trop épouvanté pour parler.

Je lui ai relaté le meurtre dont Danièle s’était rendue coupable. Il ouvrait de grands yeux horrifiés et reculait en esquissant sans le vouloir un geste de dénégation.

— Tu comprends, ai-je conclu, cet homme est mort à cause de toi, et à cause de toi Danièle va peut-être aller en prison. Je lui propose de l’emmener, de la cacher ; elle refuse. Si tu ne la décides pas, je te tue ! Voilà !

J’ai réussi à les surprendre autant l’un que l’autre. Et cependant il me semblait confusément que seul Riton pouvait en effet m’aider à dénouer cette situation inextricable.

— Moi ! a-t-il gémi.

— Toi !

Il s’est tourné vers Danièle. Il ne savait que lui dire.

— Je vous demande pardon, madame ! Elle était écœurée. J’ai cru à la faillite de mon essai.

— Oh ! je vous en prie, mon garçon…

J’ai approché le pistolet du flanc gauche de Riton.

— Trouve quelque chose pour la décider ou je tire !

Je croyais avoir parlé normalement, mais j’avais en réalité hurlé car tous deux ont eu un tressaillement.

— Oh ! François, a murmuré Riton, tu ne vas pas me tuer !

— Trouve quelque chose !

— Je t’en supplie, François ! Me tue pas ! Me tue pas !

À quoi peut tenir la peau d’un homme ? Mon index s’est crispé sur la détente ; si celle-ci avait été un tout petit peu plus sensible, Riton mourait.

— Arrêtez, François, a lancé Danièle ; puisque c’est ainsi, je pars avec vous !

Bluffait-elle ? Non. Son regard était net ; son attitude parfaitement décidée.

— Merci, Danièle ! Merci pour lui et pour moi ! Prenez votre manteau, moi je vais aller faire une valise et prendre mon argent…

Et, saisissant Riton par le bras, j’ai déclaré :

— Si tu dis un mot à la police, un seul, je te jure que je te tuerai !

— Mais non, François ! a-t-il bredouillé. Mais non, penses-tu…

Nous l’avons laissé seul dans la tour. Il ne m’a pas fallu longtemps pour mettre du linge dans une valise, ramasser dans mes tiroirs les valeurs qui s’y trouvaient, mon passeport et mon chéquier. Danièle me suivait pas à pas comme un chien battu. C’était elle qui était docile maintenant. Pour la première fois, je contrôlais une situation.

Quand nous sommes redescendus, Riton se trouvait dans le hall. Il paraissait avoir un peu récupéré, mais il restait très pâle.

— Attendez, a-t-il dit, ne partez pas, il m’est venu une autre idée !

Nous aurions dû passer outre, mais son attitude avait quelque chose de pathétique.

— J’ai peut-être trouvé un moyen d’arranger ça.

— Venez, ai-je dit à Danièle en lui prenant le bras.

Curieux triangle ! Je voyais ça avec mon œil de peintre. Trois personnes piquées sur les carreaux blancs et noirs du hall comme d’étranges pièces d’échiquier.

— Parle !

— Si vous partez, ça ne changera rien à rien, au contraire, la police saura tout de suite que madame a tué son mari. On vous retrouvera, où que vous alliez, et les mandats d’extradition n’ont pas été inventés pour les cabots !

— C’est tout ce que tu as à dire ?