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— Qu’est-ce qu’il a fait ? demanda Malko.

Sam cracha par terre.

— Il menait le défilé avec un drapeau vietcong. Quand on a voulu le lui prendre, il nous a tiré dessus avec un 38. Deux blessés.

Il avait ouvert la porte. Malko entra, suivi de Sam qui avait dégainé son pistolet. Devant eux, se tenait un homme en manches de chemise, assis sur un banc. Une vilaine ecchymose bleuissait sa tempe droite et ses mains tremblaient légèrement.

— Le monsieur veut te parler, dit Sam en lui heurtant le flanc avec le canon de son pistolet. Alors tâche de répondre ou je me laisse aller à mes bons sentiments.

L’homme regarda Malko et demanda d’une voix atone :

— Qui êtes-vous ?

— J’enquête pour le gouvernement. Je voudrais vous poser quelques questions, répondit Malko.

— Si vous voulez.

— Comment vous appelez-vous ?

— Lester White.

Le flic s’assit sur le banc et se mit à faire tourner le barillet de son revolver en écoutant la conversation. Malko avait pris une chaise en face du prisonnier.

— Que faites-vous dans la vie, monsieur White ? continua-t-il.

— Je suis responsable de fabrication à « Electronics of California », une grosse boîte de Oakland.

— Avez-vous à vous plaindre dans votre travail ?

— Non. C’est plutôt un bon job. Je gagne bien ma vie. J’ai connu pire.

Lester White répondait calmement, sans aucune tension. Malko se gratta la gorge.

— Venons-en à aujourd’hui. Vous êtes accusé d’avoir tiré sur des policiers et d’en avoir blessé deux. C’est extrêmement grave. Vous risquez la chambre à gaz. Pourquoi avez-vous fait cela ?

Lester White se tortilla sur son banc et soudain répondit d’une voix différente, un peu absente, plus aiguë :

— Peu importe ce qui m’arrivera, du moment que nos idées triompheront.

— Quelles idées ?

— Il faut vaincre l’impérialisme, permettre aux forces démocratiques de s’exprimer. Il faut arrêter la guerre au Viêt-Nam, admettre à l’O.N.U. la Chine démocratique.

Les yeux de Malko ne quittaient pas le visage du prisonnier. Il était stupéfait de la transformation. Les yeux n’avaient plus d’expression. On aurait pu croire que l’homme récitait une leçon.

— Êtes-vous communiste ? demanda Malko.

— Bien sûr, je suis communiste, répondit paisiblement l’autre.

Le flic bondit de son banc.

— Non, mais vous entendez cette ordure ?

— Du calme, dit Malko. Êtes-vous inscrit à un parti monsieur White ?

— Vous savez bien que le parti communiste est illégal aux États-Unis. Mais il n’y a pas besoin d’être membre d’un parti pour faire triompher la vérité.

— Avez-vous toujours pensé ainsi ?

— Bien sûr que non. J’ai dû beaucoup réfléchir et me repentir…

— Vous repentir ?

— Bien sûr. J’ai été, moi aussi, complice des impérialistes et des fauteurs de guerre. J’ai même voté pour l’élection du président…

— Pour qui voteriez-vous maintenant s’il y avait des élections ?

— Pour un candidat démocratique qui s’engage à mener une politique socialiste.

Le flic n’arrivait plus à respirer. Un chapelet d’obscénités tombait à voix basse de ses lèvres. Il regardait White comme on contemple une araignée.

Malko tenta de continuer l’interrogatoire.

— Avez-vous eu des contacts avec d’autres… sympathisants socialistes ? demanda-t-il.

White ricana sèchement.

— Bien sûr, répliqua-t-il. C’est moi qui ai créé la première cellule communiste de South San Francisco. Ce ne sera pas la dernière. Peu à peu les Américains admettent que la seule solution correcte consiste à penser comme nous.

Malko tiqua au terme de « solution correcte ». C’était une expression typique de la dialectique communiste. Où White l’avait-il apprise ?

— D’ailleurs, continua le prisonnier, vous-même qui travaillez pour le gouvernement impérialiste des États-Unis, vous finirez par penser correctement… Tous les gens honnêtes éprouveront tôt ou tard un sentiment d’indignation devant la fourberie des dirigeants de ce pays.

— Vous ne croyez pas appartenir à une petite minorité ? demanda doucement Malko.

— Nous étions des centaines aujourd’hui, répondit simplement White. Bientôt, nous serons des milliers, même si on nous met en prison ou si on nous exécute.

Dès que Malko abordait le problème politique, la docile indifférence du prisonnier se transformait en un ton monocorde et tendu. Une sensation de malaise se dégageait du personnage qui rappelait à Malko un souvenir enfoui dans sa mémoire, sans qu’il arrive à le situer.

— Je vous remercie, conclut-il. Je souhaite que votre geste insensé n’ait pas de conséquences trop graves pour vous.

Lester White récita :

— La conséquence finale de nos actes sera l’effondrement du régime capitaliste.

Suivi du flic, Malko sortit.

— Vous voyez bien qu’il est dingue, explosa le flic. Non, mais vous l’entendez ! L’effondrement du régime capitaliste !

Ils retournèrent auprès de Richard Hood. Les suspects défilaient toujours. Malko profita d’une accalmie pour se pencher vers le chef de la police.

— En dehors des arrestations, avez-vous fait une enquête sur les tenants et aboutissants de cette histoire ? demanda Malko.

Hood fit, désabusé :

— Le F.B.I. a envoyé 150 hommes qui ne font que ça. Les miens les aident. Par exemple, le type que vous venez de voir, on sait tout sur lui depuis qu’il est sorti du ventre de sa mère. Nous avons une réunion ce soir dans mon bureau, à huit heures. Venez, vous en saurez autant que moi.

Malko accepta. Cela lui donnait le temps de repasser par son hôtel et de respirer un peu. Cinq minutes plus tard, il roulait vers San Francisco dans une voiture de police.

Au passage il acheta la dernière édition du San Francisco Chronicle. Toute la première page était consacrée aux troubles avec une manchette sur huit colonnes : « Meurtres et incendies dans le Sud. »

L’éditorial parlait de « folie subite », d’extrémistes, de carence de la police. Mais rien sur l’épidémie de communisme. On mettait le déclenchement de la bagarre sur le compte de la vague de chaleur.

Il y avait tellement de fumée dans le bureau du chef Hood qu’on avait envie de crier « au feu ». Assis un peu partout, une douzaine d’hommes écoutaient le discours d’un type en chemise blanche, les cheveux en brosse et l’œil clair qui sentait le F.B.I. à des kilomètres.

— Nous sommes, conclut-il, en face de la plus grande entreprise de subversion jamais tentée dans ce pays. Regardez !

Il y avait au mur une immense carte de l’Etat de Californie. Avec des punaises et des fils de couleur, on avait délimité une zone qui englobait le sud de San Francisco jusqu’à Monterey et une partie de la ville d’Oakland à l’est.

— A l’intérieur de cette zone, continua l’orateur, des citoyens jusqu’alors normaux se transforment en communistes selon un processus dont nous n’avons pas la moindre idée. D’après nos sondages, il semble que 20 % de la population soit touchée.

Il y eut un silence tendu. Malko leva le bras et osa une question :

— Il y a-t-il des enfants atteints par cette contagion ?

L’homme du F.B.I. secoua tristement la tête.

— Pas mal. C’est un de nos plus gros soucis.

Malko avait été présenté par Hood comme un enquêteur du State Department. Il ne savait pas si le F.B.I. était dupe, mais il s’en moquait.

L’homme du F.B.I. conclut :

— Nous avons même été contraints de relever de leurs fonctions certains de nos agents, eux aussi touchés par l’épidémie.