Выбрать главу

— Je ne suis pas venu spécialement pour cela, dit Malko.

Il y eut une longue minute de silence. Fu-Chaw clignotait paisiblement des yeux mais ne bougeait pas de son fauteuil. Malko réattaqua.

— Cela m’amuserait quand même de jeter un coup d’œil sur ce grimoire.

Fu-Chaw s’arracha à son fauteuil et, sans répondre, trottina jusqu’à son bureau. Il prit dans un tiroir un dossier qu’il tendit à Malko.

— Voici le rapport qui vous intéresse, dit-il de sa voix fluette. Malheureusement, je ne pense pas qu’il puisse vous être très utile…

Le document était à en-tête du F.B.I. Dans la marge, il y avait en lettres rouges la marque X-100, code connu de Malko. Cela signifiait qu’il s’agissait de faits s’étant déroulés aux U.S.A. et recueillis par un agent responsable.

Il y avait d’abord la déposition d’un certain James Bozant, quatorze ans, marchand de journaux, demeurant à San Francisco, 2549 Foster Avenue :

« Je descendais l’escalier d’un immeuble de trois étages au 3403 Foster Avenue, disait-il, lorsque je trébuchai. Je venais de recevoir d’un client cinquante cents en petite monnaie et l’argent m’échappa et tomba sur les marches. Quand j’ai ramassé les pièces – un quarter et cinq nickels – j’ai vu qu’un des nickels s’était fendu en deux. J’ai ramassé les deux morceaux et j’ai vu que d’un côté, il y avait un bout de microfilm, couvert de caractères étranges. Comme je vais souvent au cinéma je savais ce que c’était. On aurait dit qu’il y avait une rangée de fiches dessus. J’ai aussitôt téléphoné au F.B.I. à qui j’ai remis la pièce. Je ne sais rien d’autre. » C’était signé du 13 juillet 1968. Malko lut le second document, rapport du F.B.I. de San Francisco. Agrandi, le microfilm avait fait apparaître des rangées de caractères chinois. Tandis qu’on transmettait le document au décryptage, le F.B.I. chercha à retrouver l’origine de la pièce.

En vain. Tous les locataires du 3403 Foster Avenue avaient été interrogés, ainsi que le dernier client, leurs vies fouillées. Après six mois et une tonne d’interrogatoires, le F.B.I. en était au même point. La pièce pouvait venir de n’importe où. C’était une pièce trop répandue pour qu’on puisse la suivre à la trace. Une fois les deux morceaux réemboîtés, on ne s’apercevait pas du trucage. Si le petit marchand de journaux n’avait pas trébuché dans l’escalier, la pièce servirait encore à acheter des journaux. Le F.B.I. pensait qu’elle était entrée accidentellement dans le circuit commercial. Impossible de savoir où et quand. L’épaisseur – deux millimètres – et le diamètre – douze millimètres – se prêtaient parfaitement au trucage, une cavité faite vraisemblablement au tour.

L’histoire du contenu de la pièce n’était pas plus encourageante. Pendant six mois les meilleurs décrypteurs de la C.I.A. et du F.B.I. s’étaient penchés sur les caractères sans résultat. Les hommes ayant échoué, on avait essayé les machines. La C.I.A. possédait un ordinateur capable de traduire Autant en emporte le vent en russe et en quatre minutes. Mais cette machine merveilleuse avait vomi des kilomètres de ruban magnétique sans aucun sens. Il y avait certainement un code mais personne ne l’avait découvert.

Ensuite, à tout hasard, on avait transmis le dossier à Fu-Chaw. Il avait fait effectuer un décryptage. D’après lui, c’était le signe de reconnaissance d’une des sociétés secrètes – le Lotus Blanc – qui pullulaient encore dans les milieux chinois. De plus, d’après Fu-Chaw, la pièce pouvait avoir beaucoup voyagé, venir de Singapour ou de Hong-Kong. Connaissant le désir forcené du Chinois de ne pas perdre la face, les Américains avaient poliment remercié, pensant que Fu-Chaw avait trouvé une façon élégante de masquer son incapacité de traduire le texte, qui avait continué sa ronde dans les services officiels.

Malko se plongea dans la contemplation du fac-similé du microfilm.

Les caractères étaient disposés de façon curieuse. Au nombre de 56, ils formaient un carré parfait, 14 par côté. Dans chaque coin de ce carré il y avait un idéogramme différent. Puis trois octogones d’idéogrammes remplissaient l’intérieur du carré. Enfin au milieu, un idéogramme seul dans un losange.

Le major Fu-Chaw avait gardé le plus profond silence pendant la lecture de Malko. Quand ce dernier referma le dossier, il eut un rire de crécelle surprenant chez un personnage de sa taille et remarqua :

— Vous voyez que tout cela n’est pas bien sérieux.

Malko le regarda ingénument.

— Mais major, ne trouvez-vous pas que c’est une façon bien compliquée de véhiculer un signe de reconnaissance ?

Fu-Chaw éleva ses mains grassouillettes.

— Les Chinois sont souvent compliqués et enfantins. Les membres de l’honorable société du Lotus Blanc échangent une correspondance mystique sur les astres, en prenant des précautions extraordinaires…

— Je vois, je vois, dit Malko.

Derrière ses lunettes noires, il ne quittait pas le Chinois des yeux. Fu-Chaw semblait indisposé par les questions de son vis-à-vis. De minuscules gouttes de sueur perlaient au-dessus de sa lèvre supérieure. Raison de plus pour continuer.

— Je crois que vous avez fait le tour de la question, dit-il en souriant. Vous êtes certain de votre traduction, n’est-ce pas ?

— Absolument.

Cette fois, c’était parti comme un coup de feu. Fu-Chaw en avait oublié de cligner des yeux.

Malko sentait le Chinois sur des charbons ardents. Il fit semblant de détourner la conversation, tout en restant sur le sujet qui l’intéressait.

— Y a-t-il des cellules communistes parmi la population jaune de la Côte Ouest ? demanda-t-il.

Fu-Chaw regarda Malko comme s’il avait évoqué le diable, et dit :

— Je n’en connais pas. J’ai des informateurs dans toutes les classes de la société chinoise, depuis les putains de Tijuana jusqu’aux familles les plus riches de San Francisco. Bien sûr, il y a parmi eux des sympathisants communistes. Mais ils ne sont pas dangereux parce qu’inorganisés. Et ceux qui seraient tentés par le nouveau régime ont toujours la ressource de prendre le premier bateau pour Hong-Kong. De toute façon, le F.B.I. suit de très près cette question et a fiché tous les individus suspects ou dangereux.

Malko écoutait patiemment.

— Mais il doit bien y avoir des services secrets à Pékin ?

Fu-Chaw cuisait dans son bain. Il dit à voix basse :

— Oui, bien sûr. Cela s’appelle le… Lien-lo-pou.

Il avait prononcé le nom à toute vitesse et Malko dut le lui faire répéter.

Malko avait retiré ses lunettes et plongeait son regard doré dans les petits yeux noirs du Chinois. Gêné, Fu-Chaw se tortilla sur son fauteuil. De nouveau, Malko changea de sujet.

— Cela m’amuserait de conserver ce document, vous n’y voyez pas d’inconvénient ?

Fu-Chaw acquiesça avec enthousiasme.

— Prenez tout le dossier. Il m’encombre.

Malko se leva et lui tendit la main. Encore une fois il eut l’impression de tenir une jeune méduse dans sa main droite.

Il lui restait une question à poser :

— L’amiral Mills m’avait parlé d’un certain Jack Links, qui s’était également occupé de cette traduction. Il travaillait pour vous, n’est-ce pas ?

Le major secoua la tête et prit une expression affreusement humble.

— Les Américains n’ont jamais tout à fait confiance qu’en leurs propres capacités, laissa-t-il tomber. En dépit de ma traduction, la C.I.A. avait demandé à Jack Links, que je connaissais d’ailleurs, de voir s’il n’y avait pas une autre signification possible à ce document.

— Et il n’a rien trouvé bien entendu ?

Fu-Chaw prit l’air surpris.