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— Puisque Jack est mort, dit-elle, il vaut mieux que je vérifie s’il n’a pas laissé d’argent ici.

— De l’argent ? demanda Malko surpris. Il n’avait pas de banque ?

— Oh si ! Mais il n’aimait pas y aller.

Elle passa le bras derrière le meuble. Il y eut un claquement sec. Un tiroir très plat s’ouvrit brusquement, pressé par un ressort.

Malko s’approcha, intéressé. Alicia Doner souriait.

— C’était notre petit secret. Je lui avais vendu ce meuble. Vous savez, il y a cent ans, il y avait des cachettes dans tous les secrétaires.

Au fond du tiroir, il y avait une petite liasse de billets de dix dollars. Et une grande enveloppe jaune, fermée.

Alicia la prit. Malko regarda par-dessus son épaule. Cela venait de Washington.

La naine tournait l’enveloppe entre ses doigts, indécise. Malko la prit avec la délicatesse d’un prestidigitateur.

— Je la donnerai à la police, expliqua-t-il. C’est sur mon chemin. Ils l’ouvriront. C’est peut-être important. Vous pourriez avoir des ennuis en la gardant.

Effrayée et subjuguée par les yeux dorés, Alicia Doner laissa Malko empocher l’enveloppe.

Ils redescendirent ensemble dans la boutique.

— Qu’est-ce que Jack a bien pu faire de ses dernières heures de vie, demanda pensivement Malko, une tasse de thé sur les genoux…

La naine réfléchit un instant.

— Voyons. Il m’avait dit qu’il irait mardi chez le teinturier changer de costume, comme chaque semaine.

Elle lui raconta la manie du vieux garçon.

Après avoir trempé les lèvres dans son thé pisseux, Malko s’esquiva poliment, prétextant un emploi du temps chargé. La naine l’accompagna sur le pas de la porte.

— Revenez me dire bonjour, demanda-t-elle.

Malko promit et partit à pied. Il avait laissé sa voiture au parking du « Trident ». Il faisait si beau qu’avant de la reprendre, il décida de boire un verre sur la terrasse de bois surplombant la baie.

Un court instant, il regretta que Lili ne soit pas avec lui. Elle travaillait à l’aéroport et le rejoindrait vers dix heures, comme tous les jours maintenant. Lui, si jaloux de son indépendance, n’en revenait pas. La petite Tahitienne s’était installée en moins d’une semaine dans sa vie. Ils passaient toutes leurs soirées ensemble, et une partie de leurs nuits. Elle se levait très tôt et partait avant qu’on apporte le petit déjeuner de Malko. Comme son enquête piétinait, celui-ci trouvait un certain réconfort à la présence de la minuscule Tahitienne. Malko avait découvert que sous sa liberté sexuelle, elle était très sentimentale : elle conservait pieusement une boîte d’allumettes de tous les restaurants où ils allaient dîner.

« Pour me souvenir de toi quand tu seras parti », lui avait-elle dit.

Elle ne se faisait aucune illusion sur leur aventure mais semblait aussi amoureuse que s’ils avaient dû passer le restant de leurs jours ensemble. Son corps lisse était toujours prêt à l’amour. Une fois même, elle avait traversé toute la ville pour venir passer une demi-heure avec lui. « Au téléphone, lui avait-elle expliqué, j’ai senti que tu avais envie de moi. »

Ce soir, Lili aurait une surprise. Malko avait acheté une des paires d’escarpins en crocodile qui lui faisaient tellement envie. Ils l’attendaient dans sa chambre. Il imaginait déjà sa joie car elle ne lui avait jamais rien demandé.

Il commanda une vodka-tonic. La terrasse était presque vide. Son verre était terminé lorsqu’une femme entra dans le bar. C’était une Chinoise. Mais pas du tout comme celles que l’on s’imagine, petites, menues et le visage plat. L’inconnue qui poussa la porte du bar avait plus d’un mètre soixante-dix et un corps sculptural mis en valeur par un tailleur de shantung ultraléger.

Ses hautes pommettes saillantes encadraient deux yeux verts immenses, durs comme du jade, et une longue chevelure noire et lisse coulait sur ses épaules.

— Quelle créature de rêve, pensa Malko.

Il était fasciné par cette apparition. Lorsqu’elle s’assit il ne put détacher ses yeux des longues cuisses fuselées découvertes par la jupe courte du tailleur. Il en avait des picotements au creux de l’estomac. Cela avait toujours été son rêve : tomber sur une femme qui réunisse la stature d’une Blanche et le charme d’une Orientale. Évidemment, il devait y avoir, parmi les 150 millions de Chinois du Nord, des individus beaucoup plus grands que le Chinois « classique ». Mais ils restaient en Chine.

Sans se soucier du regard insistant de Malko, la Chinoise s’assit et demeura impassible, le regard dans le vide, après avoir commandé un jus de tomate.

D’après le calcul des probabilités, il y avait environ 99 chances sur 100 pour qu’elle ait rendez-vous là. Malko commanda quand même une seconde vodka.

À quoi tient le commerce…

Bien sûr, il y avait Lili. Au fond Malko se sentait un peu coupable. Mais l’autre était si belle. D’ailleurs, il n’existait pas une chance sur un million pour qu’elle réponde aux avances de Malko.

Vingt minutes et deux vodkas passèrent sans que personne n’apparaisse. La Chinoise regardait la porte de temps à autre. Brusquement elle se leva et fila vers les cabines téléphoniques. Sans réfléchir, Malko la suivit. Dans ces moments-là, il agissait d’instinct. Au moment où elle décrochait l’appareil, il surgit près d’elle.

D’un geste léger, il lui saisit le bout des doigts et les baisa.

— Mademoiselle, dit-il, je bénis le contretemps qui a retardé la personne que vous attendiez. Cela me vaut la joie de vous connaître.

Il s’arrêta sous le regard glacial de la Chinoise. Ses yeux verts avaient autant d’expression que des billes de jade.

— Voulez-vous me laisser téléphoner, articula-t-elle d’un ton à geler le Sahara, ou dois-je appeler ?

Il y a des retraites qui évitent des désastres. Malko sourit, s’inclina et revint à sa table, plutôt dépité. La Chinoise le rejoignit quelques secondes plus tard, posa un billet et sortit. Malko attendit quelques minutes, paya et sortit à son tour.

Ce qu’il vit alors fit passer une grande onde de joie dans sa colonne vertébrale : accroupie devant une voiture de sport blanche, la Chinoise essayait maladroitement de changer un pneu.

— Me permettez-vous de vous aider ?

Cette fois le ton de Malko était un rien sarcastique, pas trop pourtant, pour ne pas lui faire perdre la face. La Chinoise hésita un instant puis se redressa.

— Si vous voulez.

Ça n’avait rien d’une déclaration.

Sans pitié pour son costume aux plis impeccables, Malko plongea sur le ciment. Le cric n’était pas commode à placer et il exagéra encore la difficulté. La Chinoise finit par remarquer.

— C’est très gentil de votre part…

Cinq minutes plus tard, la roue remontée, ils bavardaient comme de vieux amis. Elle s’appelait Laureen.

— J’aimerais dîner avec vous, proposa Malko. Je suis étranger à la ville et je suis sûr que vous êtes un excellent guide.

Elle eut un sourire désolé :

— Ma famille est très sévère. Je ne peux pas sortir tard le soir. Je suis élevée à l’orientale, vous savez.

— Buvons un verre au Mark Hopkins, alors.

Elle secoua la tête.

— Je ne peux pas me montrer en public seule avec un homme. Tout se sait.

Elle n’avait pourtant pas l’air d’une petite fille. Ses hanches et sa poitrine se dessinaient très bien sous son tailleur de shantung, trop bien même. Il insista encore, alors qu’elle s’asseyait déjà derrière son volant. Elle hésita, puis dit :

— Si vous voulez vraiment me rencontrer, il y a un endroit où je peux vous voir.