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Elle rit.

— C’est là que vont tous les amoureux de San Francisco. Vous connaissez le Park Presidio, avant la Golden Gate ?

— Oui.

— Vous prenez à gauche Lincoln Boulevard, avant d’arriver au pont. Un peu plus haut, sur la droite, il y a une halte panoramique. C’est très beau, on a tout le Pacifique devant soi. Je vous attendrai vers huit heures et demie. Mais je n’aurai pas beaucoup de temps. Au revoir.

Elle démarra brutalement, vira sur les chapeaux de roues et disparut.

Malko remonta dans sa voiture, du baume au cœur. Il avait un fantôme de piste et un rendez-vous avec une créature de rêve. Plus la fidèle Lili. En outre, après le froid de New York, la chaleur douce de San Francisco était délicieuse. Il gara sa voiture au parking de l’hôtel et monta directement dans sa chambre.

Toujours très gai, il mit sa clef dans sa serrure, et ouvrit sa porte. Une fraction de seconde, il demeura rigoureusement immobile.

Deux hommes étaient assis, de dos, dans les larges fauteuils, en face du bureau.

Il allait refermer la porte quand son regard tomba sur l’oreille d’un des inconnus. Sa mémoire étonnante fonctionna aussitôt. L’organe ne pouvait appartenir qu’à Milton Brabeck, gorille à la C.I.A., et vieux camarade de mission.

À cause de la fenêtre ouverte, ils n’avaient pas entendu la porte s’ouvrir.

Malko s’avança tout doucement et fît :

— Bonjour.

Les deux hommes jaillirent de leurs sièges comme une fusée Atlas, avec, déjà, chacun, un énorme pistolet à la main. Reconnaissant Malko, ils remisèrent leurs armes.

— Et si on avait tiré ? demandèrent-ils en chœur.

— On vous aurait passé un sacré savon.

Il leur serra la main.

Ainsi la fine équipe qu’on lui avait expédiée à Istanbul était reformée. Au fond, Malko en était assez satisfait. Ces deux gorilles c’était le cerveau d’un colibri dans un régiment de Marines.

— Content d’être là ? demanda Malko à Chris.

— Oh oui, fit le gorille.

Le pauvre Chris était affligé d’une épouse dotée d’une capacité de sommeil absolument fabuleuse. Elle dormait jusqu’à quinze heures par jour. Et à quelque heure que ce fût, elle se réveillait d’humeur égale, toujours mauvaise.

— J’ai du travail pour vous, dit Malko. À faire discrètement. Vous allez descendre séparément à Chinatown – c’est à quatre blocs d’ici – et me faire la liste de tous les teinturiers chinois.

— Qu’est-ce qu’on va leur faire ? fit Milton, gourmand ; on les met en l’air ?

— Rien. Vous repérez les boutiques et c’est tout.

— Ah bon, firent-ils déçus ; en tout cas on a les chambres de chaque côté de la vôtre. Alors si vous amenez une pépée ne faites pas trop de bruit parce qu’on pourrait être inquiets et venir aux nouvelles.

Malko les assura qu’une telle éventualité était hors de question et ils sortirent.

Dès qu’il fut seul, il tira le verrou, sortit du double fond de sa Samsonite son pistolet, l’arma et le posa sur le lit, caché par des papiers. Les gorilles avaient raison.

Il sortit l’enveloppe jaune prise chez Jack Links et l’ouvrit.

Elle contenait un mot qu’il parcourut, signé d’un responsable de la C.I.A.

Celui-ci demandait à Jack Links de décrypter le document joint, comme convenu. Avec la lettre, il y avait deux photocopies du mystérieux document que Malko possédait déjà.

Ainsi, Links n’avait pas eu le temps de s’attaquer à l’énigme avant de mourir, si tant est qu’il ait pu la résoudre. Il ne restait plus à Malko qu’à trouver un spécialiste sinologue-décrypteur, meilleur que les cerveaux électroniques de la C.I.A…

En attendant, il appela Richard Hood, le chef de la police. Pour savoir si l’épidémie continuait.

La standardiste lui passa un homme effondré. Hood devait mâchonner un cigare éteint en parlant, car sa voix était presque inintelligible.

— Ça va de plus en plus mal, annonça-t-il. Maintenant nous recevons des pétitions de citoyens honorables qui nous demandent de libérer les assassins de l’autre jour !

Malko raccrocha. Il avait beau se creuser le cerveau, il ne comprenait pas comment de paisibles citoyens américains se transformaient en communistes convaincus…

Il fallait donner des nouvelles à l’amiral Mills. Il prit l’annuaire du téléphone et chercha l’adresse de la « Californian Trust Investment ». C’était dans Market Street, au 2026. Cette honorable société aurait bien été en peine de communiquer la liste de ses investissements. Ce n’était qu’un relais « semi-clandestin » de la C.I.A. opérant sur les fonds secrets de Washington. Là, les agents « noirs » comme Malko pouvaient trouver éventuellement de l’argent, des armes, et surtout un moyen de communication sûr : les téléphones codeurs et décodeurs.

Le 2026 Market Street était un bâtiment d’une dizaine d’étages, en brique rouge. La « Californian Trust Investirent » était au sixième.

Une secrétaire introduisit Malko dans le bureau du directeur. Celui-ci avait été prévenu par Washington de l’arrivée de Malko à San Francisco. Après que l’Autrichien se fut identifié grâce à sa carte de la C.I.A., le « résident » mit à sa disposition un bureau équipé d’un téléphone « spécial ».

Il obtint Washington immédiatement, à l’automatique. On lui passa le bureau de Mills.

— Alors, fit celui-ci, vous avez du nouveau ? Je vous ai envoyé du renfort.

Malko eut envie de lui dire que dans une histoire pareille… les deux gorilles étaient aussi utiles qu’un chasse-mouches pour la chasse au tigre… Mais le sens de la hiérarchie aidant, il se tut. Et dut avouer qu’il n’avait rien.

— J’aimerais quand même avoir communication du dossier du major Fu-Chaw, demanda-t-il.

— Fu-Chaw ? Pourquoi faire ?

— Simple vérification, dit prudemment Malko. Mais je ne peux négliger aucune piste.

Il savait que l’amiral avait horreur qu’on soupçonnât qui que ce fût de la C.I.A. Question de principe.

Mais Mills n’était pas idiot. Il explosa dans le téléphone.

— Je vous ai dit que je ne voulais pas que vous perdiez votre temps avec cette histoire. Foutez la paix à Fu-Chaw et occupez-vous de cette « épidémie ».

Malko laissa passer l’orage.

— Écoutez, amiral, fit-il. J’ai une intuition et je tiens à la suivre jusqu’au bout. De toute façon, je n’ai aucune autre piste. Je ne vais pas apprendre au F.B.I. à faire son métier. Et Fu-Chaw m’a fait une drôle d’impression. Je pense que Jack Links a été assassiné.

Il raconta à l’amiral son enquête et la déclaration d’Alicia Doner : après la mort de Links quelqu’un était venu fouiller son appartement.

— Vous êtes fou, dit Mills, comme cette fille. Fu-Chaw est un homme sûr.

— Si je me trompe, dit Malko, vous pourrez toujours m’amputer de mes 50.000 dollars…

— Là n’est pas la question. Il me faut un résultat, fit l’amiral. Le président est très inquiet. Ces gens…

— Mettez-les dans un camp de concentration, coupa Malko pince-sans-rire. Ça s’est déjà beaucoup fait…

— Dites donc, vous n’êtes pas, vous aussi…

— Non, non, se hâta de dire Malko. Je plaisantais…

Après cette conversation, il regagna l’hôtel et entreprit de se changer. Il avait hésité à décommander son rendez-vous avec Lili, puis avait renoncé. Par superstition. Il suffirait qu’il lui raconte une histoire pour que l’autre lui pose un lapin… De toute façon, Lili téléphonait du hall avant de monter dans sa chambre. Il se débrouillerait toujours.

Il changea de chemise, se peigna, se lava les dents et mit une pochette délicatement parfumée au cas où il aurait à essuyer des traces de rouge à lèvres. Il avait juste le temps d’aller à son rendez-vous.