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Sans se presser, il remonta California Street. Dans cette ville prétendue petite, les rues avaient une dizaine de milles. Le spectacle de San Francisco illuminé était féerique. Bercé par le ronronnement sans fin des câbles souterrains des tramways, il arriva jusqu’à Park Presidio Boulevard et prit à droite, comme pour franchir la Golden Gate.

Juste avant d’arriver au péage, il y avait un embranchement à gauche s’enfonçant dans un parc clos de grilles : le « home » de la Ve armée. Les bâtiments étaient disséminés au milieu d’un parc ouvert au public.

Pendant un mille environ, il roula sur une route déserte bordant la falaise. Tous les dix mètres il y avait un écriteau « Terrain militaire ». Défense de pique-niquer. Enfin il arriva à une sorte de rond-point s’avançant sur la falaise. Aucune voiture ne s’y trouvait. Malko arrêta la Mustang face à la mer. La vue était magnifique, à droite le pont de la Golden Gate brillait de tous ses feux. En face on apercevait les lumières de Santa Rosa. Un long serpent lumineux se déroulait sur le pont.

Et à droite, il y avait l’immensité noire du Pacifique, avec, à dix mille kilomètres plus loin, le Japon…

Le silence était total. C’était vraiment l’endroit idéal pour un rendez-vous d’amoureux. Romantique à souhait. Le rond-point était bordé d’une barrière en bois peinte en blanc, style clôture de ferme. De l’autre côté la falaise descendait, très abrupte, jusqu’à une sorte de corniche, une cinquantaine de mètres plus bas.

Après la corniche, il y avait un à-pic de deux cents mètres qui se terminait sur un bout de plage battue par les vagues du Pacifique.

Malko entendit un bruit de moteur et jeta un coup d’œil à sa montre : 8 h 30 pile. La jolie Chinoise était exacte.

Le bruit augmenta ; pendant une fraction de seconde.

Malko entrevit une masse noire dans le rétroviseur. Puis il y eut un choc effroyable à l’arrière. La Ford s’envola.

Collé à la banquette, Malko vit la barrière blanche se désintégrer sous l’impact des 1.800 kilos de la Mustang. La voiture plongea dans le vide, la mer bascula devant le pare-brise.

La Ford, maintenant roulait le long de la falaise. Malko, instinctivement accroché à son volant, avait l’impression d’être une boule de neige dégringolant le long d’une pente.

Il y eut un bruit de tôles écrasées et toutes les vitres volèrent en éclats. La Mustang venait de retomber sur le toit le long de la petite corniche, l’avant dans le vide. Une fraction de seconde, elle resta immobile. À demi assommé Malko pensa à l’à-pic au-dessus duquel il se trouvait. De toutes ses forces, il pesa sur la portière.

Elle s’ouvrit en grinçant.

Malko sauta dehors au moment où la Mustang basculait lentement dans le vide. C’était un miracle qu’il n’ait pas perdu conscience. Il resta à plat ventre, les doigts enfoncés dans la terre, tandis que la voiture dégringolait en rebondissant sur les rochers, dans un fracas épouvantable, terminé par une explosion sourde.

Une lueur jaunâtre s’éleva du bas de la falaise. La carcasse de la Mustang brûlait sur la plage. Une portière et le capot étaient restés en route.

Lentement, Malko reprit ses esprits. Il se garda bien de bouger. Si on le surveillait du haut de la falaise, il était inutile d’attirer sur lui une grenade ou quelque autre gracieuseté de ce genre. Il avait la nuque tellement raide qu’il avait l’impression d’être Éric von Stroheim dans la Grande Illusion. Il se demandait comment il était encore vivant. Si la voiture ne s’était pas accrochée un instant à la corniche, il serait en bas en train de griller comme un poulet dans les débris. Il avait dû être poussé par une camionnette équipée pour le dépannage, avec ces énormes pare-chocs faits de corniches d’acier. Beau travail. Et joli rendez-vous d’amour !

Rendu furieux par cette idée, Malko entreprit de remonter le long de la falaise. La lueur de l’incendie allait certainement attirer des gens et ceux qui l’avaient poussé dans le vide ne resteraient pas là à attendre la police.

Il mit près d’un quart d’heure pour remonter jusqu’au rond-point où il avait arrêté la Mustang. Son costume d’alpaga était en loques et son visage couvert d’égratignures. Il pouvait à peine bouger son bras gauche. Brusquement, il eut un éblouissement et s’affaissa, contre les débris de la barrière blanche.

À ce moment, une voiture de police et un camion de pompiers arrivaient dans un hurlement de sirènes. Malko fut étendu sur une civière. Dans un brouillard il entendit le dialogue des pompiers et des policiers qui avaient aperçu la Mustang en train de brûler, trois cents mètres plus bas.

— Il y a peut-être quelqu’un dedans, dit un pompier.

— Allons-y, dit le capitaine. À 100 mètres, il y a un sentier qui descend jusqu’en bas. C’est à pic, mais autrement il faut faire le grand tour par Presidio Park. Il y en a pour une demi-heure.

Trois pompiers partirent en courant avec des extincteurs portatifs.

Malko reprenait conscience, furieux. Il ne s’était pas méfié du rendez-vous de Laureen parce que la jeune fille l’avait d’abord envoyé promener. Après, il était tombé dans le panneau, poussé par sa galanterie naturelle, et la silhouette affolante de la Chinoise.

De rage, il se dressa à moitié sur sa civière.

— Qu’est-ce qui vous est arrivé ? lui demanda un lieutenant de police, l’air soupçonneux.

— Mon pied a glissé sur l’accélérateur et la voiture est partie en avant, expliqua Malko.

L’autre, visiblement, ne le croyait pas.

— Vous êtes sûr que vous ne l’avez pas fait exprès ? demanda-t-il. D’abord, c’est interdit de stationner ici après 20 heures.

Détail omis par la Chinoise. Ainsi, elle était sûre que Malko serait seul.

— Oui. Je l’ai fait exprès ! fit Malko, sarcastique ; j’ai voulu voir si cette bagnole pouvait voler…

La conversation s’arrêta là. Malko demanda qu’on le ramène à son hôtel.

Il dut jurer au flic soupçonneux qu’il ne tenterait plus de se suicider à San Francisco ! Un comble.

Dans la voiture de police qui le conduisait au Mark Hopkins, il arriva à une conclusion presque certaine : ou la Chinoise avait un sens de l’humour très particulier, ou la mort de Jack Links n’était pas aussi naturelle qu’on s’accordait à le croire. Il n’y avait plus qu’à tirer les fils en évitant qu’ils soient trop barbelés.

Mais il avait hâte de remettre la main sur sa belle Chinoise. Juste pour lui demander un autre rendez-vous. Cette fois il enverrait Chris Jones et Milton Brabeck. Ils seraient tellement flattés d’avoir rendez-vous avec une aussi jolie fille. Décidément, il avait eu tort de faire des infidélités à la douce Lili. Il allait finir par croire à la justice immanente.

Il n’était pas dix heures. Heureusement qu’il n’avait pas décommandé Lili…

Son épaule et sa nuque lui faisaient tellement mal qu’il eut du mal à se déshabiller. Même après une douche brûlante il avait encore l’impression d’être passé dans un laminoir. Les gorilles dormaient dans les chambres voisines. Il les mettrait au courant le lendemain. À dix heures et demie pile le téléphone sonna : c’était Lili.

Elle poussa un petit cri en le voyant : un gros hématome bleuissait sur sa tempe et les mains étaient tout écorchées.

— J’ai eu un accident, expliqua Malko. La Mustang n’existe plus. Un peu plus, tu ne me revoyais pas.

Il lui raconta que son pied avait glissé du frein et qu’il était sorti de la route, percutant un arbre.

Tendrement, elle défit la serviette dans laquelle il s’était enroulé et inspecta son corps centimètre par centimètre. Ses mains agiles couraient sur sa peau, l’effleurant à peine, d’une façon si voluptueuse que sa fatigue s’envola d’un coup.