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— Attends, dit-il.

Il lui tendit le carton contenant les chaussures et suivit du regard ses longs ongles rouges s’escrimant sur la ficelle.

Extasiée, elle sortit les escarpins et en passa un doucement contre sa joue. Puis, ôtant les siens, elle mit les autres avec des gestes solennels et se regarda devant la glace. Malko n’avait jamais vu une telle expression de joie enfantine. Elle vint vers lui, se haussa jusqu’à sa bouche et l’embrassa :

— Je t’aime, tu sais, dit-elle ; tu es si gentil avec moi.

Malko était à la fois touché et gêné.

— C’est si peu de chose, dit-il. Tu m’avais dit un jour que tu en avais envie.

Elle rougit.

— Ce n’était pas pour que tu me les donnes…

Malko la prit dans ses bras pour couper court à ses remerciements.

— Masse-moi, lui dit-il. J’ai mal un peu partout.

Il s’étendit sur le lit. La Tahitienne vint près de lui après s’être déshabillée en un clin d’œil. Elle adorait être nue. Mais cette fois, elle avait gardé ses escarpins.

Ils s’aperçurent qu’ils avaient faim à une heure du matin. Comme le service de nuit fonctionnait mal, ils se rhabillèrent et allèrent prendre des œufs au bacon à la cafétaria rose bonbon du Fairmont, de l’autre côté de la rue.

— Je vais rentrer, dit alors Lili.

Malko éprouva une brusque vague de tendresse.

— Ça ne te ferait pas plaisir de te réveiller près de moi ? demanda-t-il.

— Oh, si… mais…

— Viens.

Cette fois, ils traversèrent tranquillement le hall sous le regard réprobateur du portier de nuit. Malko se dit qu’au prix de sa chambre, il avait bien le droit d’en faire ce qu’il voulait.

CHAPITRE VI

— Y a qu’à raser le quartier chinois et en faire un parking, fit sentencieusement Milton Brabeck.

Chris Jones approuva.

— Pendant qu’on y est on pourrait même raser la Chine… Y aurait de quoi mettre toutes les bagnoles de New York.

Il était huit heures du matin et à cette heure-là, les deux gorilles n’étaient capables que de remuer des idées simples. Habillés de leur éternel complet en dacron clair, de leur chemise à col boutonné, ils écoutaient le récit de Malko.

Brabeck était très fier d’un nouveau gadget ramené de New York : un gilet pare-balles en nylon qui arrêtait – disait-on – une balle de 45 à cinq mètres. Seul inconvénient : il pesait une dizaine de kilos et donnait au gorille l’air empesé d’une momie.

— Vous voulez qu’on retrouve cette Chinoise ? proposa Milton.

— Où ?

C’était une question que le gorille ne s’était pas posée. L’attentat dont Malko avait été victime l’indignait. Né à Kalamazoo dans le Michigan, il considérait tout ce qui n’était pas les U.S.A. comme les ténèbres extérieures. Le plus inoffensif des blanchisseurs chinois lui semblait plus nocif que le sinistre Dr Fu-Manchu…

— Vous avez la liste des teintureries ? demanda Malko.

— Voilà.

Brabeck sortit un papier de sa poche, avec une vingtaine de noms laborieusement orthographiés.

— Parfait, dit Malko. Vous allez en prendre chacun la moitié et aller réclamer le costume de M. Jack Links. Mais poliment.

Les deux gorilles opinèrent, sans enthousiasme.

— Et le bon, on vous l’amène, proposa Brabeck.

— Surtout pas. J’ai ma petite idée.

Ils sourirent tous les deux, l’air entendu.

— Je vous retrouve ici, dit Malko. Maintenant je vais prendre mon petit déjeuner.

Ils étaient dans la chambre de Jones. Malko était entré par la porte communicante. Lili dormait encore dans son lit et il préférait que les gorilles ne la voient pas. Ces manquements à la discipline les démoralisaient. Il rouvrit doucement la porte et rentra dans sa chambre. Lili était réveillée, et lui jeta les bras autour du cou. À ce moment, on frappa.

— C’est le breakfeast, cria une voix fluette.

Lili se précipita dans la salle de bains, intimidée, et Malko se recoucha, en disant « entrez ».

Une Chinoise au visage plat, vêtue de la livrée rouge de l’hôtel déposa le plateau sur la table et sortit. Aussitôt Lili émergea de la salle de bains, enroulée dans une serviette.

— Ne bouge pas, dit-elle à Malko.

Elle s’empara du lourd plateau pour le mettre sur le lit. Mais elle n’avait pas vu le fil du téléphone tendu à une dizaine de centimètres du sol. Son pied gauche se prit dedans, elle trébucha et partit en avant avec un grand cri.

Le plateau s’écrasa par terre dans un fracas épouvantable. Un dixième de seconde plus tard, la porte de communication s’ouvrit avec violence et Milton Brabeck surgit, son colt 38 Spécial au poing. Emporté par son élan il faillit marcher sur Lili et s’arrêta, médusé. Jones surgit à son tour, son 357 Magnum braqué sur la jeune femme.

Il y eut un moment de silence gêné, de part et d’autre. Lili regardait les deux gorilles, ébahie. Finalement Jones balbutia :

— Moi qui vous croyais en danger… Vous n’allez pas recommencer comme à Istanbul.

Maussades, les deux gorilles rengainèrent leur artillerie et sortirent. Lili vint s’asseoir près de Malko et dit :

— Qui sont ces hommes ? Pourquoi ont-ils de gros revolvers ?

Malko était assez ennuyé.

— Ce sont des amis, dit-il.

— Ils ont l’air méchant, remarqua Lili.

Elle regardait Malko gravement.

— Pourquoi ne m’avais-tu pas dit que tu étais un gangster ? Je t’aimerais quand même tu sais. Et je ne te dénoncerai pas à la police…

Malko éclata de rire.

— Mais je ne suis pas un gangster !

Il fallait quand même donner une explication à Lili. Mais elle lui coupa l’herbe sous les pieds.

— Tu es un détective privé, alors ?

— C’est ça, dit Malko, une sorte de détective privé. Tu vois, je m’occupe des gens qui veulent divorcer et qui font suivre leurs femmes, des choses comme cela.

Lili battit des mains, pas étonnée. Il y a autant de détectives privés en Californie que de bistrots en France.

— Oh, c’est amusant. Je pourrai t’aider, dis ?

Malko l’embrassa.

— Non. Tu es une petite fille. C’est parfois dangereux, les gens sont méchants, c’est pour ça que mes amis sont armés.

— Toi aussi, tu es armé ?

— Cela dépend. Quelquefois. Mais, il ne faut parler de cela à personne.

Lili approuva gravement.

— Je te le jure.

Elle se serait plutôt fait couper la tête. Malko était maintenant doublement son Dieu. Elle passa dans la salle de bains et s’habilla. Avant de partir, elle annonça :

— Ce soir, c’est moi qui vais te faire une surprise.

— Quoi ? dit Malko.

— Je t’invite chez moi. Mon grand-père ne sera pas là. Je te préparerai une petite fête. Tu veux, dis ?

— D’accord, dit Malko. Mais je ne serai pas libre avant neuf heures.

— Ça ne fait rien. Viens quand tu veux. Tu connais l’adresse, c’est 5967, Telegraph Place, au premier étage.

Elle l’embrassa et sortit, en faisant onduler sa petite silhouette en forme d’amphore. Malko avait beau lui faire l’amour tous les jours, il lui suffisait de la voir marcher ainsi pour avoir envie d’elle.

Il soupira. Lili était une parenthèse bien agréable, mais on avait essayé de le tuer la veille.

Son cou lui faisait encore horriblement mal en dépit des soins de Lili comme pour lui rappeler qu’il n’était pas à San Francisco, pour s’amuser. Mais à chacune de ses missions, il n’avait jamais pu s’empêcher de mêler l’utile à l’agréable. Sans que son travail en souffre, d’ailleurs, au contraire. S’il n’avait pas abordé la belle Chinoise inconnue, on n’aurait pas tenté de le tuer et il n’aurait aucune piste.