Выбрать главу

— Que puis-je pour vous ? fit-il, toutes dents dehors.

Malko n’y alla pas par quatre chemins. Il mit sous le nez de l’employé sa carte du State Department en lui disant d’un ton sec :

— Répondre à la question que je vais vous poser. Et vous engager sous serment à ne mentionner ma visite à qui que ce soit.

L’autre se décomposa. La banque n’habitue pas à de telles situations.

— Je suis à votre disposition, balbutia-t-il. Nous n’avons rien à cacher, rien du tout.

— Bien, fit Malko. Comment s’appelle la jeune femme, qui travaille là-bas ?

Son interlocuteur n’hésita pas.

— C’est Mlle Susan Wong, une très bonne employée, mais pour…

Malko le coupa.

— Était-elle là, hier après-midi ?

Le fondé de pouvoir ouvrit des yeux comme des soucoupes.

— Évidemment. Elle est partie à 6 heures, en même temps que moi.

— Elle n’a pas pu s’absenter ?

— Impossible. Tous les gens ici peuvent en témoigner. Mais enfin pourquoi ?

Malko le foudroya de ses yeux d’or.

— Ne cherchez surtout pas à le savoir ! Dans votre intérêt. Au revoir.

Il traversa la salle, laissant l’autre totalement affolé. La Chinoise ne leva pas les yeux. Malko avait mal au crâne à force de réfléchir. Visiblement, son interlocuteur disait la vérité et il y avait des témoins. Pourtant, il n’avait pas rêvé et la Mustang était bien au pied de la falaise, en petit tas…

Brabeck vint, engageant comme un mal blanc :

— Alors, on l’embarque ?

— Pas maintenant. Il y a un loup.

Ils revinrent directement à l’hôtel. Malko avait un mystère de plus à résoudre. Il était sûr que la fille qu’il avait vue à la banque était celle qui l’avait entraîné dans le guet-apens. Et, en même temps, il n’était pas matériellement possible que ce fût elle ! Une énigme de plus.

Les gorilles se firent monter une bouteille de bourbon et commencèrent à siroter mélancoliquement. Puis Brabeck entreprit de démonter son colt. Pendant qu’il éparpillait les pièces sur le couvre-lit, Jones faisait une réussite. Pour savoir s’il aurait de l’avancement.

Allongé dans un fauteuil, Malko réfléchissait, un verre de vodka à la main. Il fallait suivre la Chinoise. Mais lui était déjà grillé. Quant aux gorilles ! Autant la faire filer par une voiture de pompiers, ce serait aussi direct…

Finalement les trois hommes s’assoupirent. Quand Malko se réveilla, on voyait déjà les lumières d’Alcatraz.

Malko décida de se rendormir encore une heure. Il espérait de tout son cœur que le teinturier avait été assez effrayé pour faire une bêtise. Au fond, c’était le principe de la chasse au tigre avec une chèvre. Seulement, la chèvre, c’était lui…

Soudain, il pensa à Lili Hua. Et si elle faisait partie du complot, elle aussi ? Il repoussa cette idée. La Tahitienne aurait eu mille fois l’occasion de le tuer, depuis leur rencontre. Et sa sincérité n’était pas feinte.

Il regarda sa montre : sept heures et demie. Juste l’heure d’aller chercher son costume. Il réveilla Chris et Milton. Les instructions de Malko furent simples. Il ignorait ce qui allait se passer, donc ils devaient s’attendre à tout, même aux choses les plus absurdes…

A tout hasard, Brabeck alla enfiler son gilet pare-balles. Jones fourra tellement de balles dans ses poches qu’il pouvait à peine marcher. Malko jeta un dernier coup d’œil à la photo de son château et ferma la porte.

Il ne pouvait s’empêcher de penser à Jack Links.

Les gorilles le laissèrent prendre un peu d’avance, l’œil aux aguets. Ils n’eurent même pas un coup d’œil pour le pittoresque tram qui montait California en grinçant, bondé de gens accrochés partout.

Grant Street était très animée. Chong était tout seul derrière son comptoir. Dès que Malko entra, il disparut dans l’arrière-boutique et revint tenant le costume noir à bout de bras. Cassé en deux, il le tendit à Malko :

— La coutume de la maison, zézaya-t-il veut qu’on accorde un nettoyage gratuit aux nouveaux clients. Voulez-vous changer de costume et me laisser celui que vous portez ?

Malko hésita. Son costume était impeccable. Puis il passa dans la minuscule cabine de déshabillage avec un peu d’appréhension. Jack Links avait dû accomplir les mêmes gestes avant de mourir.

Il ressortit tout neuf vêtu, paya Chong et lui dit au revoir. Le Chinois l’accompagna jusqu’à la porte qu’il verrouilla. Il fermait. Malko était son dernier client.

Malko resta une seconde indécis sur le trottoir. Derrière lui les deux gorilles attendaient aussi. Que faire ? Son costume était bien repassé et dégageait une odeur pénétrante, très chinoise, assez agréable. Malko décida de marcher un peu dans Chinatown ; s’il y avait du danger, entouré de Jones et de Brabeck, il ne risquait pas grand-chose. Si un inconnu demandait du feu à Malko un peu brusquement, il tombait mort…

Mais rien ne se passa. Des Chinois et des Chinoises indifférents bousculèrent Malko. Plusieurs portiers de cabaret le racolèrent, mais aucun tueur ne surgit d’une encoignure. Malko fit demi-tour et repassa devant la boutique du teinturier : elle était éteinte.

C’est à ce moment qu’il buta presque sur un chat noir, immobile sur le trottoir. Malko adorait les chats : il le regarda, amusé. L’animal, au lieu de se sauver, resta planté en face de lui et miaula.

Ce miaulement mit la puce à l’oreille de Malko. C’était le cri rauque d’un animal en chaleur, ou malade. Un frisson désagréable lui parcourut l’échine et il repartit, contournant le minet.

Celui-ci lui emboîta le pas. Dix mètres plus loin, Malko se retourna : le chat était sur ses talons, la gueule entrouverte. Le cœur de Malko battit plus vite.

Il traversa. Le chat, évitant une voiture, qui l’écrasa presque, fila vers Malko.

Les deux gorilles n’avaient rien remarqué. Pour eux, un chat, c’était un chat, sans plus.

Malko s’était immobilisé, observant le chat. L’animal était prêt à bondir, frémissant déjà de l’arrière-train. Quand il se détendit, Malko fit un brusque saut de côté.

Le chat heurta le mur. Tentant de se retenir il sortit toutes ses griffes. Un réverbère éclairait violemment la scène. En une fraction de seconde, Malko réalisa que les griffes du chat, au lieu d’être blanches normalement, étaient noires. Il cria aux gorilles :

— Tuez-le ! Vite !

En un éclair, il venait de penser à la mort de Jack Links, au rapport d’autopsie. L’Américain avait été empoisonné ! Les poisons végétaux ne laissent aucune trace dans l’organisme…

Chris Jones et Milton Brabeck, ahuris, fixaient le chat d’un air stupide. On ne leur avait pas appris à tuer les chats.

— Tuez-le ! répéta Malko ; ses griffes sont empoisonnées !

Il ne comprenait pas pourquoi le chat s’attaquait à lui et pas aux autres. C’était de la sorcellerie. Chris Jones visa soigneusement le chat et tira.

Le chat fit un bond de côté et la balle de Chris alla fracasser un compteur de stationnement, faisant tomber une cascade de dimes. Une vieille Chinoise abandonna son cabas sur le trottoir et s’enfuit en hurlant.

Effrayé par le coup de feu, le chat bondit en arrière. Mais, après quelques secondes d’hésitation, il revint vers Malko, stupéfait d’un tel acharnement.

Brusquement il comprit : son costume était imprégné de valériane, un parfum qui affole les chats. Quand il était petit, il s’amusait à en répandre dans son grenier pour les y attirer. Sa mémoire avait conservé le souvenir de cette odeur. C’était diabolique et sans parade. Comment soupçonner un chat d’être un assassin ?