Выбрать главу

Sans résultat, M. Tchou-Laï avait reçu un coup de téléphone lui demandant de s’occuper de la boutique, parce que Chong était malade. Son visage graisseux ne reflétait aucune expression. Impossible de savoir s’il était de mèche ou non. C’est ce qui avait énervé Chris Jones. Comme tous les gorilles, il avait un peu assassiné au cours de ses missions. Alors un de plus, un de moins… Et au dernier moment, souvent, ils parlent quand ils sentent qu’ils vont mourir…

— Posez-lui une dernière question, dit Malko. Où habite son cousin. S’il ne répond pas, tuez-le.

C’était dit d’un ton tellement calme que le Chinois se mit à trembler de tous ses membres.

— Non, ne me tuez pas, gémit-il. Je vais vous dire. Il habite pas très loin d’ici, Jackson Street, numéro 1965.

Chris Jones enfonça imperceptiblement la pointe du poignard.

— Si tu nous racontes des histoires, je reviens et je t’épingle comme un papillon. Ou si tu téléphones pour prévenir… Vu ?

Le Chinois jura sur sept générations d’ancêtres qu’il oublierait jusqu’à l’existence de son bourreau. Quand le gorille retira le poignard, une tache de sang s’élargit sur la chemise du teinturier.

Ils sortirent. Malko était soucieux.

— Dépêchons-nous, dit-il ; ce chat ne devait pas être tellement inoffensif.

Jackson Street était à trois blocs, à l’ouest. C’était une rue étroite descendant vers la mer, bordée d’éventaires chinois. Le numéro 1965 était un vieux building d’une dizaine d’étages.

Malko entra le premier. Dans le couloir, il y avait une plaque sur une boîte aux lettres : Chong, second étage.

Les trois hommes montèrent. La porte était ouverte. Une odeur d’encens filtrait sur le palier. Malko entra le premier. Une vieille Chinoise ridée, tout de blanc vêtue s’avança vers lui et s’inclina.

— Je voudrais voir M. Chong, demanda-t-il.

Elle lui fit signe de le suivre. Après un petit couloir, il y avait une chambre dont la porte était ouverte.

— M. Chong est là, dit la vieille.

Malko entra, les deux gorilles sur ses talons. C’était trop beau. Ils tombèrent en arrêt tous les trois.

M. Chong était bien là. Étendu sur un lit les yeux fermés, aussi mort qu’on peut l’être. Son visage rond avait une expression angélique.

— Il est mort hier soir, fit la vieille, derrière le dos des trois hommes. Le cœur. C’était un de vos amis ?

Chris Jones plongea ses yeux gris dans ceux de la vieille.

— Oui. C’est ça. Nous venions… lui rendre un dernier hommage.

Malko donna le signal du départ. Il n’y avait plus rien à faire.

— Encore une étrange coïncidence, dit-il ; M. Chong était pourtant bien portant hier soir. Peut-être que ceux qui l’ont télécommandé n’étaient-ils pas absolument sûr de lui…

Encore une piste qui s’effondrait. Ceux qu’il traquait n’hésitaient pas à mettre la ville à feu et à sang… Il n’avait aucune preuve matérielle mais Malko aurait juré que cette série de meurtres avait un lien avec l’épidémie de communisme qui touchait les environs de la ville. En quelques jours, on avait tenté de le tuer deux fois. C’est donc qu’il était sans le savoir sur une piste importante : cela corroborait son intuition. Car c’étaient des Chinois qui tentaient de le tuer. Or s’il y avait à San Francisco un réseau communiste, chinois ou non, il était fatalement mêlé à l’intoxication.

À la réception du Mark Hopkins, il y avait une épaisse enveloppe cachetée au nom de Malko, avec le cachet de la police de San Francisco.

C’était le rapport toxicologique. Les gorilles lurent par-dessus l’épaule de Malko :

L’analyse de la substance recouvrant les griffes du chat a décelé deux composantes : d’une part une laque ordinaire très forte à base d’alcool, sans aucune nocivité. D’autre part une substance végétale hautement toxique, de la famille du curare dont nous n’avons encore pu déterminer exactement la composition. Un rat, inoculé avec cette substance, est mort cinq minutes après, paralysie des muscles cardiaques. Les effets sont vraisemblablement les mêmes sur l’homme bien que plus longs. L’action ne laisse aucune trace dans l’organisme.

Malko replia la feuille et croisa le regard horrifié de Milton Brabeck.

— On l’a échappé belle, fit le gorille. Moi, la prochaine fois que je vois un chat dans la rue, je le flingue à vue.

— Votre tête va être mise à prix par la Société Protectrice des Animaux, répondit Malko.

— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? interrogea Jones.

— Nous allons nous occuper de la Chinoise de la banque, dit Malko. Vous allez aller me louer une seconde voiture, pas trop voyante. Heureusement, cette fille ne vous a jamais vus. Et nous, nous connaissons ses heures de bureau. Le mieux est d’y aller vers cinq heures et d’attendre qu’elle sorte. Chris la suivra si elle part en voiture et Milton, si elle est à pied. Pendant ce temps, je vais essayer d’en savoir plus long sur elle, par notre ami Richard Hood.

Il était près de midi. Jones et Brabeck sortirent louer la seconde voiture. Malko resta dans la chambre. Il appela le bureau de Richard Hood mais le chef de la police était absent. Il laissa à sa secrétaire un signalement détaillé de la mystérieuse Chinoise, le peu qu’il savait sur elle, et l’adresse de la banque, en demandant qu’on réunisse tout ce qu’on pourrait apprendre à son sujet. Après avoir raccroché, il appela Lili pour l’inviter à déjeuner.

Elle arriva presque en même temps que les gorilles qui soulevèrent poliment leur chapeau. Pour ne pas les vexer, Malko leur proposa de déjeuner tous ensemble. Ils prirent l’ascenseur pour aller au 32e étage, au « Top of the Mark », le restaurant de l’hôtel qui dominait toute la ville. On y mangeait très bien mais les prix étaient prohibitifs. Un simple steak coûtait huit dollars. Il est vrai qu’il était servi avec une sauce béarnaise préparée par un chef français, gangster retraité.

Intimidés, les gorilles mangèrent en silence. Lili ne dit pas grand-chose non plus. Elle dévorait Malko des yeux et, sous la table, lui caressait la cuisse timidement.

Malko signa l’addition et ils redescendirent. Jusqu’à la moitié de l’après-midi, ils n’avaient rien à faire. Les gorilles allèrent au bar et Malko se retrouva dans sa chambre avec Lili. Elle prit une brosse dans sa valise et ouvrit l’armoire.

— Je vais nettoyer tes costumes, dit-elle.

Malko accepta, attendri.

— Tout à l’heure, je dois m’en aller, dit-il. J’ai à travailler.

Déçue, elle demanda :

— Je ne peux pas t’aider ? C’est ton travail de détective ?

— Oui, dit Malko, et je ne veux pas que tu te mêles à cela. C’est dangereux.

Lili fit la moue :

— Je sais me défendre, tu sais.

— J’en suis sûr. Mais quand même !

Malko s’installa au bureau et commença à écrire. Pour donner des instructions à son entrepreneur autrichien. Devant lui, la photo panoramique de son château lui rappelait qu’un jour il serait terminé et qu’il pourrait enfin vivre la vie dont il avait toujours rêvé. À moins qu’il ne soit mort avant dans l’une de ses missions insensées.

Le téléphone sonna. Richard Hood apprit à Malko que ses services ne possédaient rien sur la Chinoise de la banque. Il allait demander au F.B.I. d’enquêter, mais cela prendrait quelques jours. Malko remercia et raccrocha.

Lili avait fini son brossage. Elle vint derrière Malko et passa les bras autour de son cou. Il tourna la tête et l’embrassa. Il sentait les pointes de ses seins s’écraser dans son dos et son baiser se fit plus insistant.