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Il faisait presque nuit et Lili devait suivre la voiture blanche de très près. Elle faillit presque la perdre quand elle tourna à gauche dans une petite rue. Il n’y avait presque pas de maisons. La voiture blanche fila encore cinq cents mètres et stoppa si brusquement que Lili lancée à toute allure, la doubla et s’engouffra dans une station d’essence Chevron.

Elle vit la grande Chinoise entrer dans le bar. Aussitôt elle sauta de la Falcon et trottina jusqu’à la cabine téléphonique. Sans quitter la voiture blanche des yeux, elle composa le numéro du Mark Hopkins. Ce n’était pas libre.

* * *

En voyant entrer Chris Jones hors d’haleine, Malko eut le pressentiment d’une catastrophe.

— Où est Lili ? demanda-t-il tout de suite.

Jones lui raconta ce qui s’était passé. Malko l’écoutait sombrement. Il imaginait la naïve Lili aux prises avec les adversaires impitoyables dont il avait eu déjà quelques échantillons. Le mieux qui puisse arriver serait qu’elle se fasse semer.

Il décrocha son téléphone et appela Richard Hood. Presque tout de suite, il eut au bout du fil la voix rogue du chef de la police.

— J’ai besoin de vous, dit Malko. C’est en rapport avec notre affaire. Il faut que vous retrouviez une Austin-Healey blanche immatriculée 763 OKD et une Ford Falcon crème 958 KCB. Vues pour la dernière fois Bush street, probablement sortant de la ville, il y a dix minutes. Toutes les deux conduites par des Chinoises.

Hood barrit de rage.

— Vous en avez de bonnes, vous ! J’ai une émeute sur le dos à Daly City. Ces putains de communistes tiennent une réunion publique où ils brûlent le drapeau étoilé… Je vais faire ce que je peux, mais je ne promets rien.

Il raccrocha.

Consternés les gorilles baissaient la tête. Les trois hommes s’assirent, impuissants. Malko broyait du noir. Il lui semblait entendre la voix de Lili : « Je reviens de suite. »

— L’adresse de la fille ? demanda-t-il.

— Je l’ai, fit Jones, heureux de se racheter.

— Filons, ordonna Malko.

Les trois hommes se ruèrent au 1024, Président Street. C’était une petite maison de trois étages, sans concierge. Le studio de Susan Wong était au second. Lorsque Malko appuya sur la sonnette personne ne répondit.

Chris Jones sortit de sa poche un important trousseau de rossignols, farfouilla quelques secondes. Il y eut un déclic et la porte s’ouvrit.

— Attention, dit Malko, il y a peut-être un piège.

Lui et Brabeck s’effacèrent contre le mur. Jones, pistolet au poing, donna un grand coup de pied dans la porte et plongea.

Il y eut un bruit mat puis plus rien. Brabeck risqua un œil derrière son colt 357 Magnum.

À quatre pattes sur une moquette crasseuse, Jones essayait de recracher la tonne de poussière qu’il venait d’avaler.

— Y a personne, fit-il entre deux hoquets…

C’était un petit studio, avec au fond à gauche, un couloir desservant une kitchenette et une salle de bains. Le lit était fait mais il n’y avait aucun signe de vie. Ils fouillèrent les meubles, la salle de bains. C’était aussi vide que si la pièce n’avait jamais été habitée.

— Tant pis, fit Malko. Elle est trop prudente pour laisser des indices.

Ils repartirent pour l’hôtel.

— Si on arrêtait toutes les Chinoises, proposa Jones, on finirait bien par trouver la bonne.

— Ils se plaindraient à l’O.N.U., fit Brabeck dégoûté.

Le téléphone sonnait lorsqu’ils rentrèrent à l’hôtel.

C’était Hood.

— Une de mes voitures a vu la Ford grise sur le Bayshore Freeway, annonça-t-il. Mais il n’a pas pu la suivre, il allait en sens inverse et il y avait trop de trafic. La Ford se dirigeait vers le Sud. À plus tard.

Malko répéta aux gorilles le message de Hood.

— Foncez sur le freeway, leur dit-il. Appelez-moi tous les quarts d’heure si vous ne trouvez rien.

Jones et Brabeck traversèrent le hall du Mark Hopkins comme le cyclone Daisy. Si le portier ne s’était pas accroché du poids de ses 120 kilos à la porte tournante, elle tournerait encore.

Cinq minutes plus tard, ils roulaient sur le Bayshore Freeway aussi vite que le permettait la circulation intense.

Lili Hua sortit précipitamment de sa cabine. La Chinoise remontait dans la voiture sport sans se presser. Elle passa devant la station Chevron à petite allure et Lili sortit derrière elle comme si elle venait de prendre de l’essence.

C’était presque trop facile de la suivre. Il n’y avait presque plus de circulation et la voiture blanche roulait très doucement. Elle tourna à droite, longea un terrain vague et s’arrêta devant un grand portail.

Surprise, Lili stoppa derrière elle. Elle vit celle qu’elle suivait descendre de voiture et venir tranquillement vers elle.

Elle se recroquevilla, affolée, sur son siège, le cerveau brusquement vidé, fascinée par la haute silhouette qui grandissait devant elle. Elle eut le temps de distinguer les traits impassibles de la Chinoise et se décida à tourner la clef de contact. Le bruit du moteur couvrit celui de la portière de droite qui s’ouvrait. Lili se sentit prise à la gorge par des mains de fer. Ses carotides écrasées, elle poussa un cri de souris et bascula sur la banquette. La grande Chinoise ouvrit la portière et, attrapant la jeune femme par les cheveux, la repoussa hors de la place du conducteur. Le Chinois qui avait neutralisé Lili attira le corps à lui et le fit rouler sur le plancher de la voiture. Puis il sortit.

Il n’y avait pas eu un mot d’échangé.

Le Chinois portait un costume bois de rose, une chemise jaune à fines raies, avec une cravate presque blanche et un feutre noir. Il avait le masque aplati, les yeux méchants et le sang-froid des tueurs professionnels.

Il alla jusqu’à la voiture blanche, monta et démarra. La grande Chinoise démarra derrière lui. Enfin, fermant le cortège, une voiture noire, un corbillard Cadillac conduit par un Chinois en casquette.

Les trois véhicules tournèrent un moment dans le quartier pour arriver à une grande grille en fer forgé doré, surmontée d’une énorme banderole qui portait en lettres d’or, l’inscription : « Jardin des Multiples Félicités. »

De chaque côté de la porte des caractères chinois écrits en rouge répétaient la même inscription.

Les trois voitures s’engagèrent dans une large allée bordée de gazon. Les phares éclairaient de temps en temps une statue sur son socle.

Puis elles franchirent un petit pont sur une rivière miniature où se déversait une cascade, avant d’arriver devant un monumental bâtiment tenant du temple romain et de la pagode.

Il fallait beaucoup d’imagination pour deviner que le Jardin des Multiples Félicités était un des cimetières les plus chics de Californie.

A peine les trois voitures avaient-elles stoppé que deux Chinois vêtus de blouses blanches surgirent avec une civière. En dix secondes, ils eurent chargé le corps inerte de Lili. Aussitôt, la voiture blanche et celle de la Tahitienne firent demi-tour et redescendirent à travers le parc.

La grande Chinoise suivit les deux Chinois en blanc jusqu’à un ascenseur qui se mit en marche silencieusement. L’intérieur du bâtiment ressemblait à une clinique. Le couloir où s’engagea le groupe était éclairé par des lampes grillagées comme dans un abri atomique.

Ils entrèrent dans une petite pièce carrée aux murs en carreaux blancs. Au milieu, il y avait une table d’opération encadrée par deux appareillages ressemblant à des ensembles de réanimation.

Les deux Chinois déposèrent le corps de Lili sur la table d’opération, et l’attachèrent avec des courroies de cuir scellées à des anneaux.

— Déshabillez-la maintenant, ordonna la Chinoise.