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Le Chinois fit le tour de la table et saisit un second tuyau qu’il enfonça dans l’autre bras de la victime.

La jeune femme gémit.

— Vous me faites encore mal…

— Ce n’est rien, dit la Chinoise avec-douceur ; dans un moment vous ne sentirez plus rien.

Le bocal de gauche se teinta de rouge. Le sang de la Tahitienne commença à se déverser goutte à goutte par le tuyau de caoutchouc.

Le bocal de droite était rempli d’un liquide légèrement jaunâtre. Il y avait une étiquette rouge : « Flextone – Liquide à embaumer – Spécial pour femmes et enfants. » La « transfusion » s’effectuait dans les veines de Lili avec un léger picotement, mais sans réelle douleur.

— Il y en a pour un moment, remarqua le Chinois, ce n’est pas la peine de rester là…

Sans mot dire, ils sortirent de la pièce, laissant la lumière allumée. Lili demeura seule, attachée sur la table, les yeux fermés.

Elle se sentait plutôt bien maintenant, comme sur le point de s’endormir après une journée fatigante. Le liquide incolore coulait lentement dans ses veines. Elle essaya de bouger mais les courroies de cuir la retenaient solidement. Puis, elle perdit connaissance. Quand elle revint à elle, le Chinois était là de nouveau. Il était en train de changer le bocal de gauche, plein d’un beau liquide rouge sombre. Avec les gestes délicats d’un chirurgien, il mit en place un bocal vide qui commença aussitôt à se remplir. Lili regardait sans comprendre qu’il s’agissait de son sang.

Elle éprouvait une sensation de plus en plus bizarre. Des picotements dans tout le corps, et surtout un froid angoissant qui gagnait sa poitrine. Elle ferma les yeux.

En les rouvrant elle croisa le regard froid et indifférent de la Chinoise. Elle voulut parler, mais ne put y parvenir. Elle tourna la tête, et rencontra un visage identique penché sur elle. Mais elle ne sut jamais si elle rêvait ou si c’était la réalité. Une crampe horrible lui serra le cœur comme si on l’avait pris à pleine main et tordu. Elle ouvrit la bouche pour chercher de l’air, tout s’obscurcit et elle sombra dans l’inconscience.

— Elle est morte ? demanda la Chinoise.

— Pas encore.

Le Chinois prit le pouls de la victime.

— Dans une dizaine de minutes seulement. Le liquide n’a pas encore atteint toutes les zones vitales.

Le Chinois hocha la tête.

— Combien faut-il de temps pour terminer le traitement ? Je voudrais que ce soit fini pour demain matin.

— Ça ira.

Il s’approcha d’une table surchargée de scalpels, de ciseaux, de bols, de tubes, d’agrafes, d’instruments divers de chirurgie. Il choisit un long scalpel et une cuvette assez large. Puis il revint vers Lili, d’un geste sûr, lui fit une incision de dix centimètres sur le ventre. Elle eut à peine un tressaillement. Quelques gouttes de sang perlèrent. La Chinoise fronça les sourcils. L’opérateur s’excusa :

— Je dois la vider maintenant, si vous voulez qu’elle soit prête demain matin.

Il ajouta avec un rire embarrassé :

— Une fois qu’elle sera embaumée, personne ne pourra dire si elle l’a été avant ou après sa mort…

La Chinoise ne répondit pas. Elle sortit de la pièce, suivie d’une autre Chinoise, celle que Lili avait aperçue avant de perdre conscience. C’était son double exact. Habillées et coiffées de la même façon, elles pouvaient passer aisément l’une pour l’autre. Elles étaient jumelles : Yang-si et Yang-nam.

— C’est ennuyeux d’avoir été obligées de se débarrasser si vite de cette fille, remarqua Yang-si, l’employée de la banque.

— Bien sûr, dit l’autre. Mais cette petite idiote était sur mes talons.

— Celui qui l’employait va la rechercher…

— Rien à craindre de ce côté, dit Yang-nam. Dès demain matin, le corps embaumé sera placé dans un des cercueils en partance pour Hong-Kong que nous laisserons dans le laboratoire. On le montera au dernier moment. D’ici là, nous allons nous occuper de notre adversaire. Il nous a déjà poussés à des imprudences qui pourraient compromettre notre organisation.

Les deux femmes étaient arrivées à une porte blindée qui fermait le couloir. Assis sur un pliant un Chinois montait la garde. Il se leva vivement et salua. De sa blouse blanche dépassait la crosse d’un pistolet de gros calibre. De l’autre côté de la porte il y avait une sentinelle identique.

Les Chinoises montèrent un escalier métallique dont l’entrée donnait sur le rez-de-chaussée du bâtiment. Près de cet escalier il y avait encore un Chinois qui veillait à ce que les visiteurs du cimetière ne s’égarent pas dans la zone interdite. À côté, dans un petit bureau, un autre garde était en faction devant un écran de télévision en circuit fermé dont la caméra était placée à la grille.

Dans la salle d’embaumement, le Chinois terminait son travail. Le visage recouvert d’un masque, il recousait avec une grande aiguille courbe l’entaille que Lili portait au ventre. Puis, avec des gestes délicats de chirurgien, il ferma les lèvres de la même façon, et, avec du ciment à paupières, il lui colla les yeux. Dans quelques heures, Lili serait un cadavre très convenablement embaumé. C’était un traitement de luxe qui coûtait près de cinq cents dollars…

Guadaloupe Road était bloquée à toute circulation depuis une demi-heure quand Malko arriva dans sa voiture de police. Hood était déjà là.

— Il n’y a personne dans les bagnoles, annonça-t-il. Ni vivants, ni morts.

Un hélicoptère de la police tournait lentement le long du ravin, éclairant la scène de l’accident de trois phares éblouissants. Les deux carcasses n’étaient qu’à quelques mètres l’une de l’autre.

— On les a balancées volontairement, remarqua Hood. Ça ne fait pas de doute.

Malko était du même avis.

— Chef, dit-il, il faut mettre tout en œuvre pour retrouver une Chinoise qui s’appelle Lili. Si elle est encore vivante, je pense qu’elle en sait long sur ceux qui sont derrière votre épidémie.

Là, Malko s’avançait un peu. Mais il était certain que son raisonnement était bon. Il avait mis le doigt sur un réseau communiste, qui, opérant dans la ville, ne pouvait pas ne pas être mêlé au lavage de cerveau.

Hood cracha son cigare.

— Si c’est vrai, j’irais bien la chercher en enfer. Je vais tenter l’impossible. Je ne peux pas fouiller toutes les maisons de San Francisco mais nous allons interroger tous les gens susceptibles d’avoir vu ces bagnoles ou celles qui les conduisaient.

Malko remercia, sans trop d’illusions. Il craignait qu’avec les moyens légaux classiques on n’arrive pas à grand-chose. Après avoir serré la main de Hood, il rejoignit Chris Jones et Milton Brabeck qui attendaient sur le talus.

— Rentrons à San Francisco, dit-il.

Il s’installa sur le siège arrière de la voiture et n’ouvrit pas la bouche jusqu’à la ville. Une pensée lancinante le tenaillait. Lili Hua devait être morte et c’était à cause de lui. Il n’aurait jamais dû la mêler à son travail, même pour une besogne anodine. Il s’apercevait soudainement de la place qu’avait prise la Tahitienne dans sa vie. Ce n’était pas de l’amour mais une espèce de tendresse amoureuse.

Une rage froide lui serrait l’estomac. Ses adversaires effaçaient méthodiquement toutes les pistes au fur et à mesure qu’il les découvrait. Plongé dans ses pensées moroses, il ne remarqua même pas, le long du freeway, les traces d’un incendie, et une voiture retournée. Il y avait encore eu une bagarre avec les « communistes ».