En arrivant au Mark Hopkins, Malko savait ce qu’il allait faire. Il eut un sourire froid.
— Je vous propose une petite promenade à Los Angeles demain matin pour rendre visite à un de mes vieux amis, le major Fu-Chaw. J’ai l’impression qu’il en sait beaucoup plus sur cette histoire que sa modestie naturelle ne le lui fait reconnaître…
— Et on pourra s’en occuper un peu, de ce Fu-Truc… demanda Jones…
— Ça n’est pas impossible. Mais avec une grande délicatesse. Je le soupçonne de savoir beaucoup de choses…
— Ça, pour la délicatesse ! se récrièrent les gorilles, sinistres.
Eux aussi avaient un sacré poids sur l’estomac. Ils s’étaient fait avoir comme des enfants, par une femme encore. Ils avaient hâte de pouvoir se servir de leurs pistolets qui rouillaient dans leurs étuis depuis le début de l’affaire.
Les trois hommes allèrent se coucher. Le premier avion pour Los Angeles partait à 7h35, par Western Airlines.
Malko se retourna près d’une heure avant de pouvoir s’endormir. Il pensait à Lili Hua. Même si on lui avait retiré sa mission, il aurait continué tout seul.
CHAPITRE IX
Malko marchait de long en large dans sa chambre, ivre de rage. Ses yeux d’or avaient viré au vert. Muets, Chris et Milton l’observaient ne sachant comment le calmer.
Leur visite à Los Angeles n’avait rien donné. Ils avaient été reçus par une grosse Chinoise qui leur avait expliqué en mauvais anglais que Fu-Chaw était en voyage d’affaires. Elle ne savait ni où il était, ni quand il reviendrait. Malko avait été ensuite à la villa de Fu-Chaw, à Hollywood. Tout était fermé. Des voisins avaient dit qu’ils avaient vu le Chinois partir la veille en voiture.
Pour plus de sûreté, Malko avait fait téléphoner par le correspondant local du State Department au Chinois. Même réponse.
Dépités, les trois hommes avaient repris le premier avion pour San Francisco. Aucun message de Hood à l’hôtel.
À tout hasard, Malko prit le San Francisco Chronicle offert par le Mark Hopkins et le parcourut. Mais tout ce qu’il trouva se rapportant à son affaire était un court entrefilet en page 17 : la veille il y avait encore eu des émeutes communistes dans plusieurs petites localités près d’Oakland, de l’autre côté de la baie. Cela devenait tellement courant que les journaux n’en faisaient même plus leurs manchettes.
Malko referma le journal et s’accouda à la fenêtre. L’île d’Alcatraz se détachait dans le soleil. Le long serpent de Bay Bridge se déroulait jusqu’à Oakland. Quelque part dans ce paysage merveilleux se trouvait la clef du mystère.
Mais il était trop homme d’action pour rester longtemps inactif.
— Allons-y, dit-il aux gorilles.
Ils allaient rendre visite au grand-père de Lili Hua. Ce n’était pas une partie de plaisir. Il allait lui annoncer que sa petite fille avait disparu et qu’elle était probablement morte. Malko en était malade à l’avance. Il avait l’intention également de lui demander de traduire le mystérieux document codé sur lequel tout le monde s’était cassé les dents et qui semblait avoir tant d’importance pour ses mystérieux adversaires. Il y avait une chance sur un million, mais au point où ils en étaient…
Les gorilles louchaient sur le discret monogramme brodé sur la chemise de Malko. C’était une des petites choses qui lui donnait un infini prestige. Malko enfila sa veste et se donna un coup de peigne. A quarante ans, ses cheveux blonds ne s’éclaircissaient pas.
Les gorilles le précédèrent dans le couloir. L’ascenseur arriva immédiatement. Chris et Milton s’effacèrent pour laisser passer Malko. Ils avaient les épaules larges et les idées étroites mais de l’éducation.
— Lobby, annonça Malko.
La préposée, en jupe rouge et socquettes blanches, approuva de la tête. Elle tournait le dos, le nez dans ses boutons. Malko remarqua qu’elle était plus grande que les Chinois de type habituel et qu’elle avait de jolies jambes.
L’ascenseur ne s’arrêta nulle part. Puis il ralentit et la porte s’ouvrit. Ils étaient dans le garage, au sous-sol. Malko n’eut pas le temps de faire remarquer son erreur à la liftière.
Les gorilles ouvrirent des yeux comme des soucoupes en voyant la créature de rêve qui se tenait dans l’embrasure de la porte : une grande Chinoise, moulée dans une combinaison blanche de coureur automobile, les cheveux roulés en chignon sur le haut du crâne.
Un léger sourire aux lèvres, elle s’avança vers Chris Jones paralysé d’admiration et lui balança ses doigts réunis en pointe dans le foie.
Chris émit un bruit bizarre et un jet de salive jaillit de sa bouche. Il tenta de saisir son pistolet, et ne put parer une seconde manchette à la gorge qui le cueillit juste sur la carotide. Il glissa, assommé.
Malko reconnut la Chinoise au moment où elle frappa Jones : c’était celle de la banque.
Mais il n’eut pas le temps de dire un mot. La liftière s’était retournée. Elle avait exactement le même visage que l’autre Chinoise. Malko hésita une seconde, se demandant s’il rêvait. Mais déjà, la nouvelle venue le saisissait par le poignet droit et tirait violemment. Il fut littéralement catapulté hors de la cabine et se retrouva tenu par une solide clef au bras. Au lieu de lutter, il se laissa tomber sur le sol en ciment, entraînant la Chinoise, et roula sur le côté.
D’un bond, il fut debout, pistolet au poing.
Il n’eut même pas le temps d’appuyer sur la détente. Trois Chinois, de taille normale ceux-là, surgirent de derrière une voiture. Le visage aplati et sans expression, ils se ruèrent sur Malko.
À la volée, il cueillit le premier d’un terrible revers de la main armée du pistolet. Atteint à la tempe, le Chinois s’effondra. Mais les deux autres plongèrent sur Malko. L’un lui fit une clef au cou et commença à l’étrangler. L’autre lui saisit le poignet et tenta de le désarmer. Secouant furieusement ses deux adversaires, Malko oscillait entre les voitures.
Brabeck avait réagi avec une seconde de retard, paralysé par la ravissante apparition.
Celle-ci le cueillit d’une terrible manchette à la tempe qui l’envoya contre la paroi métallique. Le malheureux gorille crut qu’il recevait l’Empire State Building sur la tête. A moitié groggy, il repartit à l’assaut, les mains en avant. Il n’avait pas les délicatesses de Malko. Saisissant le cou de la Chinoise, il enfonça ses doigts dans la chair délicate, avec un « han » de bûcheron.
La Chinoise eut un cri étranglé et tenta de défaire la prise. Profitant de son désarroi, Milton vola au secours de Malko. Il arriva juste à temps pour arracher de son cou le Chinois en train de l’étrangler.
Mais le second lui porta une violente manchette à la nuque. Il tituba.
— Jones, hurla-t-il.
Chris Jones n’entendait rien ; groggy, il était encore assis par terre, au fond de la cabine. Il tira quand même son pistolet et le brandit, sans force.
Malko, débarrassé de ses adversaires mâles, se trouva nez à nez avec la Chinoise en blanc. Il leva son arme. Dans la seconde suivante, son pistolet volait à l’autre bout du garage, propulsé par le pied de la Chinoise. Immédiatement, elle fut sur lui, mais déséquilibrée elle offrit son cou et sa nuque à son adversaire. D’une manchette, Malko pouvait l’assommer. Il hésita une fraction de seconde. C’était idiot et hors de raison. Mais on ne se refait pas. Il frappa trop tard. La Chinoise pivota et Malko reçut un coup de pied de cheval dans l’estomac. Ce n’était que la douce main qu’il avait baisée huit jours plus tôt… Plié en deux, il ne vit pas venir la manchette à la nuque qui l’étourdit. La Chinoise le chargea sur son épaule, d’une torsion de reins, et partit vers la sortie du garage.