Empêtré avec les deux Chinois, Milton vit la scène. D’un effort désespéré, il cogna l’un d’eux contre la portière d’une Buick et donna un terrible coup de tête à celui qui s’accrochait à son bras droit.
Rapidement il sortit son 357 Magnum et visa la Chinoise qui s’enfuyait avec Malko. Mais c’était trop risqué. Il pouvait toucher Malko.
Le Chinois assommé par Malko se relevait et fonçait sur Milton. Le gorille tira deux fois. Les détonations se répercutèrent de façon effroyable dans le garage. Le Chinois fit un bon de clown en arrière, cloué au mur de ciment par les balles de 45.
Mais les deux autres attaquaient… dans un moulinet de manchettes et de coups de pied. Brabeck plia sous une rafale de manchettes au foie. Le gros colt vola. Sonné, le gorille résista à peine quand l’un des Chinois lui tint les deux poignets et se laissa aller en arrière, puis posant un pied sur l’estomac du gorille, il tira de toutes ses forces.
Milton traversa une partie du garage à basse altitude et termina sa course sur le capot d’une Lincoln Continental blanche où il imprima le poids de ses 90 kilos.
Les deux Chinois couraient déjà à travers le garage précédés par la Chinoise en costume de liftière.
Le portier, ahuri, les laissa passer. Pourtant, les liftières sortaient rarement de l’hôtel, en uniforme et en courant. Tous les trois disparurent dans California Street. Une Oldsmobile noire bloquait l’entrée du garage du Mark Hopkins. La Chinoise, venue avec cette voiture, fonça jusqu’à une seconde Oldsmobile garée en double file, juste devant. La seconde Chinoise, en combinaison blanche était déjà au volant. Malko était à l’avant, sur le plancher, assommé.
Au même instant, Milton Brabeck se laissait glisser du capot de la Lincoln.
Quand il passa devant le portier, son énorme colt nickelé au poing, du sang plein le visage, l’employé se dit que, décidément, des choses étranges arrivaient dans son garage.
L’Oldsmobile déboîtait déjà. Le gorille reconnut la silhouette blanche au volant. Brabeck leva son arme, s’appuyant contre son bras gauche replié. Mais une camionnette vint se mettre derrière l’Oldsmobile. Il baissa son colt. Le temps qu’il déplace la voiture bloquant l’entrée du garage, ce serait trop tard.
Il hésitait lorsqu’un coupé Cadillac crème s’arrêta devant le garage et klaxonna impérieusement. Au volant se trouvait un gros homme en smoking, accompagné d’une femme encore jolie avec un énorme chignon et une robe du soir décolletée jusqu’au nombril.
Une lueur jaillit dans l’œil du gorille.
D’une secousse il ouvrit la porte de la Cadillac, côté conducteur. Croyant qu’il s’agissait d’un employé du garage, le gros homme esquissa un sourire.
— Tirez-vous, fit sobrement Milton Brabeck.
Joignant le geste à la parole, il empoigna l’homme par le bras et tira d’un coup sec. Le malheureux bascula sur la chaussée, pendant que Milton se glissait au volant.
— Bonjour madame, dit-il poliment.
— Assassin ! voleur ! cria la femme. Sortez de cette voiture.
Le gros homme se relevait. Violet de rage il empoigna la portière à deux mains au moment où Milton démarrait. Celui-ci lui donna une tape légère avec le bout du canon de son pistolet.
— Pas le temps de discuter.
La Cadillac bondit, sous la puissance de ses 385 chevaux. Tout s’était passé en dix secondes. L’Oldsmobile était encore en bas de California, bloquée au feu rouge de Market Street.
Milton passa le dos d’âne du croisement avec Kearny Street à 70 milles, évitant de justesse un tramway. La Cadillac décolla de vingt centimètres et le chignon de la voisine de Milton s’écrasa contre le toit. Elle hurla :
— Arrêtez immédiatement. Je vous ferai passer à la chambre à gaz.
— Hum-hum, fît Milton, occupé à doubler un tramway.
L’Oldsmobile noire venait de tourner à droite dans Market Street. La dame baissa la glace électrique et hurla aux passants :
— C’est un enlèvement, la police, appelez la police.
Milton fronça les sourcils, et dit :
— Ne faites pas de complications, madame. Je ne veux pas vous enlever. D’ailleurs qu’est-ce qui voudra d’une bonne femme décorée comme un arbre de Noël ? Vous descendez à la prochaine.
Il essuya le sang qui coulait sur son visage et stoppa brutalement. Sa voisine donna du nez dans le pare-brise, Milton se pencha, ouvrit la portière droite, poussa la femme et redémarra.
Dans son rétroviseur, il la vit entourée de passants compatissants. Elle allait pouvoir en raconter à ses amies…
L’Oldsmobile noire était à 300 mètres devant lui. Il fut tenté de la rattraper puis se dit qu’elle le conduirait peut-être à quelque chose d’intéressant. S.A.S. n’était pas en danger puisqu’on ne l’avait pas tué tout de suite.
Il aurait donné cher pour que Jones soit avec lui. Mais Jones, à cette minute précise enfonçait le canon de son 38 Spécial police dans le ventre du directeur du Mark Hopkins en glapissant :
— Qu’est-ce que c’est que ce palace de merde où on vous attaque dans l’ascenseur ? Je devrais vous flinguer tout de suite…
— En vingt ans, commença dignement le directeur, je…
Le hall de l’hôtel était en effervescence depuis qu’un membre de la Convention des « Amis de l’Amérique latine » avait appelé l’ascenseur n°4. Jones, assis au fond, s’était levé lentement et avait jailli de la cabine l’œil mauvais et l’arme au poing.
On découvrit ensuite, dans un placard du troisième, la liftière manillaise qui aurait dû être de service, proprement étranglée avec une corde à linge. Elle était déjà toute bleue.
Une voiture de police, appelée par le directeur, débarqua deux flics blasés. Jones rentra son pistolet et sortit sa carte du Service Secret. C’était une excellente carte de visite. En principe, le Service Secret ne s’occupe que de la protection du président des États-Unis et des faux monnayeurs. Là encore, la C.I.A. avait obtenu que certains de ses hommes bénéficient de cette couverture sur le territoire des U.S.A. Officieusement, bien entendu. Ça évitait des incidents fâcheux. Il expliquait aux flics ce qui venait de se passer lorsque surgit le gros homme à la Cadillac blanche, de plus en plus violet. Il fonça sur les flics :
— On a volé ma voiture et enlevé ma femme, dit-il tragiquement. Je suis un ami du gouverneur et…
Chris Jones dressa l’oreille.
— Qui ça ?
Le gros raconta la scène avec des hoquets d’indignation. Il frisa l’apoplexie quand le visage de Jones se fendit d’un large sourire pour dire :
— C’est ce bon vieux Milton. J’étais sûr qu’il se laisserait pas baiser. Quel est le numéro de votre tire, monsieur ?
Trop suffoqué pour protester, le gros homme fit :
— Cadillac crème, 947 JBF.
Chris Jones remercia et fila vers la voiture de police. Il communiqua le numéro de la Cadillac et demanda qu’on la retrouve discrètement. Puis, il monta dans sa chambre. Il se sentait encore tout groggy et Milton allait sûrement donner de ses nouvelles.
CHAPITRE X
L’Oldsmobile noire filait à 65 milles sur le Bayshore Freeway. Cent mètres derrière, Milton Brabeck essayait d’avoir l’air d’un milliardaire en vacances, dans sa Cadillac toute neuve.
Il y avait beaucoup de circulation et les Chinoises devaient se croire en sécurité. Ils dépassèrent l’aéroport. Milton vit à temps clignoter les gros feux rouges de l’Oldsmobile. Elle tournait à droite.
Il freina et s’engagea à son tour dans Milbrae Avenue. C’était plus délicat car la Cadillac crème se voyait de loin.
Milbrae Avenue se terminait à la mer. La voiture noire tourna à droite dans Bayshore Highway, parallèle à la baie. Un panneau vert indiquait qu’on quittait les limites de San Francisco. Il n’y avait plus que des terrains vagues ou des hangars à bateaux.