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Quand la sonnerie se déclencha, Malko décrocha tout de suite. C’était bien Jones. Sa voix était toute émoustillée.

— Y a personne de suspect, mais c’est plein de pépées à moitié à poil. On se croirait dans un « topless »[8]. Je suis au centre, à gauche du bar. De là, j’allume toute la salle. Je vous attends.

— Parfait. Mais fermez les yeux en m’attendant. Je ne voudrais pas que vos réflexes soient trop ralentis.

Après avoir arraché Milton à la Toronado, ils filèrent vers l’ascenseur. Pour cela, il fallait traverser tout l’hôtel en s’enfonçant jusqu’aux chevilles dans une mœlleuse moquette à fleurs.

A côté, il y avait une terrasse dominant Taylor Street, pratiquement réservée aux couples d’amoureux. Pendant que Malko se mêlait aux gens, attendant l’ascenseur, Milton alla faire un tour sur la terrasse. Près de la porte, il y avait une frêle Chinoise dans les bras d’un Chinois à lunettes. Milton tourna autour d’eux sans rien voir de suspect. Ils s’embrassaient à bouche que veux-tu, sans se soucier du monde extérieur.

— Tout a l’air tranquille, dit-il à Malko.

Milton inspecta soigneusement les voisins de Malko, mais il n’y avait que des têtes de bons Américains moyens.

Cet ascenseur était une des attractions les plus prisées de San Francisco. Au lieu d’être à l’intérieur du bâtiment, la cage était à l’extérieur. La cabine, toute en verre, montait comme une araignée accrochée à la façade, éclairée par des projecteurs. Au fur et à mesure de la montée, on découvrait la vue féérique de la ville illuminée. Le voyage jusqu’au 32e étage durait plus d’une minute.

Un peu angoissé, le gorille vit Malko disparaître dans l’ascenseur, et resta tout seul, un court instant. Déjà d’autres personnes arrivaient. Pour se distraire, il jeta un coup d’œil aux amoureux chinois. Ils avaient disparu.

Comme une bombe, il traversa la terrasse. C’était plein de couples enlacés dans l’ombre. Il hésitait quand un bruit de glace brisée le fit sursauter. Cela venait d’en haut, du mur de l’hôtel. Il courut au bord de la terrasse et se tordit le cou pour apercevoir la cabine.

Elle était arrêtée à mi-chemin.

Il s’interrogeait sur le bruit lorsqu’il vit une lueur brève partir d’un immeuble trois ou quatre blocs plus bas, juste en face : le départ d’un coup de feu. Maintenant il comprenait la raison du rendez-vous au Fairmont.

Après avoir repéré l’immeuble d’où était parti le coup de feu, il bondit hors de la terrasse, se perdit dans le dédale des couloirs et finit par trouver la petite entrée donnant sur California. Aidé par la pente, il fila comme une flèche.

Emporté par son élan, il faillit descendre jusqu’à Market Street, négocia son virage et s’engouffra, hors d’haleine, dans Mason, en plein Chinatown. L’immeuble qu’il cherchait était le troisième après le croisement.

Milton stoppa devant un petit hall gardé par un portier chinois. Au premier étage il y avait une boîte de nuit assez minable dont les photos étaient épinglées dans le hall. Milton s’engouffra dans l’ascenseur, comme attiré irrésistiblement par les délices des danseuses cambodgiennes, sous le sourire commercial du Chinois.

Le gorille appuya sur le bouton « Terrasse ». Il sortit son colt 357, releva le chien et le remit dans sa ceinture.

L’ascenseur s’arrêta sans une secousse. La porte s’ouvrit automatiquement. Ébloui par le néon de l’ascenseur, Milton cligna des yeux. La terrasse était plongée dans le noir. Il avait la main sur son pistolet quand une silhouette se dressa devant lui. Il enregistra la lueur orange du coup, entendit la détonation et eut l’impression de recevoir un marteau-pilon dans le ventre.

En tombant sur le ciment de la terrasse, il pensa : « Merde, ce que c’est facile de se faire buter ! »

Malko avait pris la queue au pied de l’ascenseur. Les hommes étaient en smoking et les femmes en robe longue ou de cocktail. Sa voisine était ravissante : une blonde aux cheveux soyeux moulée dans un fourreau lamé argent qui aurait éclairé une nuit sans lune. Elle étalait insolemment une peau dorée par le soleil des Caraïbes, un diamant gros comme une montre moyenne, et traînait la malédiction allant avec ces bienfaits : un type massif, au triple menton et aux yeux globuleux derrière des lunettes sans monture. Il la couvait des yeux comme un chien veille sur son os. Malko profita de la bousculade pour se rapprocher d’elle. Il enleva ses lunettes et plongea ses yeux d’or dans ceux de la jeune femme. Un instant, leurs regards restèrent soudés. Puis, elle papillota et jeta un coup d’œil affolé à son compagnon absorbé dans la contemplation du dos de son voisin.

Rassurée, elle accorda un pâle sourire à Malko et ne se recula pas quand il appuya imperceptiblement sa hanche contre la sienne.

L’ascenseur arrivait, presque vide. Galamment, Malko s’effaça pour laisser passer la jolie blonde et son cavalier. Malko, furieux, se retrouva coincé entre le dos énorme du type et, à sa gauche, une masse de mousseline rose et rebondie appartenant à une mémère endiamantée jusqu’aux orteils. Il commença sournoisement à s’infiltrer entre la mousseline et le dos hostile. Les exclamations admiratives fusaient de tous côtés.

L’ascenseur avait dépassé le building d’en face et la baie de San Francisco venait d’apparaître dans toute sa splendeur. Avec un peu de nostalgie, Malko pensa qu’un tel voyage devrait être réservé aux couples. Les cris énamourés de son énorme voisine l’agaçaient prodigieusement. Il en profita pour avancer une épaule et se glisser d’un seul coup. Maintenant, il n’était plus séparé de la vitre que par la blonde dont il avait le parfum dans les narines. C’était déjà beaucoup mieux.

Elle avait le visage collé à la paroi de verre. Le spectacle devait l’émouvoir car elle poussa un petit cri et se tourna brusquement vers Malko.

Une fraction de seconde, il vit un trou rond bordé de mousse rose sur la peau bronzée, juste à la limite du décolleté, puis elle s’effondra contre lui, les yeux déjà vitreux.

Un filet d’air frais entrait par une ouverture dans la vitre.

Le géant au triple menton poussa un premier rugissement en voyant Malko tenant sa compagne à pleines mains. Malko sentit cinq doigts d’acier s’enfoncer dans son épaule. Il allait s’expliquer quand le géant poussa un second barrissement et lâcha Malko. Une affreuse déchirure en séton venait d’apparaître sur sa gorge. Le sang giclait de sa carotide sectionnée. Il tenta de comprimer la blessure de ses deux mains mais glissa en arrière, sans tomber complètement, retenu par ses voisins, serrés les uns contre les autres.

Une femme qui avait reçu du sang hurla comme une folle. La voisine, en mousseline, de Malko se mit à le secouer frénétiquement en hurlant :

— Assassin, assassin, vous l’avez tuée.

Les gens comprimés à l’arrière ne se rendaient pas compte de ce qui se passait à l’avant. Ils crurent à un malaise. Quelqu’un cria :

— Appuyez sur la sonnerie d’alarme.

Malko repoussa violemment le cadavre de la jeune femme blonde qui s’affala contre la vitre et hurla :

— Ne stoppez pas la cabine !

C’était déjà trop tard. Quelqu’un avait appuyé sur le bouton. Avec une petite secousse la nacelle vitrée s’arrêta entre le 16e et le 17e étage.

Malko se laissa tomber par terre. Il avait eu le temps d’apercevoir la lueur de départ d’un coup de feu, à deux cents mètres de là, à vol d’oiseau. Il était le seul à savoir que c’était lui qu’on visait. Il comprenait pourquoi on lui avait donné rendez-vous au Fairmont. À cinq ou six blocs en face commençait Chinatown. La nacelle illuminée constituait une cible idéale pour le tueur embusqué sur le toit d’un building. Si elle ne repartait pas rapidement, Malko était condamné à une mort certaine. On avait dû observer son départ, pour être sûr de sa présence dans l’ascenseur…

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8

Bar où les serveuses ont la poitrine nue.