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Deux balles frappèrent la nacelle au moment où il se retrouva par terre. La grosse dame en mousseline poussa un cri perçant et s’effondra sur Malko, gémissant et remuant convulsivement.

Un bruit de verre cassé : d’autres balles s’enfoncèrent dans le corps de la grosse femme qui ne bougea plus.

Malko fit basculer le cadavre encore chaud et s’allongea à plat ventre derrière lui. Poussant et tirant, il parvint à entasser par-dessus, le corps du compagnon de la jeune femme blonde. Celle-ci gisait, face contre terre, ses longs cheveux poissés de sang.

— Je veux sortir, je veux sortir, cria une femme en pleine crise d’hystérie.

— Couchez-vous, cria Malko.

Personne ne l’entendit. Les survivants hurlaient à qui mieux mieux, sans comprendre. Ils étaient coincés entre ciel et terre, tant que les services de sécurité de l’hôtel ne remettraient pas la cabine en marche.

Les balles continuaient à frapper inexorablement. Il n’y avait plus que trois ou quatre personnes debout. A plat ventre, Malko se faisait tout petit derrière les cadavres. De temps en temps il sentait le choc mat des balles s’enfonçant dans les corps. Il y avait au moins deux tireurs, avec des fusils équipés de silencieux.

Soudain, un des derniers survivants hurla :

— Maggy, Maggy…

Un des panneaux vitrés de l’ascenseur s’effondra, frappé par plusieurs balles. Du coin de l’œil, Malko vit une grande femme en robe du soir plonger comme une folle dans le vide, laissant un escarpin derrière elle.

Son cri donna la chair de poule à Malko, diminua rapidement et s’acheva en un choc sourd : elle venait de s’écraser sur la terrasse du jardin d’hiver. 40 mètres plus bas.

Son mari se prit le ventre à deux mains et glissa lentement le long de la paroi, touché lui aussi. Au même instant, l’ascenseur se remit en marche doucement.

La grêle de balles redoubla. Le dernier couple encore debout s’effondra avec des cris de douleur. Malko devait être le seul indemne. Il s’était jeté à terre à temps. Quel massacre inutile. C’était évidemment le guet-apens idéal. Même un tireur moyen ne pouvait pas rater la cabine. Et pas moyen de riposter.

La nacelle s’arrêta au 32e étage. Malko se méfiait. Il resta étendu au milieu des cadavres. Les tueurs attendaient peut-être qu’il bouge.

La porte coulissante s’ouvrit. Le bavardage joyeux de ceux qui sortaient du bar s’arrêta net.

Une femme cria devant le spectacle d’horreur de la cabine.

— Mon Dieu. Ils sont tous morts ! s’exclama un homme. Il y a eu un accident.

— Un médecin, appelez un médecin, cria la femme.

Malko se dégagea lentement. Il sortit de la cabine en rampant, et ne se redressa qu’à l’abri du mur. Deux hommes l’aidèrent. L’un lui demanda :

— Qu’est-ce qui s’est passé ? Vous êtes blessé ?

Malko secoua la tête sans répondre. La panique était indescriptible. Une jeune serveuse en collant noir, accourue contempler le spectacle, tourna de l’œil, et tomba dans les bras d’un étudiant boutonneux qui en devint écarlate.

Le bar s’était vidé. Près d’une centaine de personnes se pressaient devant l’horrible spectacle.

La haute silhouette de Chris Jones fendit la foule. Ses yeux gris et durs s’éclairèrent quand il vit Malko debout contre le mur. Bousculant les badauds, il fonça.

— Vous êtes blessé ? fit-il.

— Non, dit Malko. Mais il y a des blessés et des morts.

Le gorille secoua la tête, dégoûté.

Un médecin était penché sur les corps étendus dans la cabine. Un à un il les retournait et les auscultait brièvement.

— Il y en a deux qui sont encore vivants, dit-il rapidement.

On sortit les agonisants pour les mettre sur des civières, tandis qu’on étendait les cadavres sur la moquette rouge.

Au même moment un paquet de flics essoufflés, encadrés de civils sortaient de l’escalier de service. Chris Jones s’avança vers un sergent énorme et casqué qui avait déjà la main sur la crosse, et lui montra sa carte du Service Secret.

La pagaille était à son comble. Des tas de gens prenaient l’escalier de service, en profitant pour partir sans payer. En bas, la sirène d’une ambulance hurla et stoppa devant l’hôtel.

Malko s’épousseta et prit Jones par le bras.

— Où est Milton ? On tirait d’un des buildings d’en face. Normalement, il aurait dû monter avec les policiers.

Les deux hommes eurent la même pensée. Jones accrocha le gros sergent :

— Donnez-moi deux de vos hommes.

Deux armoires à glace bottées et casquées emboîtèrent le pas à Malko et à Jones. Ils dévalèrent les 32 étages comme s’ils avaient eu une escouade de serpents à sonnettes aux trousses et s’engouffrèrent dans une voiture de patrouille. Le flic qui conduisait fit un demi-tour, mit sa sirène et son clignotant et dévala California à 80 milles.

Pas trace de Milton.

En trente secondes ils furent au building repéré par Malko. Les voitures se garaient prudemment devant le bolide. S’ils avaient pu, les tramways seraient sortis de leurs rails. Les deux flics entrèrent les premiers dans le hall, l’arme au poing, et foncèrent sur le portier chinois.

— Tu as vu passer des types armés ? fit le sergent.

Le Chinois secoua la tête, terrorisé.

— Bloquez la sortie, ordonna Malko. Nous allons voir en haut.

L’un des deux flics se précipita dans la voiture pour demander du secours par radio. Jones et Malko étaient déjà dans l’ascenseur. Ce dernier appuya sur le bouton « Terrasse ». Sans mot dire, ils sortirent leur arme tous les deux.

Quand la porte s’ouvrit sur la terrasse, les deux pistolets étaient braqués vers l’ouverture. Jones plongea tout de suite dans le noir, suivi de Malko. Rien ne se passa. Dès que leurs yeux se furent accoutumés à l’obscurité, ils virent une masse sombre sur le sol.

Jones était déjà agenouillé près du corps et le tâtait sur toutes les coutures.

— Il est vivant, annonça-t-il. Hé, Milt, réveille-toi.

Dans son excitation, il lui cogna un peu la tête contre le ciment. Milton poussa un gémissement et porta la main à son ventre. Inquiet, Jones le tâta. Il trouva le pistolet passé dans la ceinture et le retira. Milton poussa un cri.

— Mon ventre !

Inquiet, Jones craqua une allumette et écarta la chemise de son copain. Il y avait un énorme hématome sur le ventre velu du gorille, mais pas de sang.

Il ne continua pas son examen. L’ascenseur déversa sur la terrasse un groupe compact de flics, armés comme des cuirassés, lampes électriques, mitraillettes, fusils, grenades à gaz. On fit cercle autour du blessé.

Soudain, Jones comprit d’où venait l’étrange blessure. Le pistolet de Milton, éclairé brutalement, montrait une drôle de protubérance sur la platine, juste au-dessus du pontet. Il le ramassa et l’examina.

Une balle s’était écrasée sur l’arme et y était encore incrustée. Le choc avait assommé Milton. Sans son pistolet il aurait un trou comme une assiette dans la colonne vertébrale. Un flic lui versa une rasade d’alcool dans le gosier et il se redressa en toussant. Soutenu par Malko et Jones il prit l’ascenseur.

En le voyant débarquer, le petit portier changea de couleur. Il serait tombé sans le geste amical du grand sergent qui lui glissa affectueusement le canon de son 45 sous le menton.