— C’était un bazooka, fit Jones. Ils avaient repéré la fenêtre. Heureusement qu’ils n’ont pas employé ça quand ils ont essayé de vous avoir, dans l’ascenseur du Fairmont.
— Dans un sac de dame, c’est pas très facile à transporter, remarqua Brabeck.
Au même moment Malko se redressa, une feuille de papier à demi brûlée dans les mains. Tout ce qui restait du texte décrypté par M. Shu. Le souffle de l’explosion l’avait projeté assez loin pour qu’il ne soit pas entièrement brûlé. Malko contemplait pensivement la feuille noircie. Il fit signe aux gorilles.
— Allons dans un des salons du premier. Je veux être seul. Vous resterez devant la porte.
Écartant les curieux, la police et les gens de l’hôtel affolés, ils prirent l’ascenseur. Malko s’installa dans un petit bureau, ferma la porte et les deux gorilles s’installèrent en faction, très intrigués.
En haut les pompiers et les policiers triaient les restes de M. Shu. Tout ce qu’on avait retrouvé tenait dans un tiroir promu au rang de cercueil provisoire. Il y avait du sang partout et on avait trouvé la main droite du vieux Chinois dans la penderie, très proprement coupée au ras du poignet…
Quant à l’hélicoptère, il avait disparu avant que les appareils de la police ne le rattrapent.
Les deux gorilles faisaient les cent pas dans le couloir ; d’abord intrigués, puis inquiets, enfin nerveux comme de futurs papas. Toutes les cinq minutes, Jones proposait :
— On y va ?
Milton, avec sa robuste patience du Middle-West, secouait la tête et répliquait :
— S’il a dit qu’il voulait être seul, c’est qu’il veut être seul…
La porte s’ouvrit une heure et trente-trois minutes plus tard. Malko avait l’air crevé ; ses yeux dorés étaient striés de fines lignes rouges. Il tenait à la main des feuilles de papier et eut un mince sourire devant l’air ébahi des gorilles quand ils aperçurent des caractères chinois.
— Il n’y a plus qu’à trouver un Chinois qui lise la langue et qui parle anglais, dit-il.
— Mais comment…
— J’avais eu le temps de regarder cette feuille attentivement. Vous savez que j’ai une excellente mémoire. J’ai fait de mon mieux pour reproduire les caractères détruits par le feu. Je les ai redessinés.
Les gorilles mirent dix minutes à retrouver leur respiration. On leur aurait annoncé que l’île d’Alcatraz venait de couler qu’ils auraient fait la même tête.
— C’est pas étonnant qu’on nous paie si cher, conclut Milton.
Malko se mit aussitôt à la recherche d’un traducteur. Grâce à Richard Hood, ses recherches ne furent pas longues : le Pr Maloney, titulaire de la chaire de Sinologie à l’Université de Southern California allait les recevoir. Il lisait le chinois parfaitement et n’avait pas été touché par le « lavage de cerveau ».
— Ne perdons pas une minute, dit Malko.
A tombeau ouvert, ils foncèrent à travers la ville. Le professeur habitait de l’autre côté du jardin zoologique, dans une grande villa. Quand ils arrivèrent, il y avait déjà quatre voitures de patrouille autour de la maison. Hood avait bien fait les choses.
Maloney était un homme grand et mince, sympathique, qui accueillit Malko d’une vigoureuse poignée de main. Ce dernier s’excusa du déploiement de forces.
— Plusieurs personnes ont été frappées de mort violente à cause du document que je vais vous demander de traduire. Aussi je vous conseille vivement de n’en parler à personne.
Maloney, Irlandais flegmatique, ne parut pas impressionné.
— Entrons dans mon bureau, proposa-t-il. Je vais me mettre au travail.
— Je crois que ça y est…
Malko soupira. Il attendait ce moment-là depuis si longtemps. L’universitaire posa son stylo et fit signe à Malko de le rejoindre derrière son bureau.
— En haut à gauche, dit Maloney, il y a l’indicatif « Tsao Lan-Tzé », qui signifie « Panier de Jonc ». J’ignore à quoi cela se rapporte.
Et Malko encore moins ! Maloney continua.
— Voici le texte approximatif :
« Camarade Yang-si, nous vous félicitons de votre réalisation. Nous confirmons l’accusé de réception de votre lettre à l’adresse Six. Pour votre organisation de couverture, le « Jardin des Multiples Félicités » me paraît parfait.
« Suivant votre requête, nous vous faisons parvenir de Prague le matériel de l’opération « Persuasion Invisible » et une lettre de votre mère. Il est trop tôt pour vous envoyer les gammas.
« Les essais effectués ici se sont révélés très satisfaisants. Vous devriez obtenir des résultats entre trois et six mois.
« Aucun document se rapportant à l’opération ne doit être transmis sans le chiffre numéro Un. Vous êtes personnellement responsable. Il serait intéressant de préparer le traitement d’autres villes importantes. Nous vous mettrons ultérieurement en contact avec des éléments sûrs à New York et à Chicago.
« Toute personne risquant de s’immiscer dans l’opération doit être supprimée immédiatement et discrètement. Nous vous souhaitons de réussir. Vous avez le salut des camarades. Vive le président Mao. Pékin 3 décembre. »
Malko et Maloney se regardèrent. Certes, un certain nombre de choses étaient parfaitement compréhensibles. Mais qu’était l’opération « Persuasion Invisible » ? Pour Malko cela ne faisait aucun doute : il s’agissait de l’étrange épidémie de lavage de cerveau. Ainsi il avait la preuve qu’il cherchait depuis le début de l’affaire. Les Chinois étaient derrière l’opération. Mais comment ?
Cela, le message ne le disait pas. Et qu’était le « Panier de Jonc » ?
En tout cas le professeur n’en savait pas plus que lui.
— Professeur, dit Malko, je vous demande, dans votre propre intérêt, de garder le secret le plus absolu sur cette affaire. Vous êtes en danger, tant que tout ne sera pas réglé. La police va vous donner une protection de 24 heures sur 24. Le F.B.I., c’est plus sûr. Faites ce qu’ils vous diront.
Maloney regarda Malko, un peu effaré.
— Mais enfin, que puis-je craindre ?
— Vous ne lisez pas les journaux ? répliqua Malko. Je ne voudrais pas avoir votre mort sur la conscience, professeur. Il se passe des choses étranges à San Francisco, en ce moment.
Maloney réalisa que Malko ne plaisantait pas. Ils se serrèrent la main presque solennellement, et les gorilles soulevèrent poliment leur chapeau.
— Vous avez rendu un très grand service à l’Amérique, dit Malko, avant de partir.
Il grillait d’envie de se rendre directement au « Jardin des Multiples Félicités ». Lili était là, vivante ou morte. Mais sa mission passait avant ses sentiments.
Malko alla au building de la « Californian Trust Investment » et appela Washington. La C.I.A. fonctionnait jour et nuit, même si l’amiral n’était pas dans son bureau.
On lui passa rapidement le bureau de l’amiral, puis, sur sa demande assortie de son code, chez lui. Malko expliqua les derniers développements de la situation et demanda qu’on le mette d’urgence en rapport avec un spécialiste de la Chine. L’amiral lui donna un numéro de la C.I.A.
Malko rappela immédiatement et obtint le spécialiste dont il avait besoin. Il lui lut le message décrypté au téléphone, l’autre enregistrait au magnétophone. Puis Malko lui demanda :
— Savez-vous à quoi peut se rapporter le « Panier de Jonc » ?