Les corps étaient déjà chargés. L’équipage dans le cockpit égrenait sa check-list. Le colonel inconnu s’approcha de Malko, la main tendue.
— Au revoir. Je ne vous signe pas de décharge. Ce serait inutile : je n’existe pas, vous n’existez pas et cet avion n’existe pas…
Le reste se perdit dans le grondement assourdissant des moteurs. Les portes du hangar s’ouvrirent en grand et le gros appareil se mit lentement en branle.
Les quatorze Chinois du 5e Tsou allaient en faire une tête en se réveillant dans un camp spécial de la C.I.A… L’amiral pouvait se frotter les mains. Il ne restait plus qu’à résoudre l’énigme de la « Persuasion Invisible ». Après, Malko pourrait aller prendre un repos bien gagné en Autriche. Et essayer d’oublier la douce Lili Hua.
— Dépêchons-nous, dit-il à Chris et à Milton. Richard Hood nous attend pour déclencher l’opération.
La Ford traversa le camp Edwards à toute vitesse et reprit la route de South San Francisco.
À côté de Malko, Richard Hood mâchonnait son cigare. Chris et Milton étaient tassés à l’avant à côté du chauffeur en uniforme dans la grosse Lincoln noire, cadeau de la municipalité reconnaissante. Devant eux, une voiture de patrouille avec quatre policiers en uniforme, ouvrait la route. Deux motards faisaient crisser le gravier, derrière la Lincoln, précédant une voiture du F.B.I.
Autour du cimetière, il y avait encore une douzaine de voitures de patrouille, prêtes à intervenir. Richard Hood avait un mandat de perquisition signé du gouverneur de l’État.
— Espérons qu’on va trouver quelque chose, dit Hood. Sinon, qu’est-ce que je vais prendre. Je ne serai jamais réélu. Vous vous en foutez, vous n’existez même pas légalement.
Malko le rassura :
— Nous savons où se trouve leur laboratoire clandestin, grâce aux aveux d’un des leurs.
Hood eut le bon goût de ne pas demander comment ils avaient obtenu ces aveux et où était le prisonnier. De toute façon, entre la tuerie du Fairmont et les émeutes communistes, il était prêt à passer sur beaucoup de bavures…
Les trois voitures stoppèrent devant le bâtiment central. Les motards mirent pied à terre et s’écartèrent de leur machine, la main sur la crosse. Les quatre patrolmen sortirent de la première voiture et se déployèrent pour couvrir Malko et Hood.
Le « Jardin des Multiples Félicités » méritait bien son nom. L’air embaumait et des jardiniers s’affairaient sur les pelouses.
Le Chinois que Malko avait déjà vu le matin s’avança vers eux. Richard Hood lui tendit le mandat de perquisition.
— J’ai ordre de visiter votre établissement, dit-il, sur la demande du F.B.I. qui vous soupçonne d’abriter une organisation subversive…
Le Chinois lut le mandat attentivement et dit d’une voix aiguë :
— C’est absolument ridicule. Nous sommes d’honnêtes commerçants et c’est une atteinte à la liberté. Nous ne faisons rien d’illégal ici.
— Si c’est vrai, grogna Hood, nous vous ferons des excuses.
Précédé par les deux motards, il pénétra dans le bâtiment blanc. Les quatre agents du F.B.I. suivaient. Malko et les deux gorilles restaient près de Hood.
Pendant une demi-heure, le groupe d’hommes se promena du rez-de-chaussée au sous-sol. Tout paraissait normal. Il n’y avait que des bureaux somptueux, des salles d’exposition, les salles d’embaumement et une petite morgue qui contenait quelques corps dont le Chinois put expliquer la provenance. Hood mâchonnait son cigare de plus en plus nerveusement. À côté de lui, le petit Chinois qui s’était présenté comme le manager du cimetière, retenait mal un sourire de triomphe.
Finalement, Hood s’arrêta au milieu du hall, en face du bureau où se trouvaient deux hôtesses ravissantes, vêtues de l’étrange déshabillé à demi transparent que Malko connaissait déjà.
— Alors ? fit le chef de la police à Malko.
Celui-ci ne dit rien, mais, encadré de Chris et de Milton, se dirigea vers le piédestal en marbre noir soutenant le cercueil d’exposition. Les deux gorilles prirent le lourd couvercle à deux mains et le déposèrent par terre. Ce fut le signal de la bagarre.
Malko se retourna à temps. Le Chinois plongeait la main sous sa veste, Malko fut plus rapide. Son pistolet extra-plat fit « plouf » deux fois. Atteint à la poitrine, le Chinois vacilla et lâcha un gros pistolet noir.
Mais d’un bureau vitré, un second Chinois s’était levé. Armé d’une courte mitraillette, il balaya le hall d’une rafale. Tout le monde plongea, les gorilles lâchèrent leur couvercle d’acajou et ouvrirent le feu. Mais, abrité derrière son bureau le Chinois continuait à tirer. Un des motards, agenouillé derrière une colonne, tomba, une balle dans le cou, et un long jet de sang gicla sur le marbre : il avait la carotide tranchée. Personne ne s’occupait des hôtesses. Cela faillit coûter la vie à Richard Hood. L’une d’elle brandit soudain un petit pistolet et tira sur le chef de la police. La balle passa à un centimètre de son visage et alla s’enfoncer dans l’épaule d’un des quatre patrollmen.
Son voisin riposta, à la Winchester 30/30. Une énorme tache rouge apparut sur le chemisier de la Chinoise, plaquée au mur par la violence de l’impact. Elle lâcha son arme et s’affaissa, mourante, sur son bureau.
Chris Jones plongea et roula sur le sol, passant devant le bureau où se trouvait le Chinois à la mitraillette. Son 357 Magnum tira deux fois. Le Jaune, une balle en plein front, s’effondra.
Quelques minutes plus tard, toute résistante avait cessé. Appelé par radio, du renfort arrivait. Les Chinois survivants sortirent, les mains sur la tête, encadrés par les hommes du F.B.I. Le hall était plein de l’odeur âcre de la cordite. On emporta sur une civière le motocycliste agonisant. Malko se releva et bondit vers le cercueil en exposition.
— Vite au sous-sol. Il doit y avoir du monde.
Il se pencha à l’intérieur du cercueil. Il y avait une couverture mauve, un drap à festons, et un oreiller, également à festons. On avait vraiment envie de s’y coucher.
Malko arracha toute cette literie macabre et la jeta par terre.
Dessous il trouva la planche dont avait parlé Lim. Il poussa vers l’avant. Il y eut un ronronnement imperceptible et sous les yeux ébahis des policiers, le cercueil se mit à pivoter lentement vers la droite.
Il s’arrêta à 90° de sa position initiale. Le socle de marbre noir découvrait un puits circulaire doté d’une échelle métallique comme un sous-marin. Un air glacial fit frissonner Malko. Il enjamba le rebord et fit signe aux gorilles.
— Allons-y.
— Attendez, dit Chris Jones.
Prenant une grenade fumigène à la ceinture d’un des patrollmen, il la dégoupilla et la jeta dans le puits. Elle éclata au fond avec un bruit sourd et une épaisse fumée jaune commença à monter.
Quand Malko sentit qu’il débouchait dans le plafond d’une pièce, il lâcha les barreaux et se laissa tomber. Chris suivait et atterrit dix secondes plus tard. Entre l’obscurité de la pièce et la fumée, on n’y voyait pas à dix centimètres. Brabeck atterrit derrière Jones. Il avait une grosse torche électrique. Il l’alluma et la fit vivement rouler loin de lui.
Heureusement que les trois hommes étaient à plat ventre : une volée de balles s’abattit sur la torche qui vola en éclats. Déjà, les gorilles et Malko ripostaient.
On entendit un cri, puis plus rien. Pas même un coup de feu. Derrière les trois hommes, les policiers descendaient un à un.
Malko et les gorilles s’avancèrent lentement, en rampant. C’était un long couloir. Presque au bout, Chris heurta un corps étendu, encore chaud. Au contact il vit que c’était une femme avec de longs cheveux et des vêtements d’homme. Après, il y avait une porte en fer.