— Vous me trouvez belle, n’est-ce pas ?
Il dit : « Oui. »
— Vous aussi, continua-t-elle, vous auriez pu m’attirer beaucoup.
A une certaine lueur dans ses yeux, Malko sut qu’elle était sincère. Il était en plein rêve. Au lieu de tueurs, il trouvait une jolie femme qui flirtait avec lui et s’offrait presque sans détour. Il voulut en avoir le cœur net. Il la regarda bien en face et dit :
— À propos, vous m’avez bien fait venir ici pour me tuer ?
Elle soutint le regard des yeux d’or sans sourciller.
— Bien sûr, pourquoi ?
— Alors, qu’attendez-vous ?
Une lueur moqueuse passa dans les yeux de Laureen.
— Rien ne presse. Ce n’est pas très galant de refuser le… tête-à-tête avec moi. Très peu d’hommes ont eu cette… joie, vous savez.
— Vous êtes bien sûre de vous. Et si je vous emmenais de force, maintenant ?
Elle eut un rire léger ; toute son attitude respirait la sensualité. Elle était diaboliquement belle et désirable. Malko pensa aux condamnés à mort qui réclamaient une femme, dans les geôles de la guerre d’Espagne…
— C’est un jeu dangereux, monsieur S.A.S. Comme la chasse au tigre. Quelquefois, c’est le tigre qui gagne.
Malko était de plus en plus intrigué par son assurance. Après tout il lui suffisait de sortir son pistolet et de l’abattre, ou de la tenir en respect pendant qu’il appellerait du renfort. Il en avait eu l’occasion plusieurs fois depuis qu’il était là.
— Vous avez l’intention de me tuer vous-même, demanda-t-il.
— Évidemment, fit-elle, d’un ton très mondain. Je vous ai dit que j’étais seule, n’est-ce pas ?
Maintenant, il était sûr au moins d’une chose ! Laureen était décidée à se donner à lui avant de le tuer. Par recherche érotique ? Pour obéir à une sorte de rite ? Par goût ? Tout cela ne lui ressemblait guère… Il devait y avoir autre chose.
Elle posa une main très douce sur celle de Malko.
— Ne pensez pas trop. Profitez de l’instant présent. Buvons.
Il y avait une bouteille de Moët et Chandon dans de la glace. Elle l’ouvrit habilement et versa dans les deux coupes. Puis elle alla vers un électrophone et le mit en marche. C’était un jazz très doux, électrique et envoûtant. Elle leva sa coupe :
— À celui de nous qui verra le jour se lever.
Malko l’imita. Malgré lui, il était ému. C’était la plus étrange soirée de toute son existence aventureuse.
Elle reposa sa coupe vide :
— Savez-vous pourquoi je veux vous tuer ? demanda-t-elle.
— Je serais ravi de l’apprendre.
— Parce que vous êtes intelligent. Et que vous êtes contre nous. Vous pourriez nous faire beaucoup de mal. D’ailleurs je n’aurais pu passer un tel marché avec quelqu’un d’inintelligent. Elle prit l’air rêveur. Je dirai beaucoup de bien de vous à Pékin, plus tard.
— En somme, vous me réhabiliterez à titre posthume, dit Malko. Mais pourquoi n’essayez-vous pas de me convaincre à votre cause au lieu de me tuer ?
— Je n’aurais pas confiance. Les gens comme vous ne trahissent pas.
— Je voudrais savoir une chose, demanda Malko. Pourquoi Fu-Chaw, qui jouissait d’une confortable sinécure, s’est-il rallié à vous ?
Elle eut un sourire méprisant.
— La peur. Nous l’avions retrouvé. Il n’était pas à l’abri, même à Los Angeles. Il a eu le choix entre trahir ou être abattu. De toute façon, nous nous en serions débarrassés.
Elle reversa du Champagne. Elle n’avait quand même pas l’intention de le droguer. Malko surveillait ses mains. Mais sa robe avait des manches courtes et elle ne portait aucune bague dont le chaton puisse dissimuler quelque chose. D’ailleurs elle semblait si détendue que Malko se dit que le danger viendrait plus tard. Il ignorait si elle avait repéré son pistolet. Elle ne paraissait pas avoir d’armes et sa robe collante interdisait de cacher quoi que ce soit.
La tête renversée sur le divan, elle chantonnait doucement. Malko respirait son parfum et jouissait de sa chaleur. Elle inclina la tête vers lui et l’embrassa. Une langue souple s’insinua entre ses dents et chercha la sienne. Elle avait les lèvres pleines et chaudes, comme deux fruits tropicaux.
Peu à peu, elle se lova contre lui, l’attirant sur elle. Elle bougeait imperceptiblement et, tout à coup, colla son ventre au sien. Il la sentait tendue vers lui et elle irradiait de petites ondes de choc qui lui donnaient envie de crier de plaisir. Une de ses mains quitta la nuque de Malko et glissa avec une lenteur calculée le long de son corps, écartant la veste au passage. Elle s’immobilisa sur une des cuisses, et se mit à remonter lentement.
Quand Malko posa la main sur sa hanche, elle bougea un peu, pour qu’il puisse atteindre l’échancrure de sa robe.
Elle lui passa la main dans les cheveux et lui releva la tête. Ses yeux verts étaient insondables.
— Vous avez toujours envie de toutes les femmes de cette façon ? demanda-t-elle.
— Vous vous enflammez aussi rapidement avec tous les inconnus ? répliqua-t-il.
— Vous n’êtes pas un inconnu, dit-elle. C’est ce que je connais de vous qui m’excite. Les gens bêtes font toujours mal l’amour.
Elle n’avait rien dit du pistolet qu’elle avait pourtant senti.
Malko était tellement tendu de désir que son ventre lui faisait mal. Ou c’était une comédienne extraordinaire, ou elle avait aussi envie de lui. Après tout, c’était assez le genre de femme à s’exciter en faisant l’amour à un condamné à mort, ça devait être une sensation grisante.
Elle but encore une coupe de Moët et Chandon et se remit contre lui.
— Je n’ai pas faim, soupira-t-elle. Nous dînerons après. Elle l’embrassa, pressée contre lui de tout son corps. Malko sentait ses mains qui s’activaient contre lui, le déshabillant adroitement. Elle saisit le pistolet et le jeta par terre ; Malko eut un geste de recul.
— Vous n’en avez pas besoin en ce moment, souffla-t-elle. Aimez-moi, peut-être que je n’aurai plus envie de vous tuer.
C’était un nouvel aspect de la question. Malko n’eut pas le temps de l’approfondir.
Laureen se décolla brusquement de lui. D’un bond elle se mit debout. Les mains sur les hanches, dressée sur ses hauts talons, elle regardait Malko, la poitrine soulevée par saccades.
— Déshabillez-moi, ordonna-t-elle.
Une fermeture Éclair courait le long de son dos. Malko la tira doucement. D’une secousse, Laureen fit tomber sa robe ; d’un coup de pied elle l’envoya à trois mètres. Cela fit une tache rouge comme du sang, sur la moquette sombre.
Elle était nue, à l’exception d’un slip noir et de ses chaussures qui allongeaient encore sa silhouette. On aurait dit qu’elle avait été coulée dans le bronze tant le grain de sa peau était fin. Elle n’avait pas le corps un peu ramassé des Chinoises mais la silhouette élancée d’un mannequin avec, pourtant, une poitrine haute et ronde, aux larges auréoles brunes.
Reculant d’un pas elle toisa Malko.
— Je me suis faite belle pour vous, regardez-moi.
C’est vrai, ses yeux étaient maquillés comme pour un Kabuki, la pointe de ses seins légèrement soulignée de rouge, tout son corps luisait, comme frotté d’huile d’amandes douces.
— J’ai passé tout mon corps à l’huile pour être plus lisse, continua-t-elle. Je vous aimerai avec toute la patience de mon pays.
On aurait dit Lilith devant saint Antoine. Mais ce n’était pas un phantasme. Malko n’avait qu’à étendre la main pour toucher sa peau satinée et tiède.
— Venez, dit-elle. Enlevez vos vêtements aussi. Et si vous avez peur, gardez votre revolver.