Les mains posées sur les hanches elle attendait, diaboliquement belle. Malko commença à défaire sa cravate. Le désir avait presque vaincu l’instinct de conservation. « C’est trop bête de rater ça, se dit-il. Après on reprendra le combat. »
Il défaisait le premier bouton de sa chemise quand une idée le frappa comme un coup de poing.
Les ongles longs et rouges se détachaient sur la peau comme des taches de sang. Chacun avait bien deux centimètres de long. Même de loin, ils semblaient acérés et durs. De vraies griffes de fauve.
Malko venait soudain de se rappeler de la mort de Jack Links et de l’attentat contre lui. Tout s’expliquait, y compris le déchaînement sexuel de Laureen. Il ne se serait pas étonné qu’une femelle aussi volcanique lui déchire le dos en faisant l’amour…
Une grande vague de tristesse éteignit son désir. Mais c’était le jeu. Lentement il prit son pistolet par terre et le pointa vers la Chinoise. Elle s’était figée et ses yeux verts suivaient tous les gestes de Malko.
— Qu’y a-t-il ? demanda-t-elle.
— Vous avez perdu, annonça Malko. De très peu. Si vous m’aviez moins montré vos griffes peut-être… Je ne vous ferai pas l’amour et je ne mourrai pas après comme prévu. C’était un très bon plan.
Elle fît un pas vers lui.
— Qu’est-ce que vous racontez ?
Malko leva son arme.
— N’approchez pas.
Elle s’immobilisa. Son visage s’était durci comme un masque. Elle était presque laide. Elle siffla :
— C’est de ma faute, j’aurais dû vous tuer tout à l’heure, vous ne vous doutiez de rien…
— C’est vrai, concéda Malko en remettant sa cravate d’une main. La militante l’aurait fait. Mais pour la femme c’était tellement plus extraordinaire de tuer un homme en l’aimant. Cela vaut bien quelques risques. Même si on ne le met pas dans le rapport…
Elle ne répondit pas.
— Habillez-vous, dit Malko. Le jeu est fini. Je vous emmène.
Lentement, ses bras retombèrent. Elle regardait Malko avec une haine épaisse à couper au couteau. Une seconde il eut affreusement peur. Il sentait qu’elle allait bondir, malgré le pistolet. Rapidement, il fit le tour du divan.
Une seconde, elle demeura cambrée et offerte. Puis, laissant sa robe par terre elle alla au fond de la pièce, devant une glace, ouvrit un tiroir et commença à relever ses cheveux en chignon. Pendant cinq minutes, elle ne prononça pas une parole. Puis elle se retourna et demanda sèchement :
— Voulez-vous me passer un des chandeliers, je n’y vois rien.
— Je préfère que vous le preniez vous-même, dit Malko.
Elle s’approcha de la table, une « bombe » d’Hairspray à la main et prit le chandelier.
Malko comprit une seconde trop tard. Elle venait d’appuyer sur le déclencheur du pulvérisateur. L’Hairspray, à base d’alcool, s’enflamma instantanément au contact de la flamme. Les dents serrées, Laureen dirigea son lance-flammes improvisé sur la main tenant le revolver. Malko ressentit une brûlure violente et lâcha l’arme avec un cri de douleur.
Laureen bondit à la porte, coupant la retraite de Malko, et balaya l’arme d’un coup de pied. Puis elle revint vers sa victime, les yeux brillants de haine. Cette fois, elle visait le visage.
Le jet enflammé frôla les yeux de Malko et grilla ses sourcils. Il avait pu esquiver à la dernière seconde. Mais elle était sur lui… Il vit ses yeux verts impitoyables. Cette fois, elle ne pouvait pas le rater.
Un bruit inattendu les cloua tous les deux sur place. La porte venait de voler en éclats. Chris Jones traversa la moitié de la pièce à l’horizontale et s’arrêta pile devant Laureen, le trou du canon de son colt à trente centimètres de son joli nez.
— Lâchez tout, mamzelle, dit-il.
Le doigt posé sur la détente était déjà tout blanc à la jointure…
Milton entra dans la pièce au moment où Malko ramassait son pistolet de la main gauche. La droite était couverte de cloques. Les trois hommes firent cercle autour de Laureen, digne et haineuse. La « bombe » d’Hairspray était par terre.
— D’où sortez-vous ? dit Malko.
— On savait que vous ne seriez pas raisonnable, fit Jones. Comme on connaît les rendez-vous de cette ravissante, on a préféré vous suivre. Remarquez qu’on a bien cru que pour une fois ça allait très bien se passer… même qu’on se disputait le trou de la serrure.
— Vous êtes arrivés pile, dit Malko.
Il se tourna vers Laureen :
— Vous laissez-vous mettre les menottes ou préférez-vous qu’on appelle la fourrière ?
Elle le regarda d’une façon indéfinissable. Depuis l’entrée des deux gorilles, elle avait croisé ses mains sur sa poitrine, les yeux dans ceux de Malko, un léger sourire aux lèvres, elle passa lentement ses dix griffes rouges sur ses seins. Puis elle laissa retomber ses mains le long de son corps avec un petit soupir.
— Ce ne sera pas la peine, murmura-t-elle.
Dix traînées rouges striaient maintenant sa poitrine.
Quelques gouttes de sang y perlaient déjà. Les gorilles regardaient sans comprendre.
— Elle vient de s’empoisonner, dit Malko. Avec ses ongles. Ils sont imprégnés de curare, comme les griffes du chat.
Avec des gestes mécaniques, Laureen Yang-si passait sa robe.
— Je ne sais pas en combien de temps le poison agit, dit Malko. Il y a peut-être une chance de la sauver. Laureen, laissez-vous faire. Mais nous devons prendre certaines précautions, vous comprenez.
Jones sortit une paire de menottes et les jeta aux pieds de la Chinoise. Après une courte hésitation, elle se baissa et les mit doucement à ses poignets.
— Vous avez des gants ? demanda Malko aux gorilles.
Milton sortit et revint avec une paire en gros cuir qu’on jeta à Laureen. Elle les mit et alors seulement, ils s’approchèrent d’elle. Avec un morceau de fil électrique arraché à une lampe, Jones serra les gants aux poignets pour qu’elle ne puisse pas les ôter.
Les yeux d’or de Malko tombèrent sur le regard vert il ne reflétait plus qu’une immense indifférence et un peu de mépris.
— Vous avez triché, remarqua-t-elle. Moi, j’étais seule.
Malko ne répondit pas. C’était vrai. Normalement, il serait mort. Mais déjà Jones entraînait Laureen vers la voiture.
Jusqu’au Golden Gate Bridge, personne n’ouvrit la bouche dans la voiture. Jones conduisait, Malko à côté de lui. Derrière, Milton surveillait Laureen. Ils roulaient assez vite, il y avait peu de circulation.
Juste avant d’arriver au péage, Jones freina brutalement. Quelqu’un avait crevé et laissé sa voiture sur le pont. Surpris, Milton plongea en avant.
Laureen se jeta sur la poignée. La porte s’ouvrit. La Chinoise plongea la tête la première, roula sur le trottoir, se releva et détala vers le parapet. Malko plongea derrière elle. Laureen ne pouvait pas aller très loin.
Elle avait dix mètres d’avance. Les mains enchaînées, elle courait comme un canard.
Elle arriva au parapet, large de près d’un mètre, fait de poutres métalliques. Malko la vit se hisser avec peine et gigoter à plat ventre. Ses jambes étaient déjà dans le vide, de l’autre côté.
Malko, à deux mètres, aperçut une dernière fois les yeux verts au moment où Laureen basculait de l’autre côté. Sa main tendue ne rencontra qu’un gant épais qui lui resta dans la main.
Il se pencha sur le vide et aperçut une forme claire qui tournoyait dans l’obscurité. Cent mètres plus bas, il y avait les vagues du Pacifique. On n’entendit même pas le bruit de la chute. Soudain, il ne vit plus que le noir. À côté de lui les deux gorilles regardaient, horrifiés.
— On ne la reverra jamais, dit Jones.
C’était exact. Personne n’a jamais pu traverser la baie à la nage. Des courants glacés et invisibles emportent tout vers le large. Tous les évadés d’Alcatraz le savaient. Le corps disloqué de Laureen devait déjà dériver vers l’ouest. Les hélices des bateaux achèveraient de le déchiqueter et les requins feraient le reste. Ses griffes empoisonnées étaient inutiles maintenant.