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Mills sursauta. Il avait horreur qu’on le contredise.

— Fichez-moi la paix avec cette histoire. Occupez-vous plutôt de l’enquête dont je vous charge.

Il se leva, signifiant que l’entretien était terminé. Mais Malko ne bougea pas. De son fauteuil, il lança :

— Vous ne vous êtes jamais demandé, amiral, qui pouvait avoir intérêt à déclencher ce genre de troubles ?

Mills hésita, furieux.

— Les Russes !

— Les Russes ? Nous n’avons jamais été mieux avec eux. Voyons, qui sont nos vrais ennemis, en ce moment, ceux qui veulent vraiment la peau des U.S.A. ?

— Les Chinois, laissa tomber l’amiral.

— Eh oui, les Chinois, conclut Malko. Alors, je trouve que c’est une coïncidence bizarre. Dans le passé, je me suis souvent fié à mon intuition. Et cette fois, elle me dit d’aller voir du côté de ce cryptogramme.

L’amiral jeta à Malko un regard noir :

— Allez au diable si vous voulez, mais trouvez quelque chose. Et ne perdez pas de temps avec vos sornettes. Je vais vous envoyer à San Francisco deux garçons que vous connaissez bien : Chris Jones et Milton Brabeck. Ils vous prêteront main-forte.

Malko s’amusait beaucoup de la rage de l’amiral.

— J’espère que je ne succomberai pas à la contagion, soupira-t-il.

Eventualité peu probable. En effet, le château de Malko, situé à la frontière austro-hongroise, aurait été une très belle demeure si les Hongrois n’avaient pas transformé le parc en territoire communiste… Ainsi Malko ne possédait guère plus de terrain qu’un pavillon de banlieue.

L’amiral connaissait ce détail. C’était une des raisons de sa confiance en Malko.

— Bonne chance, dit-il, en lui serrant la main ; assistez à une manifestation, afin d’interroger ceux que nous appelons les « zombies ». J’ai prévenu Richard Hood, le chef de la police de San Francisco. Contactez-le en arrivant.

Malko se retrouva dans le couloir. Il fut tenté de tourner sur la droite au lieu de la gauche pour voir en combien de temps les gorilles de garde le transformeraient en écumoire…

Mais l’instinct de conservation fut le plus fort. Il repassa sagement devant eux et prit l’ascenseur. Coïncidence. Au quatrième l’appareil stoppa et le jeune homme aux cheveux rasés que Malko avait vu en arrivant monta.

Il avait l’air encore plus timide. Devant l’air sarcastique de Malko, il devint rouge comme une pivoine et garda les yeux obstinément fixés sur ses chaussures. Celui-là, il valait mieux qu’il ne tombe pas entre les mains des Russes ou des Chinois. Il n’y aurait pas besoin de lui laver le cerveau à grande eau.

Le petit bus qui reliait la C.I.A. à Washington arriva tout de suite.

En roulant dans la campagne du Maryland, Malko réalisa l’énormité de sa mission. Il ne savait ni ce qu’il allait faire ni contre qui il allait lutter, si toutefois il y avait un diabolique « laveur de cerveau ».

À Washington, il se fit conduire à l’aéroport national et reprit un avion pour New York. Après cela il avait encore une heure et demie de train jusqu’à la gare de Poughkeepsie où il avait laissé sa voiture.

Il habitait une petite villa neuve, en bois, tout en haut d’une colline, en dehors de la ville. Les maisons étaient assez espacées et il n’entretenait aucun rapport avec ses voisins qui le prenaient pour un représentant de commerce.

Mais dans son sous-sol il avait réalisé une maquette de son château sur laquelle il marquait scrupuleusement les progrès des travaux. À chacune de ses missions correspondait un morceau de toit ou un plancher en marqueterie. Mais, ce château, c’était le tonneau des Danaïdes. Plus on en faisait plus il en restait à faire. Pourtant Malko s’accrochait à son rêve. Il s’était juré de ne pas demander sa main à une femme avant d’avoir terminé son château, afin de pouvoir lui offrir une demeure décente.

À peine rentré chez lui, il se prépara à repartir. D’abord sa petite valise Samsonite, son « assurance sur la vie ». Un double fond contenait un pistolet extra-plat avec silencieux incorporé, tirant des balles normales, des cartouches de gaz, à volonté. C’était la panoplie offerte par la C.I.A. Malko s’en servait le moins souvent possible, ayant horreur des armes à feu.

Il mit aussi de côté quatre costumes en alpaga allant du noir au gris anthracite. C’était sa coquetterie. Il ne pouvait supporter que des tissus très légers et impeccablement repassés.

En une demi-heure il eut préparé sa valise. Ses chemises et ses pyjamas portaient un discret monogramme.

Bien que vivant aux U.S.A. depuis des années, il n’arrivait pas à oublier qu’il avait très légitimement droit au titre d’Altesse Sérénissime et que certaines familles bien nées d’Europe lui auraient de grand cœur donné leur fille, même s’il avait été légèrement bossu et demeuré.

Il s’endormit sur cette pensée réconfortante.

CHAPITRE III

Un soleil radieux brillait sur San Francisco, une chance car la ville est souvent plongée dans le brouillard. Le visage collé au hublot du DC 8, Malko regardait la baie défiler sous l’appareil. On avait l’impression qu’il allait se poser sur la mer. Brusquement la piste apparut et les roues touchèrent le sol avec une petite secousse.

L’appareil roula doucement jusqu’aux bâtiments de l’aérogare. Celle de San Francisco était ultramoderne. Des espèces d’énormes manchons montés sur roulettes vinrent s’appliquer aux deux portes de l’avion, débarquant les passagers dans les couloirs.

Malko, les oreilles encore bourdonnantes, se dirigea vers le hall inférieur pour louer une voiture. Hertz, Avis, Continental, toutes les marques étaient là. Malko avait réservé chez Hertz, à son départ de New York. Plusieurs préposées, vêtues du costume Hertz jaune et noir qui les faisait ressembler à des guêpes, attendaient, en bavardant derrière leur comptoir.

L’une d’elles apparaissait tout juste derrière les dépliants publicitaires. C’était une minuscule Chinoise, avec une bouche charnue et deux immenses yeux noisette. Malko s’arrêta en face d’elle et se pencha imperceptiblement pour apercevoir son corps. Il ne fut pas déçu. La robe stricte n’arrivait pas à dissimuler une poitrine presque trop forte pour sa taille et des hanches rondes. La jeune femme interrompit en souriant l’examen de Malko.

— Que puis-je pour vous, monsieur ?

Elle avait un charmant accent étranger. Malko sourit à son tour. Il ne pouvait jamais s’empêcher d’être sensible au charme d’une jolie femme. Et il se dégageait de ce petit bout de Chinoise une sensualité naturelle bien troublante.

Pendant qu’elle fouillait dans ses papiers pour trouver la réservation de Malko, celui-ci lui demanda :

— Vous êtes américaine ?

— Oh non, fit-elle, je suis française. Je viens de Tahiti. Il y a seulement un an que je suis ici.

— Vous n’avez pas oublié le français ? demanda Malko dans cette langue.

— Oh ! Vous êtes français !

Le visage de la petite Chinoise était transfiguré. Malko apprit qu’elle s’ennuyait à San Francisco, qu’elle n’aimait pas les Américains, mais qu’à Tahiti, on ne trouvait pas de travail. Elle était venue aux U.S.A. parce que son grand-père s’était installé à San Francisco après avoir fui la Chine communiste.

Malko interrompit gentiment son bavardage. La présence de cette Chinoise-Tahitienne le troublait.

— À quelle heure terminez-vous votre travail ? demanda-t-il.

— À huit heures.

— Voulez-vous prendre un verre avec moi ? Au bar du Mark Hopkins ? Vers 9 heures ?

Elle jeta un regard en coin à ses camarades.

— Vous savez, c’est interdit de se faire inviter par des clients.

Il sentait qu’elle mourait d’envie d’accepter. Un peu à cause du français de Malko, et beaucoup à cause de ses yeux dorés.