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— Mon oncle ? suggéré-je.

— Il me semble. Et ces vieux meubles de famille, cette bonne odeur de cire et de confiture de coings…

Elle est ravie, ma sous-dirlette. La Maria, elle, l’est beaucoup moins. Jalmince façon ibérique. La navaja en poigne. Si tu me trompes, je te tue ! Mais nos mœurs françaises affaiblissent les siennes. Elle l’a bien compris, la farouche, que chez les Gaulois on papillonne du braque. On butine de la membrane, nous autres caballeros de la plaisante France. C’est malédictif, on n’y peut rien. Ou alors faudrait nous découiller à la naissance, voire nous greffer quelque embryon de sujet britannique pour qu’on refrène. On a toujours la brosse en point de mire. A part quelques moudus, pas un sujet de Sa Majesté Tonton qui ne s’endorme sans rêver qu’il calte sa crémière, ou la fille de sa concierge, ou encore la maîtresse de son meilleur copain (la femme, c’est déjà fait).

— Un peu de thé ? proposé-je.

— Non, merci.

— Ça vous amuserait de voir ma chambre ?

— Hypocrite !

Nous rions. Le noir regard de Maria nous escorte dans l’escalier. Et puis voilà que le téléphone carillonne.

— Répondez que je ne suis pas là, Maria ! lancé-je.

Et cette arrière-petite-fille, petite-fille, fille et sœur de pute décroche, dit « allô », avec l’accent espagnol.

— Messiou ? Si, l’est là ! fait cette sous-garce, merdique à en perdre ses poils pubiens.

Ah ! l’extrême salopiaute ! Ah ! la casseuse de coups ! Rageur, je lance à Alberte de m’attendre dans ma turne : (la porte en face de l’escalier) et dévale pour aller arracher le combiné des mains de la goguenarde truie asturienne.

— Faudrait vous raser, ma vieille, lui dis-je méchamment, vous commencez à ressembler à Fidel Castro !

La voilà qui chiale ! Ce que je peux me montrer cruel dans mes dépits !

— San-Antonio ! annoncé-je modestement.

— Le service des écoutes, commissaire. Nous avons essayé de vous atteindre à votre bureau, mais comme…

— Du nouveau ? coupé-je.

— Il semblerait. Un coup de téléphone vient d’être donné de la rue du Ranelagh qui nous paraît bizarre.

— Vous voulez dire de chez Beau-Philippe ?

— Oui. Vous voulez l’écouter, je rapproche le combiné de l’enregistreur ?

— Allez-y !

Quelques instants à blanc, puis je perçois le composé d’un appel téléphonique. Enfin une voix de femme, jeune mais lasse répond :

— Allô ?

Et l’organe d’Emeraude Dumanche-Ackouihl retentit :

— Violette ?

— Oui, qui est à l’appareil ?

— Emeraude. Il faut que je parle à Hervé immédiatement.

— N’est pas ici. Ta mère est déjà venue le demander.

— Ma mère ?

Là, une ligne de stupeur bien méritée.

— Ben oui, ta mère !

— Qu’est-ce qu’elle lui voulait ?

— Lui dire que tu étais malade chez toi et qu’il devait absolument t’appeler.

Re silence, non de stupeur mais d’effroi.

— Oh ! mon Dieu, c’est un piège. Tu peux le joindre ?

— Lui ! Tu le connais ? L’oiseau sur la branche !

— Il n’a pas prévenu de l’heure à laquelle il rentrera ?

Elle ricane :

— Même pas du jour. Il a emporté un bagage, ce matin. Mon avis est qu’il a pris l’avion pour quelque part.

— Merde ! s’écrie Emeraude.

Troisième silence.

— Ecoute, Violette, la police est au courant de tout, il faudrait prévenir les copains qu’ils disparaissent.

— Mais je…

Là, Emeraude raccroche précipitamment. Je suppose qu’elle avait mis à profit une courte absence pipi de Jérémie. La môme Violette crie à plusieurs reprises le nom d’Emeraude, puis maugrée « que tout ça la fait chier » et raccroche. Fin de l’enregistrement.

— Qu’en dites-vous, commissaire ? demande mon partenaire des écoutes.

— Intéressant, merci de m’avoir appelé.

Je coupe pour composer le numéro des Dumanche-Ackouihl que j’avais noté. C’est cette petite garce d’Emeraude qui répond d’une voix tellement candide qu’un contrôleur du fisc en pleurerait.

— Passez-moi l’inspecteur Jérémie, fais-je en réprimant la plus belle rogne qu’un perdreau ait jamais tenue à la disposition d’un prévenu.

Le Crépu fait une entrée solennelle dans mes trompes d’Eustache :

— Ah ! c’est toi.

— Tu es allé pisser ? questionné-je abruptement.

— Il y a dix minutes, il ne fallait pas ?

— La blonde saucisse bourrée de merde que tu surveilles en a profité pour alerter sa bande de Pieds Nickelés.

Atterré, il est, le Black sentimental.

— Pas possible !

— On tient la bande enregistrée à ta disposition, Fleur des Tropiques ! Tu vas me faire le plaisir de talocher la gueule de cette giclure de foutre si jamais elle rebouge un cil, tu m’entends, Romé de mes deux ?

Je ne sais pas ce qu’il répond, ni même s’il répond. Je raccroche.

Ma colère m’emporte à des altitudes où l’air cesse d’être respirable parce qu’il n’y a plus d’air. Je sors comme un fou. La tire blanche de la mère Alberte est là, dans le renfoncement, la clé de contact au tableau de bord. Je m’y rue. Je démarre plus rapidement que Prost quand il court le G.P. du Brésil. Direction la rue André-Simone, à Saint-Germain-des-Prés. Tout en pilotant, je pense que la mère d’Emeraude, dans ma chambrette de célibataire, a dû déjà enlever sa culotte pour me faire une bonne surprise.

Tout de même, ça m’arrache un grand rire de loup à travers mes fureurs. Y a des cocasseries pour t’aider à gravir l’existence, Dieu merci. Sinon, on baignerait dans d’affreux marasmes, dans des désespoirs même pas poétiques. On crèverait d’être !

Une cabine téléphonique, posée toute conne à la pointe d’un square triangulaire m’attire. Je stoppe en triple file devant la guitoune. Par chance, comme elle fonctionne avec des cartes magnétiques, elle n’a pas encore été vandalisée et deux ou trois coups de turloche me permettent enfin d’atteindre Bérurier. Je lui donne un ordre précis et raccroche.

Cette garce d’Emeraude !

Mais n’est-ce pas logique qu’ayant balancé ses compagnons de turpitude, elle soit saisie par le remords et les veuille prévenir ? La chose prouve qu’elle n’est pas égoïste et ne se contente pas d’avoir les pieds au chaud. Je suis convaincu que Mister Jérémie doit lui avoir déjà trouvé une montagne de belles et généreuses excuses de ce style.

Juste que je retourne à la tire d’Alberte, un agent est en train de la verbaliser. En le regardant usiner, il me vient un flash rapide. Une sorte de préconscience de la vérité. Mais le temps d’examiner cette fulgurance de l’entendement, tant tellement subconsciente, elle s’est fait la mallouze.

Je m’avance, brème en main. Le poulardin m’a déjà reconnu.

— Faites excuse, commissaire, penaude-t-il.

— C’est moi qui m’excuse, mon vieux.

Il a un bonne bille de paysan. Probable qu’après son service, il a déserté le tas de fumier familial, les labours, le tracteur branlant, pour s’engager dans la police urbaine.

— Vous n’avez pas les foies de ce qui se passe pour vous autres agents ? questionné-je, manière de causer.

Il a un sourire désarmant.

— Je n’y pense pas pour moi, commissaire. Nous sommes tellement nombreux dans Paris, ce serait bien la malchance ! Ce qui me tracasse, c’est pour ceux qui y sont passés ; entre autres le brigadier Santorches qui était mon ami. On a fait l’armée ensemble. Si je vous disais, on a même été « Casques bleus » au Liban, il y a quelques années. Un dur ! Tous les courages ! Venir périr en plein Paris après avoir bravé tant de dangers là-bas, c’est bien l’imbécillité du sort, non ?