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J’en conviens. Je le revois dans sa bassine de zinc, Santorches. Le bas-ventre déchiqueté, le visage en partie défoncé. Une petite connasse idéaliste le contemplait éperdument en comprenant soudain ce qu’est la mort.

— Il avait trois enfants, dont des jumeaux qui faisaient sa fierté, poursuit mon interlocuteur. En un rien de temps, on l’a nommé brigadier. Il serait monté beaucoup plus haut dans la hiérarchie, commissaire. J’espère que vous retrouverez cette vermine et que vous lui ferez payer la peau des copains.

— On va essayer, l’ami.

On se serre la dextre et je redécolle, perplexe. J’essaie de comprendre ce qui s’est produit en moi au moment où j’ai aperçu ce brave bougre avec son carnet de papillons dans la main. Comme si une voix mystérieuse me lançait un avertissement. Seulement je n’ai pas entendu et la voix n’a pas voulu répéter.

Il a fait fissa, le Gros, car il est déjà chez la môme Violette lorsque je m’y pointe. Pinuche l’accompagne. Et c’est Baderne-Baderne qui répond à mon impérieux coup de sonnette.

La Violette, c’est Fleur de Misère, revue et corrigée par ma copine Sylvie Poulet, la meilleure costumière de l’époque. Une liquette désastreuse, constellée de taches, un jean qu’on dirait tailladé à menus coups de rasoir, les pieds nus et pas clean du tout. Ses cheveux bruns pendouillent sur le devant de sa scène, masquant son regard écœuré de souris triste. Elle a les bras croisés et se tient adossée à l’évier. J’oubliais : un écouteur de walkman en guise de serre-tronche ; musique à toute heure.

J’avise le message d’Alberte, fiché sur le miroir placé au-dessus de la commode. « Prière d’entrer en contact au plus tôt avec Emeraude D-A. »

— Vous avez pris un tapis volant, les gars ! m’exclamé-je-t-il.

— Une voiture à gyrophare, rectifie le Mahousse.

— Vous ne l’avez pas garée devant l’immeuble, j’espère ?

— Non, c’est des potes qui nous a déposés à promiscuité, moi et la Pine.

Il fouille le logis avec application et le Fossile procède de même.

— C’est du « dur » qu’elle emploie, souligne Alexandre-Benoît, t’as looké son avant-bras, à la miss ? Oh ! pardon docteur, les moustiques sont ravageurs dans l’coin !

Et le Mastar de commenter :

— Le « dur », c’est plus fastoche à trouver, biscotte il exige du matériel.

Pinaud, qui semblait rêvasser depuis ma venue, dit à l’adresse de la dénommée Violette (laquelle n’est pas impériale du tout) :

— Vous voulez bien vous écarter de là, mademoiselle ?

— Vous êtes chiant, vous alors ! proteste la fille.

— On a droit à une p’tite bavure d’rien du tout ? me demande Bérurier, comme un gosse qui réclame une friandise.

— Non, réponds-je sèchement.

Violette s’abîme à l’écoute de son walk et chantonne la musique qu’il défèque. Pinaud reste devant le bloc évier, indécis. Au-dessus de la paillasse dudit, il y a une étagère avec des boîtes de fer marquées « farine », « sel », « riz », etc. Il s’en saisit et, dépourvu de vergogne, les vide dans le bac à plonge. Elles ne révèlent rien qui soit de mauvais aloi.

Il ouvre la petite porte dépeinte, dans les vert noyé, qui masque la poubelle. Un sac de plastique garnit les parois de la boîte à ordures. Y a déjà une accumulation de déchets dans le sac. Le Vioquard ôte le sac du seau et examine le fond de celui-ci. Puis il enfonce un bras parkinsonnien dans le récipient émaillé. Il ramène une boule de papier journal qu’il entreprend de défroisser. Au cœur du papier, se trouve une petite boîte chromée contenant une seringue et des aiguilles de rechange en sachets stériles. Un étui de carton est joint à la boîte, fermé par un élastique. A l’intérieur se trouvent des ampoules entre deux épaisseurs de coton hydrophile.

Pinaud nous désigne sa trouvaille sans excès de triomphalisme. Il explique seulement :

— Les gens qui ont quelque chose à cacher ont tendance à se mettre devant.

Quarante années d’expérience viennent de s’exprimer.

La Violette a une respiration de louve. Elle halète :

— Vous êtes des fumiers et je vous chie !

— Une fille comme toi, esprimer comme ça, c’est t’honteux, déclare le Mahousse en lui allongeant une torgnole.

Il se tourne vers moi.

— Tu peux pas appeler ça une bavure, mec. Son papa l’entendrerait, y lui fil’rait la même !

Il n’empêche qu’elle se met à saigner du nez et à suçoter en chougnant sa lèvre supérieure fendue. Moi, je profite de la circonstance pour déballer le grand jeu.

— Tu sais que tu viens de perdre une bataille, mais que t’as pas encore perdu la guerre, môme ? dis-je, en repliant son fourbi à extase dans le journal. Ça peut encore s’arranger.

— J’ai rien à vendre ! fait-elle.

— A vendre, peut-être pas, mais à donner ? Qu’est-ce que tu en as à cirer des petits godelureaux à la con que manipule ton copain Hervé ? Tu ne penses pas qu’il est temps de les remettre dans le droit chemin, ces glandeurs ?

— Je ne connais rien, ni personne ! s’écrie la houri.

Je tends le journal à Pinaud.

— César, tu veux bien remettre les choses en place, please ?

La Vieillasse, habituée à mes foucades, obtempère sans protester.

— Violette, ma poule, attaqué-je. T’es ensuquée mais pas conne. Au point où en sont les choses, tes perspectives d’avenir sont les suivantes : ou bien tu nous fournis des tuyaux (en admettant que tu le veuilles et le puisses) et alors on t’oublie carrément, toi et ta seringue, vu que nous n’appartenons pas à la Brigade des stups. Ou bien tu nous laisses bredouilles, et alors on t’embarque avec tes petits produits et on te remet à qui de droit. Ce qui veut dire qu’en dehors des poursuites pénales, tu devras remplacer ta morphine par de l’Aspirine et des pastilles pour la gorge, ce qui ne te propulsera plus dans les étoiles mais te permettra peut-être de recouvrer une vitesse de croisière décente. Dans la vie tout fait l’objet d’un choix, comprends-le. Celui du moindre risque.

Un silence, troublé par un long pet langoureux de Bérurier. Pinuche s’est déposé dans un fauteuil d’osier aussi ravagé que lui et, avec la belle conscience que procure le travail quand on le mène à bien, s’endort sans prévenir. Le boa et lui, même combat, désormais ! Le boa s’éveille pour bouffer, Pinaud pour travailler. Sinon leurs existences sont identiques.

— Sans compter, ma pauvre Violette, poursuis-je que si tu te laisses embastiller, tu parleras facilement quand tu seras en manque. D’ici quelques heures, tu seras prête à vendre ta grand-mère en échange d’un mégot de cigarette.

C’est ce dernier argument qui lui ouvre des horizons.

— Mais je ne peux rien vous dire, je ne sais rien.

— Que tu crois, ma puce, que tu crois. C’est souvent une fausse certitude. Si tu décides de répondre bien scrupuleusement à mes questions, tu seras surprise, à l’arrivée, par la somme des choses que tu connaissais sans t’en rendre compte…

Un temps :

— Tu veux bien qu’en tente le coup, ma puce ?

La Puce a un bref signe d’assentiment.

* * *

Je me rappelle un vieux forban au pedigree plus rouge que le drapeau soviétique, qui avait contracté assez tôt la maladie de Parkinson. Il sucrait comme un fou, au point d’être incapable de se servir à boire tout seul. Mais tu lui flanquais un fusil à lunette dans les pognes et il redevenait d’une immobilité absolue. Te scrafait un P.-D.G. encombrant à cent cinquante mètres, d’une seule bastos. Propre en ordre, entre les deux yeux, comme tu safarises un éléphant qui ne t’a jamais rien fait.