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La Violette, elle est un peu comme le gonzier que j’évoque. Camée moelle, mais une grande décision l’empare et la voilà lucide à bloc, décidée. Moi, c’est sa vie avec Hervé Cunar que je lui fais déballer. Ton de confidence. L’évocation. Et comment ils se sont connus, les deux. La manière qu’il la tire. Ce qu’elle éprouve pour lui. Sa manière de le juger, le mystérieux jeune homme. On passe aux activités du mec. Elle balance de son mieux. Tout juste qu’elle tire pas un bout de langue, façon prime écolière écrivant sa page de « a ».

Je le constitue brin à brin, le Cunar. Tapisserie. Aubusson, les Gobelins, en voiture ! J’apprends des choses. Pas beaucoup. Ce qu’elle ignore de lui, Violette, m’éclaire autant que ce qu’elle m’en dit. Ce mec, c’est écrit gros comme le nom d’un présidentiable sur une affiche qu’il est terroriste professionnel. Son mode d’existence : rien foutre autre que de voyager, avoir des rendez-vous de préférence nocturnes, placarder des armes dans un conduit désaffecté de la cuisine et palper beaucoup d’osier en liquide. Quelques coups de turlu mystérieux ; jamais de visite ou presque pas.

Son personnage est à la fois mystérieux et conventionnel. Il fait peu de confidences à sa souris. Il la garde par vice car c’est un tourmenté de la grosse veine bleue. Quand elle est shootée à souhait, il lui demande des choses pas possibles. Sinon c’est motus et vivendi, comme dit Béru. Elle surprend des rendez-vous lorsqu’on téléphone à Hervé ; qu’il répond par exemple : « O.K. minuit au Cannibale Bar. » Ou bien des prénoms qu’il balance dans la converse. « Oh ! Alexandre ? Salut ! » J’emmagasine. Des riens, un tout ! piges-tu, Lulu ? Ça progresse. J’en ramasse une pleine page de carnet. De quoi œuvrer.

Après la jacte, les actes. Elle nous découvre la cache des armes. Bilan : un pistolet-mitrailleur, deux parabellums, six grenades de fabrication tchèque, une sarbacane avec un étui contenant quatre flèches (empoisonnées au curare, je te parie !). De quoi sauter messire Hervé et le gnouffer jusqu’à la fin du prochain septennat.

Le réchaud à gaz est truqué : double fond. A l’intérieur de la planque quatre-vingt mille balles en talbins français et trois mille cinq cents dollars.

Dis, c’est une bonne prise !

La môme ignore quand son julot reviendra, mais elle envisage que ce sera demain car il ne s’absente jamais très longtemps.

Je me tourne vers le Mastar.

— Il va falloir que vous l’attendiez ici, mes braves.

— Si y aurait à boire et que mam’selle Violette rechigne pas trop du prose, pourquoi pas ! répond le pachyderme.

Pinuche ne dit rien puisqu’il roupille ! Lui, ici ou ailleurs, c’est tout bon.

— Je veux une planque sérieuse, Gros, insisté-je, il ne s’agit pas de me rater le client à son retour.

— Pour quoi tu nous prends est-ce ?

— S’il vous faut des provisions, envoie César aux commissions, toi, tu ne bouges d’ici sous aucun prétexte.

— Soiliez sans crainte, baron !

J’ajoute, tout bas :

— Et gaffe-toi de cette morue. Avec les camés, on peut tout craindre !

— Je l’ai à l’œil, mec. Juste qu’elle aura droit à ma baratte solaire, biscotte, moi, la proximité av’c une gerce, ça m’porte trop aux sens pour que je peuve la supporter longtemps sans régir.

LE GRAND VALDINGUE

Lorsque j’appelle Saint-Cloud (l’un de mes saints préférés), Maria m’apprend avec une jubilation peu protocolaire que la « damé, l’était fouriousse, l’a appelé lé taxi et l’est partie, qué même l’a oublié sa coulotte dans vostre chambré ».

— Quelle couleur ? interrogé-je.

— Qué donc ?

— La coulotte.

— Blanco, avece ouna dentella.

— Eh bien gardez-la pour vous, ce sera une prise de guerre, ricané-je.

Maintenant, il ne me reste plus qu’à reporter la tire d’Alberte à proximité de son domicile, ce dont je. N’ensuite de quoi, je monte les clés à l’appartement. C’est la servante cacochyme qui vient m’ouvrir après que j’eusse donné un récital de sonnette. Paraît que « Madame » n’est pas rentrée. Je lui remets les clés et passe dans la chambre de Mademoiselle.

Stupeur : nobody.

J’arpente l’appartement sans y trouver Emeraude ni Jérémie. La vétuste interrogée prétend tout ignorer de cette absence. Elle fait du repassage dans la lingerie et ne s’occupe pas des allées et venues de la capricieuse jeune fille. Inquiet, je décroche le biniou des Dumanche-Ackouihl et me fais reconnaître du service des écoutes. Aucun appel n’a été reçu, ni aucun coup de turlu donné depuis celui qu’Emeraude a passé à Violette. Donc, mon pote et la sale gosse se sont taillés délibérément.

Alors moi, ça, tu vois, j’aime pas. Mais alors pas du tout ! Parce que, de deux choses l’une : ou bien M. Blanc a enfreint mes ordres, et je ne l’admets pas ; ou bien ils sont partis pour une raison indépendante de la volonté de Jérémie, et ça me flanque des lancées de 240 volts dans les testicules.

Je laisse un mot sur le couvre-lit de la pétroleuse :

« Prière m’avertir dès votre retour. »

Et puis brusquement, me voici dans la rue du Ranelagh, désœuvré, une légère angoisse dans la cage à méninges, à regarder les ombres pâles mal dessinées par un soleil sans enthousiasme.

J’attends un sapin car il est temps d’aller récupérer ma guinde qui morfond rue Fignedé. Qu’en voici un, justement. Merde : occupé ! Pourtant il ralentit et s’arrête devant moi. Mme Philippe Dumanche-Ackouihl en descend. Je ne la retapisse qu’au dernier moment.

— Merci, pour la randonnée ! me jette-t-elle avec aigreur.

Je murmure :

— Pardonnez-moi, j’ai été pris de court.

Furax, elle s’engouffre dans son immeuble en me jetant :

— Je vous laisse régler ma course, c’est la moindre des choses !

— Porte Saint-Denis, soupiré-je en prenant sa place encore tiède.

— Drôle de pétroleuse, hé ? fait le driver. Elle n’a pas cessé de râler depuis Saint-Cloud !

— Elle n’est pas dans un bon jour, dis-je, laconique.

— C’est votre femme ?

— Non, et ce n’est même pas encore ma maîtresse.

— Je vous conseille de mettre les pouces. Moi, s’il fallait que je fourre une pareille râleuse…

Il abaisse sa vitre et propulse sur la chaussée parisienne un glave à vingt francs pièce chez Prunier. Puis il remonte sa glace et lâche un peu de lest.

— Notez qu’elle a un beau cul, consent-il.

— Je l’avais remarqué, confirmé-je.

— Un peu large, peut-être.

— Une fois qu’on est dedans, on s’en aperçoit moins, plaidé-je.

— Ça d’accord, veut bien admettre le taxi ; et d’ailleurs ça offre de quoi se cramponner quand on pique des deux.

— Je ne vous le fais pas dire !

— J’ai la femme d’un collègue qu’a le même tout craché. (Il ricane.) J’en fais mes beaux dimanches quand je passe lui dire un petit bonjour en l’absence de Martin, à Noisy-le-Grand.

— Vous voyez !

— L’inconvénient c’est quand je la broute : elle serre les jambes et ça m’étouffe, comprenez-vous ?

— Vous devriez vous munir d’un tuba.

— C’est quoi ?