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Quand je me réveille, il est minuit docteur Chouette z’Air. Pile ! Que tu pourrais croire qu’on a enlevé la petite aiguille de ma montre.

La noye règne dans la pièce. J’ai une impression de froid et un peu de gueule de bois, bien que je n’aie pas bu d’alcool depuis la révocation de Lady de Nantes. Je vais actionner les commutateurs et la luce inonde notre agence. Je me coltine jusqu’à la salle de bains. Dans la glace du lavabo, j’avise un quidam revêche avec une tronche pas racontable. Ma barbe a poussé et de vilains cernes sous mes paupières donnent l’impression que je viens de me séparer de lunettes longuement portées.

Bien que disposant d’un rasoir, je décide que cette herbance convient au look que je veux prendre cette noye. Je me dessape entièrement pour prendre une sérieuse douche, brûlante au départ, glaciale à la fin. Nu comme un verre vert de vers, je me rends au dressing où figurent des tas de nippes destinées à nous modifier un tantinet soit peu dans les cas particuliers.

Je choisis un jean délavé, un blouson noir râpé dans le dos duquel on a peint l’aigle américain qui a le regard du pasteur Jackson, plus un T-shirt blanc comportant des caractères japonais dont j’espère qu’ils signifient des trucs dégueulasses dans la langue du Mikado.

J’enquille une chouette pétoire dans le blouson, un lingue dans ma basket droite. Me voici paré pour l’action nocturne.

Au Drugstore Publicis, je fais l’emplette de boucles d’oreilles et vais aux chiches en fixer une au bout de mon lobe. Avant de quitter cet honorable magasin, providence des glandeurs de nuit, j’acquisitionne également des décalcomanies qu’on peut faire adhérer à sa viande et qui composent des tatouages classiques. C’est la petite vendeuse bellement roulaga qui me les pose. Sur l’avant-bras droit, là que la peau est lisse comme un bâton d’agent, elle me colle celui qui représente une pin-up salace laurée de cette fière devise : « Ni Dieu, ni Maître : ton Cul ! » Et sur l’avant-bras gauche, j’ai droit à un très joli dragon d’élevage, à peau bleu métallisé, crachant une flamme qui compose le mot « merde ». Ce complément d’habillement parachève joliment ma tenue. Oh ! puis non : bouge pas ! J’emplette encore un pot de gomina à reflets rouges. Nouvelle visite aux gogues. L’homme qui déboule sur les Champs-Zé a droit automatiquement à une place assise dans le métro et, posséderait-il l’horloge parlante en guise de montre-bracelet, personne ne songerait à lui demander l’heure.

C’est ainsi accoutré que je me rends Au Grand Valdingue une boîte very hard et frétillante de la Bastille, installée dans un ancien entrepôt de la rue Mélécasse. Seigneur, cette ambiance ! Ce vacarme ! Cette odeur ! Ce tohu ! Ce bohu ! Tu franchis le seuil et si t’es pas un habitué de l’endroit, tes tympans se mettent à pisser le sang et ton cœur vient cogner juste à l’emplacement de ta glotte. Ce lieu pourri doit servir à la Nasa pour des expérimentations tortueuses ; encore qu’on n’envoie plus personne dans les zéniths depuis lurette. Les Ricains, je croyais qu’ils allaient se l’annexer, le cosmos. Je voyais déjà des villes là-haut, en l’an 2000. J’imaginais des stations orbitales gigantesques, avec des magasins, des terrains de baise-bol, des supermarkètes, des boxons, des toiletteurs de chiens, des morpions, des hôpitaux, Canuet, dix chaînes tévé, des MacDonald’s, le canard Reagan, Disneyland, la famille de Monaco, un réseau autoroutier, des George Bush (d’égout), une permanence du Cul-Cul-Clan, Davies Bovin, des hôtels pour homos sexuels, le virus du sida, une fabrique de pop-corn (d’abondance), le général Mac Heusdress, la générale Motor, des pizzerias, et une reproduction en chlorure de vinyle du grand canon du Colorado. Et puis je voyais bien d’autres trucs, étant poète de métier et même de tempérament. Le futurisme c’est mon job. Ma gamberge a pris la relève de celle au père Jules Verne. J’en devine des fabuleuseries à venir. La prospective, elle est innée chez moi ! Le monde de dans cent piges, je peux te le décrire sans oublier le moindre chmeurtzblick ni le plus petit taploski (rien que ces mots qu’existent pas encore te donnent la mesure de mon aucourantement, non ?).

Je les sais jusqu’à leurs numéros fidjéro-missilisés, les boulevards du ciel, les chaudelances de rampement, les flatulences perpendiculaires, les borgnoteries culminantes tout bien ; tout parfaitement, à fond ! Ça m’en fait une belle de prévoir tout ça ! De le connaître à l’avance, au toucher imaginaire, cette lumière des aveugles qui leur permet de nous larguer dans les méandres.

Mais pour l’instant, finito la grande vadrouille intersidérale. Ils sont intersidérés, les Ricains. Inquiets d’être amerloques, on dirait, tout à coup. Pris au dépourvu par leur yankerie. Ils y croyaient dur comme ma bite, quand je l’emmène promener avenue de ta raie culière, à leur suprématie, pensaient avoir atteint, par grâce du ciel et de nature, la plénitude absolue. Et que voilà qu’ils sont shootés de leurs expéditions guerrières, que leur dollar a mine de papier mâché coulapique, que leur SIDA propage, que leurs nègres supplantent, que leur navette ne navette plus. Sale temps pour les guêpes ! Gode save the kingburger !

Voilà que j’ai déliradé. C’est mes restes d’acné qui percent. Je presse : tchloc ! Ça part. Giclette foutreuse dans le lavabo de nos relations.

Le Grand Valdingue, j’en étais.

Une notion de l’horreur. Le noir, le monde, le vacarme, pestilence ! Tout cela réuni pour composer l’enfer. Pourquoi les individus puent-ils à ce point quand ils sont en groupe, bordel ? Ils se lavent pas, hein ? Ils sécrètent ! Leur sueur est insoutenable, pis que le trou de leur cul. La merde, on connaît : c’est la vie. Mais la sueur, c’est la rancerie, la décomposition, la mort !

Je suis happé par le monstrueux intestin. Je pars en boyauterie dans le gouffre noir zébré de lumières assassines. Lueurs laser comme coups de rasoir ! Aveugle, titubant, assommé de musique, je tente de me repérer. Doit bien y avoir un bar, quelque chose d’horizontal à quoi s’agripper ? Une zone de beuverie qu’on se tient debout ? Des grappes humaines sont vautrées sur des sièges rase-mottes, autour de tables rondes emboissonnées. Ça crie au lieu de causer. Ça hurle au lieu de rire. Ça s’entremêle, se compresse, se mélange, se transmet.

J’enjambe, je marche sur. Ceux que je foule s’en aperçoivent même pas. Profitant des éclairs insoutenables, je finis par me faire une idée de la topographie.

Vague, bien sûr. Celui qui aime les bains de foule, il peut venir faire la brasse coulée ! Bains de foule et bains d’obscurité, le super-pied géant pour les tordus ! Y a des couples qui se misent en sourdine. J’entredevine même un julot, avec une bite longue comme la rue de Vaugirard, en train de se monter les blancs en neige.

Tout au fond de ce bordel en délire, je crois distinguer une zone boréale. Le bar ! « Terre ! Terre ! » que clamait la vigie à Christophe (pas Lambert : Colomb !).

Gagner cette auge constitue une gageure. Rien de plus harassant que de se frayer passage à travers des corps, surtout lorsqu’ils sont vivants, grouillants, éperdus. L’alcool, la folie engendrée par la promiscuité et le vacarme, la schnouffe sous ses différentes formes, y compris celles qui sont odoriférantes, font de cette foule une hydre, comme n’aurait pas manqué de l’affirmer mon excellent camarade Hugo qui ne chipotait jamais sur l’épithète (épithète qu’il avait raison !).

Au bar, c’est presque plus pire qu’ailleurs. Les buveurs verticaux y sont stationnés sur plusieurs files. Que c’est à se demander comment les mains qui se hasardent à travers des hanches et des bras, parviennent à choper le verre de leur propriétaire ! J’observe un instant l’organisation du lieu. Le rade mesure au moins dix mètres centigrades de long et forme un îlot. Il a la forme d’un atoll. En son centre, y a des loufiats hâves, en tenue blanche brandebourrée. Espèces de zombies blasés, aux gestes automatiques ; soutiers d’un étrange vaisseau naviguant dans la nuit de l’espèce. Ils s’activent à des établis garnis de boutanches et de verrerie. Çà et là, un bac à plonge « tenu » par un Arbi nyctalope. C’est la même eau qui ressert. A la longue, elle est devenue un long drink, cette flotte ; une espèce de cocktail écœurant composé de fonds de verres.