Выбрать главу

Va falloir que je trouve un terlocuteur possible au milieu de cette fauverie. Mais comment stopper, ne fût-ce que pendant trente secondes Fahrenheit sur l’échelle de Richter, l’un de ces esclaves tournoyants ? Tout cela constitue une espèce de mécanisme implacable, qui emplit des godets, tape un ticket, sert la conso, ramasse du flouze, le porte en caisse et recommence, le tout sur un rythme de piston en culasse, de paf en fesses, de marteau en pilon !

Pourtant, mon choix finit par se porter sur le plus âgé des barmen, qui m’a l’air un peu chef sur les manches si j’en crois son surgalonnage. Il a le cheveu gris frisé, avec des favoris qui lui descendent jusqu’aux épaules. Second objectif : me porter au premier rang d’orchestre. Je joue des coudes, des pectoraux, voire de la tronche. Quand j’essuie une protestation, j’aboie dans le nez du mécontent : « De quoi, siouplaît » avec l’air d’un kamikaze au volant de sa charge, auquel un agent de police prétendrait faire tenir sa droite. Moi, avec mes tifs gominés rouge, ma boucle d’oreille et mon regard en pleine névrose insoignée, j’inspire une brusque timidité au protestaire. En un peu moins de pas longtemps, me voici accoudé au rade. Lorsque le loufiat convoité passe à ma portée, je balance ma paluchette et l’alpague par le bras. Le mec se dégage d’une secousse.

— Ça va pas ? il me demande.

— Ça ira mieux après deux minutes d’entretien avec toi, mec !

Il riposte, sans même s’arrêter, en hurlant pour se faire entendre :

— Si j’avais deux minutes, je causerais pas : j’irais chier, mon vieux. J’ai bouffé des moules pas franches du collier au dîner et mes tripes crient au secours !

Voilà qui est navrant, surtout pour son Eminence dont la nuit sera inexorable. Faut croire que j’ai du sang de lion dans les pipe-lines car me voilà qu’escalade le bar pour passer dans la partie service de l’atoll.

Les serveurs se mettent à renâcler.

— Hé ! Pas de ça, mon gars ! Sinon tu vas te faire vider !

— Avant que je sois dehors, le plancher sera tellement garni de ratiches que vous aurez l’impression de marcher dans un silo de riz.

Là-dessus, j’empoigne le prédéfécateur par les revers de son spencer (et non de son sphincter !) et lui crie dans une baffle (ce qui reste très confidentiel malgré le brouhaha) :

— Fais pas de pet, mec. Dans ton état ce serait lourd de conséquences. Je ne suis pas ce que tu crois. Dans ce bouic il y a des jeunots qui comptent parmi les habitués et qui se font appeler Fernando, Domino et La Raclette. Tu dois les connaître car ils fréquentent ici depuis longtemps et ils y séjournent jusqu’à la fermeture. Réponse ?

— Arrêtez de me pomper l’air, grogne l’homme aux favoris foisonneurs. Et ressortez du bar, vous gênez le service.

Je perçois une sonnerie de trident, comme dit Béru. Très vite, deux malabars en maillot de marin (ou de bagnard) rayé écartent la foule, soulèvent une tablette aménagée dans le plateau du comptoir et m’enjoignent de dégager.

J’obéis car une nouvelle idée forte me biche.

Les deux gorilles me poussent en direction de la sortie de secours dont la loupiote verdâtre se lit à peine dans les pénombres. Sitôt que nous parvenons devant l’huis, dans un lieu privilégié où il n’y a plus personne, je sors ma carte de police. Ils borgnotent pour en prendre connaissance, l’éclairage étant plutôt faiblard.

— Et alors ? me demande celui qui s’en est saisi. Ça te donne le droit de venir faire le cow-boy ici ?

Tranquillos, j’enfouille mon rectangle plastifié. Il n’est plus aussi magique qu’autrefois. De nos jours, un perdreau, ça fait ricaner, mais pas claquer des dents.

— Ecoutez, les gars, fais-je, dans un élan de conciliation qui attendrirait une bordure de trottoir, il se passe des choses pas belles et il faut rapidement que je mette la main sur trois de vos habitués. Pour cela j’ai besoin de la coopération du personnel.

L’un des deux malabars qui possède un humour d’enfer me répond :

— Nous, on est au régime, on bouffe pas de ce pain-là. Va faire ton cinoche dehors, poulet. Ici c’est une maison qui se respecte et qui est en règle avec la loi.

L’autre ouvre la porte, sort dans un couloir plein de courant d’air et me tient la lourde ouverte car elle n’est pourvue d’un bloundt puissant. Son pote me pousse par les épaules. Nous voici hors de la grande salle hystérique.

— Maintenant, t’as qu’à suivre tout droit, et renverse pas les poubelles près de la sortie ! fait le gorille-portier.

Il allait sourire, mais comme il morfle la crosse de mon pote Tu-Tues dans la tempe, il remet sa satisfaction à une date non précisée. Le second malabar a pris mon talon dans les roustons et se tient les précieuses ridicules à deux mains en poussant des wwraou, wwraou. Putain, cette vivacité, Tonio ! Je vais finir par croire que je suis un impulsif, moi, dans mon genre.

Comme je suis parti pour la liesse, je lui confirme mon ressentiment par un bollo-punch fougueux à la pommette. C’est l’estocade. Bébé rose s’écroule. D’un geste large, je palpe les deux hommes en continu. Le portier a une matraque glissée dans le dos, sous sa ceinture, sinon ils ne sont pas armés.

— Il baise beaucoup, ton pote ? demandé-je à ce dernier qui reprend conscience. Si oui, ajouté-je, il va devoir se mettre la tringle pendant un bout de temps vu qu’il aura des couilles grosses comme des noix de coco non épluchées et plus violettes que des aubergines.

— Pour un perdreau, vous avez de drôles de méthodes, murmure l’interpellé.

— Oui, je bavure beaucoup ; mais comme j’ai un statut spécial à la Maison Pébroque, ça s’arrange toujours.

Je m’adosse au mur badigeonné d’un marronnasse merdeux.

— Je ne suis pas allé vous chercher, mais puisque vous êtes là, c’est vous qui allez éclairer ma lanterne. Il me faut trois garnements qui se font appeler Fernando, Domino et La Raclette. Tu me les trouves, me les désignes et tu ne t’occupes plus de rien. Le tout dans la plus grande discrétion. Moyennant quoi je m’évacue du Grand Valdingue comme un pet d’une chambre à coucher de jeune fille. Dans la négative, on opère le grand rodéo avec des collègues disséminés dans la salle. Et alors, je te parie n’importe quoi contre ce que tu voudras que vous irez demain grossir la liste des demandeurs d’emploi, ton ami chourineur et toi, parce que quand votre taulier apprendra qu’il a suffi d’un seul gazier pour vous mettre la grosse tronche, il préférera engager des jockeys en retraite plutôt que des tas de merde comme vous. Voilà, mon gros loup. T’avais dix secondes pour te décider, mais comme ça fait une minute que je jacte, t’as du retard.

Il mate son coéquipier qui gît dans le couloir comme un édredon mouillé, l’obstruant de sa masse dérisoire.

— Venez, dit-il, retrouvant un vouvoiement que j’apprécie.

On plante là le gorille number two pour replonger dans la fournaise.